jeudi 24 janvier 2008

Transcendance








Extraits d'un enseignement du Vénérable Ajahn Chah "Transcendance"; Traduit par Jeanne Schut



IMPORTANT: Ces paroles s'adressent à des moines réunis au monastère d'Ajahn Chah, en Thaïlande, donc à des personnes censées être profondément engagées dans l'étude et la pratique des enseignements du Bouddha.



Tous les aspects de la nature procèdent des conditions qui les ont engendrés


(..)Tous les aspects de la nature procèdent des conditions qui les ont engendrés, ils ne présentent aucun problème en eux-mêmes. Prenons l'exemple des maladies : le corps ressent de la douleur, de la fièvre, etc. Tout ceci arrive de manière naturelle. Les gens se font beaucoup trop de souci pour leur santé. S'ils s'inquiètent tant pour leur corps et y sont tellement attachés, c'est du fait de leur mauvaise perception des choses, ils ne savent pas lâcher prise.

Nous croyons que ce corps est notre maison, une chose qui nous appartient en propre, alors la moindre migraine, la moindre indigestion nous perturbe. Nous ne voulons pas avoir mal ou souffrir. Ces jambes sont « nos » jambes, nous ne voulons pas qu'elles nous fassent mal; ces bras sont « nos » bras, nous ne voulons pas qu'ils nous fassent mal. Quant à la tête, c'est « notre » tête et nous ne tenons pas à ce qu'il lui arrive quoi que ce soit. Nous voulons à tout prix guérir
toutes les douleurs et les maladies.


Nous ne sommes que des visiteurs dans ce corps

C'est là que nous faisons erreur, que nous nous écartons de la vérité. Nous ne sommes que des visiteurs dans ce corps(...)

Le Bouddha nous a appris qu'il n'y a pas de « personne » habitant véritablement ce corps mais nous continuons à nous y accrocher comme s'il était à nous, comme s'il était vraiment « nous ». Quand le corps change, nous refusons les changements (...)

Il n'est pas facile de voir ce corps pour ce qu'il est, parce que upādāna (l'attachement) y est fortement ancré.(...)

C'est pourquoi il est dit que nous devons étudier les choses en profondeur pour vraiment les connaître avec sagesse. Cela signifie étudier les sankhara (phénomènes conditionnés) selon leur véritable nature, utiliser la sagesse.

Connaître la véritable nature des sankhara, c'est déjà la sagesse. Si vous ne connaissez pas leur véritable nature, vous êtes en conflit avec eux, vous ne cessez de leur résister.(...)

Si le corps tombe malade et souffre, nous nous y refusons, nous allons chanter différents sutta
dans l'espoir de le protéger, de le maîtriser. Ces sutta prennent alors l'allure d'une cérémonie mystique, ce qui ne fait que renforcer notre attachement parce qu'ils sont récités dans le but d'éloigner la maladie et de prolonger la vie.

En réalité, le Bouddha nous a donné ces enseignements pour nous permettre de voir les choses clairement mais nous nous retrouvons là, à les réciter, pour nous bercer d'illusions. (...)


Lorsqu'une maladie apparaît, les êtres éclairés n'y voient rien de spécial.

Naître dans ce monde signifie connaître la maladie un jour ou l'autre. Il est vrai que lorsque le Bouddha ou ses disciples tombaient malades naturellement, ils essayaient tout aussi naturellement de se soigner. Il ne s'agissait pour eux que de rétablir un équilibre. Ils ne s'accrochaient pas aveuglément au corps et ne s'emparaient pas de cérémonies mystiques ou autres. Ils traitaient la maladie avec une vision juste des choses : « Si elle guérit, elle guérit. Sinon, eh bien elle ne guérit pas ! » Voilà comment ils prenaient les choses.

(...) les entretiens sur le Dhamma attirent de nombreuses oreilles apparemment attentives, mais ces oreilles entendent mal.(..) la véritable pratique est presque à l'opposé de la direction prise par la plupart des gens, au point que les deux peuvent à peine s'entendre. (...) Ils tournent le dos à la Voie juste (...)

La religion n'est plus que rites et rituels ou cérémonies mystiques. Les gens récitent les textes mais ils le font bêtement, sans sagesse. Ils étudient mais ils étudient bêtement, sans sagesse. Ils savent mais ils savent bêtement, sans sagesse. C'est ainsi qu'ils se retrouvent à avancer bêtement, à vivre bêtement, à apprendre bêtement (...)



La souffrance commence quand on croit posséder quelque chose.

