vendredi 18 janvier 2008

A l'écoute des pensées...





Je profite de cet enseignement de Ajahn Sumedho pour vous rappeler: Sa lettre, en réponse à la situation en Birmanie


Ceci est une déclaration de mon soutien et de ma sympathie envers les efforts héroïques des moines, des nonnes et des étudiants(es) bouddhistes, et envers tout le peuple birman qui proteste pacifiquement contre l’injustice et l’oppression du gouvernement actuel de Myanmar.

Il est incompréhensible et douloureux de voir un gouvernement qui prétend respecter la religion bouddhique réagir à une pacifique protestation de façon si violente et si brutale. J’ai toujours eu le plus grand respect pour la Sangha de la Birmanie. Je demande au présent gouvernement d’écouter la Sangha et de chercher une voie de réconciliation en accord avec le Dhamma qui respectera le bien-être et le bonheur de tous. J’envoie toutes mes bénédictions aux pacifiques manifestants et ma compassion au gouvernement de Myanmar qui s’est tant éloigné de la sagesse et de la compassion du Seigneur Bouddha,

Mes sincères salutations,

Vénérable Ajahn Sumedho 29th September, 2007 Amaravati Buddhist Monastery

Cette lettre a été publiée et traduite par lerefuge, au mois d'octobre, dans la rubrique "Actualités"



A L'ÉCOUTE DES PENSÉES, Un enseignement de Ajhan Sumedho



En ouvrant notre esprit, en « lâchant prise », nous portons notre attention sur un point unique, nous sommes un simple observateur, le témoin silencieux et conscient de ce qui va et vient.


Avec vipassana (la vision pénétrante), nous utilisons les trois caractéristiques de anicca (le changement), dukkha (le caractère insatisfaisant) et anatta (l’absence d’identité propre) pour observer les phénomènes relatifs au corps et au mental.

Nous libérons ainsi l’esprit de sa tendance à refouler les choses aveuglément. Si nous faisons une obsession sur des pensées futiles, par exemple, ou sur des peurs, des doutes, des angoisses ou de la colère, il ne sera pas utile de les analyser, nous n’avons pas à comprendre pourquoi ces pensées nous obsèdent, simplement à les amener sous le projecteur de la conscience.

Si vous avez très peur de quelque chose, ayez-en peur consciemment
.

N’évitez pas d’y penser, observez plutôt votre désir de vous en débarrasser. Faites complètement remonter à la surface ce qui vous fait peur, pensez-y délibérément et écoutez vous penser.

Il ne s’agit pas d’analyser cette peur mais de l’amener jusqu’au bout absurde de son parcours, là où elle devient si ridicule que vous pouvez en rire. Ecoutez aussi le désir, cette pensée folle qui dit : « Je veux ceci, je veux cela, il faut absolument que je l’aie, je ne sais pas ce que je ferai si je
ne l’obtiens pas … » Parfois l’esprit se met à hurler « Je le veux ! » et vous êtes simplement là, à l’écouter.

J’ai lu un article sur les groupes de thérapie où les gens se crient à la figure toutes les choses qu’ils ont refoulées jusque là. C’est une espèce de catharsis, une forme de délivrance, mais il y manque réflexion et sagesse. Il manque la capacité d’écouter ces cris avec recul, de voir sa colère comme un phénomène conditionné au lieu de « se défouler » à dire ce que l’on pense. Il manque à l’esprit cette stabilité qui permet d’accueillir les pires pensées. Quand nous en sommes capables, nous voyons clairement que nos problèmes ne sont pas « personnels ».

Mentalement, nous pouvons amener la peur et la colère jusqu’à leurs limites absurdes et voir alors qu’elles ne sont qu’un enchaînement naturel de pensées. Nous accueillons délibérément toutes les choses dont nous avons peur, non pas aveuglément mais en témoin, en les écoutant et les observant comme les « conditions mentales » qu’elles sont et non comme des problèmes ou des échecs personnels.

