"Chaque année, j'assiste à la remise des Médailles Curtin (en Australie). Ces cérémonies me plaisent toujours ; on entend des récits émouvants sur des gens qui ont aidé et servi notre communauté. Il y a quelques années, j'ai moi-même reçu une de ces médailles moi-même. Et je me suis rendu compte qu'en tant que moine, plus on disparait, plus on reçoit de récompenses et de reconnaissance. Mais vu qu'on disparait, il n'y a vraiment nulle part pour accrocher la médaille. Ils essaient de l'accrocher, mais ça traverse tout; ça ne colle pas, parce qu'il n'y a rien pour la faire tenir.
Quand vous pratiquez ce chemin, vous disparaissez petit à petit. Si vous comprenez l'idée de disparaitre - c'est-à-dire l'immobilité et le calme- vous commencez à comprendre anatta, non-moi. C'est parce que plus vous êtes calme, moins vous existez ; moins il y a un sens de moi ou d'être. Cela peut sembler effrayant, mais en fait c'est très beau. En réalité, c'est le seul vrai bonheur, parce que plus vous lâchez le sens du moi, plus vous vous libérez de la souffrance sous toutes ses formes. Et quand vous vous penchez sur l'idée de la libération de la souffrance, vous vous enfoncez davantage sur ce chemin. Cela peut prendre de longues années ou juste quelques unes, mais la seule chose sensée à faire c'est de rester patient, rester sur le chemin, et se relâcher dans le bonheur de disparaitre.
Dans la vie d'un moine, une partie de cette disparition c'est le fait de porter des habits identiques et de se coiffer pareil. Nous n'avons point de signes pour différencier les moines. Si je n'étais pas en tête de la ligne, personne ne saurait que je suis le plus ancien. Puis nous gardons le silence. Pourquoi les gens parlent? Ils parlent pour dire "me voici". En restant en silence, nous disparaissons et nous nous fondons dans le paysage, puis presque plus personne ne nous perçoit, y compris nous-mêmes.
Plus vous disparaissez, plus vous êtes heureux, plus vous éprouvez de la joie; moins vous existez, plus vous ressentez de la béatitude. Cela révèle sens du dhamma, mais les mots ne comptent pour rien à coté de la profondeur de l'expérience."
Ajahn Brahm, The art of disappearing, 2011, Wisdom pulications, traduit de l'anglais par Sarah Bland !