Le véritable fondement de l'enseignement, c'est de percevoir attā, le soi, comme étant vide, sans aucune identité figée. Il est vide de toute existence intrinsèque. Mais les gens se lancent dans l'étude du Dhamma pour développer leur vision personnelle des choses. Ils ne veulent surtout pas faire l'expérience de la souffrance et de la difficulté. Tout doit leur être facile. Et même si certains se disaient prêts à transcender la souffrance, comment feraient-ils alors qu'ils s'accrochent toujours à un soi ? (...)

Ecoutez bien ! Imaginez que l'on vous donne un objet de grande valeur. Dès l'instant où cet objet entre en votre possession, votre esprit change : « Où vais-je le cacher ? Si je le laisse ici on risque de me le voler. » Vous vous angoissez terriblement pour trouver une cachette sûre. A quel moment l'esprit a-t-il changé ? A l'instant où cet objet est entré en votre possession. C'est là que la souffrance est apparue. Où que vous mettiez cet objet, vous ne pouvez plus vous détendre : vous avez un problème. Que vous soyez debout, assis ou couché, vous êtes éperdu d'inquiétude. C'est cela la souffrance. Elle commence quand on croit posséder quelque chose. C'est là que la souffrance se cache. Avant d'avoir cet objet, vous ne souffriez pas parce qu'il n'y avait pas encore d'objet auquel vous attacher.



Il faut faire tomber le voile des apparences pour voir le cœur des choses, c'est-à-dire la transcendance.

C'est la même chose avec le soi. Si nous pensons en termes de « moi », tout ce qui nous entoure devient « mien » et la confusion s'ensuit. Pourquoi ? La cause de tout cela est que nous croyons qu'il existe un soi. Nous n'enlevons pas le voile de l'apparent pour voir le transcendant. Vous voyez, le soi n'est qu'une apparence. Il faut faire tomber le voile des apparences pour voir le cœur des choses, c'est-à-dire la transcendance.
(...)
si nous ne mettons pas en pratique ces enseignements, au fond nous ne savons rien (...)

Si vous faites basculer ce qui est apparent et découvrez ce qui est transcendant, vous toucherez la vérité et verrez clairement(...)

Pourquoi les gens s'attachent-ils à la souffrance ? Qui, dans ce monde, souhaite souffrir ? Personne, bien sûr ! Personne ne veut souffrir et pourtant les gens ne cessent de créer les causes de leur propre souffrance. Si, au fond de notre coeur, nous cherchons le bonheur et repoussons la souffrance, comment se fait-il que notre esprit crée tant de souffrance ? Observez simplement cela : nous n'aimons pas souffrir et pourtant nous sommes artisans de nos propres souffrances. Comment est-ce possible ? Il est évident qu'il ne peut y avoir qu'une seule raison, et cette raison est que nous ne comprenons pas la souffrance : nous ne la connaissons pas, nous ne savons pas ce qui la cause ni ce qui y met fin, et nous ne savons donc pas comment la faire cesser. (...)

(...) Les gens sont tout à fait capables de repérer les vues erronées des autres, mais il ne leur vient pas à l’esprit qu’ils puissent être eux-mêmes victimes de leurs propres vues erronées et de la souffrance qu'elles engendrent (...)


Toute vision erronée engendre la souffrance

Toute vision erronée engendre la souffrance, que ce soit immédiatement ou plus tard. C'est précisément à ce stade que les gens font fausse route. Qu'est-ce qui les empêche de voir clair ? C'est l'apparent. L'apparent cache le transcendant et empêche ainsi les gens de voir les choses clairement.

Ils étudient, ils apprennent, ils pratiquent mais ils pratiquent dans l'ignorance, comme s'ils avaient perdu tout sens de l'orientation. Ils se dirigent vers l'ouest mais croient aller à l'est, ou bien ils se dirigent vers le nord en croyant aller au sud. C'est grave ! Ce type de pratique n'est en réalité que la lie de la pratique. En fait, c'est un désastre. C'est un désastre parce que le pratiquant déforme ce qu'il a appris et s'engage dans la direction opposée, perdant de vue le but de la véritable pratique du Dhamma. (...)

La plupart des gens sont encore perdus dans une masse de souffrance, ils errent dans le samsāra, du fait de ces croyances erronées.

Le corps change et les gens ne le supportent pas, ils ne peuvent pas l'accepter, ils veulent que tout revienne dans l'ordre à tout prix. Mais voilà, on ne peut pas toujours gagner ce combat-là. A la fin on ne peut échapper à la réalité, et alors tout s'effondre. Les gens ne veulent pas regarder cela en face, c'est pourquoi ils renforcent continuellement leur vision erronée des choses.

Pratiquer pour réaliser le Dhamma est la meilleure chose qui soit. (...)

Ne vous accrochez pas aux choses ou, en d'autres termes également justes : tenez-les, mais pas trop serré. Si vous trouvez un objet, vous pouvez le ramasser, en prendre connaissance : « Oh, c'est cela ! », et puis le reposer. Vous pouvez le tenir mais pas vous en saisir. Vous le tenez juste le temps qu'il faut pour l'observer, le connaître et puis vous le laissez aller. Si vous prenez cet objet, que vous vous en saisissez et que vous en portez le poids, vous allez vous alourdir. Il faut savoir poser les choses. Ne vous créez pas de souffrances inutiles !

Il est primordial que vous voyiez très clairement que telle est la cause de la souffrance. Si nous en connaissons la cause, la souffrance ne pourra plus se manifester.

Pour que le bonheur ou la souffrance apparaisse, il faut qu'il y ait attā, le soi. Il faut qu'il y ait le « je » et le « mien », il faut qu'il y ait cette apparence. Si, au moment où toutes ces choses surgissent, l'esprit va directement au transcendant, il élimine d'un coup les apparences. Alors le plaisir, l'aversion et la saisie se retirent immédiatement.


Le Bouddha voulait que nous entrions en contact avec le Dhamma mais les gens ne sont en contact qu'avec les mots, les livres et les écritures.

Là on est en contact avec ce qui traite du Dhamma, pas avec le véritable Dhamma tel que nous l'a enseigné le Bouddha. Comment les gens peuvent-ils prétendre bien pratiquer selon les Enseignements ? Ils en sont très loin.

On dit du Bouddha qu'il est Lokavidū c'est-à-dire qu'il a clairement vu le monde tel qu'il est.

Maintenant nous voyons le monde, oui, mais pas tel qu'il est vraiment. Plus nous apprenons, plus notre image du monde s'assombrit parce que nos connaissances ne sont pas claires. Il ne s'agit pas de la pure connaissance mais de ce que l'on appelle « connaître au travers de l'obscurité » : cela manque de lumière et de brillance. (...)

Comment se fait-il que nous n'ayons pas encore atteint ce stade, que nous ne puissions toujours pas lâcher prise ? C'est parce que nous ne voyons pas encore nettement tout le mal que peut engendrer notre ignorance. Si, comme le Bouddha ou ses grands disciples, nous en avions une vision claire, nous abandonnerions très vite nos attachements, et nos problèmes disparaîtraient en fumée instantanément.

Quand vos oreilles perçoivent des sons, laissez-les faire leur travail. Quand vos yeux accomplissent leur tâche en percevant des formes, laissez-les faire. Quand votre nez capte des odeurs, laissez-le faire son travail. Quand votre corps perçoit des sensations, laissez-le remplir ses fonctions naturelles. Si nous permettons simplement à nos sens de jouer leur rôle naturel, où est le problème ? Il n'y a pas de problème (...)

Toutes nos possessions nous appartiennent-elles vraiment ? Sont-elles à notre père, à notre mère ou à notre famille ? Nul ne possède quoi que ce soit, en réalité. C'est pourquoi le Bouddha a dit d'abandonner toutes ces choses, de les lâcher. Connaissez-les à fond, connaissez-les en les considérant un moment mais ne vous y attachez pas. Utilisez les choses tant qu'elles sont bénéfiques et puis lâchez-les avant qu'elles ne créent de la souffrance.

Pour connaître le Dhamma, vous devez avoir cette connaissance-là, la connaissance qui permet de transcender la souffrance (...)



C'est dans cette vie que nous pouvons transcender la souffrance.

Ne croyez pas qu'il faille mourir pour transcender la souffrance. C'est dans cette vie qu'elle est transcendée, c’est en apprenant à résoudre les problèmes. Vous connaissez l'apparent, vous connaissez le transcendant, alors faites-le dans cette vie, pendant que vous pratiquez, ici même. Inutile d'aller ailleurs pour le trouver. Ne vous attachez à rien : tenez mais ne vous attachez pas.

Peut-être vous dites-vous : « Pourquoi le Vénérable répète-t-il toujours la même chose ? » Mais que pourrais-je enseigner d'autre ? Comment pourrais-je parler autrement quand la vérité est là toute entière ? Mais attention, même si c'est la vérité, ne vous y attachez pas non plus. Si vous vous y attachez aveuglément, elle se transforme et n'est plus la vérité. (...)


Ne vous accrochez à rien, pas même à la vérité


« Lâchez donc. Ne vous accrochez à rien. » Avoir raison, ce n'est qu'une supposition de plus, laissez passer. Avoir tort, ce n'est qu'une condition apparente de plus, laissez tomber. Si vous pensez avoir raison et que malgré tout les autres ne sont pas d'accord, ne discutez pas, laissez passer. Dès que vous en prenez conscience, lâchez prise. Telle est la voie juste.



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