Dans notre pratique nous apprenons à observer les pensées puis à les laisser passer.

Donc, dans notre pratique, nous apprenons à ne plus saisir nos pensées obsessionnellement mais à les observer puis à les laisser passer. Il ne s’agit pas non plus d’aller chercher des sujets d’investigation mais quand les pensées se présentent d’elles-mêmes de manière répétitive, quand elles vous obsèdent et vous dérangent et que vous sentez l’envie de vous en débarrasser, mettez-les au contraire plus en lumière.

Pensez-y consciemment et écoutez ce qui vient à l’esprit comme si vous écoutiez une vieille commère parler : « Nous avons fait ceci et nous avons fait cela et puis nous avons fait ceci et puis nous avons fait cela … » et la vieille dame n’en finit pas de radoter !

Exercez-vous à écouter simplement le son de cette voix sans la juger. N’allez pas penser : « Oh, j’espère que ce n’est pas moi, que ce n’est pas ma vraie nature » ni essayer de la faire taire :
« Vieille râleuse, fiche le camp ! » Nous avons tous cette tendance ; je l’ai moi aussi. Mais ce n’est qu’un phénomène conditionné tout à fait naturel, pas une personne. Notre tendance à nous lamenter — « Je me donne tellement de mal et personne n’apprécie ce que je fais » — est donc une condition, pas une personne.

Quand vous êtes de mauvaise humeur, vous constatez souvent que les gens font tout de travers et même quand ils font les choses bien, ils les font mal ! C’est encore une condition de l’esprit, pas une personne. La mauvaise humeur, cet état d’esprit désagréable, n’est qu’une condition qui, comme toutes les conditions, est anicca (changeante), dukkha (insatisfaisante) et anatta (sans identité propre).

Et puis il y a la peur de ce que les autres vont penser de vous si vous arrivez en retard. Vous avez oublié de vous réveiller, vous entrez et vous commencez à vous demander ce que les autres vont penser de vous et de votre retard — « Ils croient que je suis paresseux ». S’inquiéter de ce que pensent les autres est aussi une condition du mental. Ou bien vous êtes toujours à l’heure et quelqu’un arrive en retard et vous vous dites : « Il est toujours en retard celui-là. Il ne pourrait pas être à l’heure, pour une fois ! ». C’est encore une condition du mental.

J’aborde ces choses triviales pour les mettre en pleine lumière parce que nous avons tendance à les refouler du fait de leur trivialité et parce que les choses triviales ne nous intéressent pas. Mais voilà, quand on ne s’y intéresse pas, elles sont réprimées et finissent par causer un problème. Nous commençons à être inquiets, mécontents de nous et des autres ou bien déprimés et tout cela vient de notre refus d’accueillir consciemment les conditions mentales, les petites choses comme les choses horribles.


Amenez le doute à la lumière de votre conscience

Et puis il y a le doute, cet état d’esprit qui fait que l’on ne sait jamais quoi faire : doute, peur, incertitude, hésitation. Amenez délibérément cet état d’incertitude à la lumière de votre conscience, détendez-vous en voyant clairement que « Bon, c’est là que j’en suis en ce moment », sans rien saisir. Laissez tomber toutes les pensées de type : « Que devrais-je faire ? Rester ou partir ? Faire ceci ou faire cela ? Devrais-je faire anapanasati ou vipassana ? » Observez toutes ces pensées et posez-vous plutôt des questions sans réponse comme : « Qui suis-je ? » Prenez conscience de cet espace vide avant même que vous commenciez à penser — « Qui ? » — soyez sur le quivive, fermez les yeux et juste avant de penser « qui », regardez, observez : l’esprit est complètement vide, n’est-ce pas ?
Et puis « Qui suis-je ? » et puis l’espace après le point d’interrogation.

Cette question vient du vide et repart dans le vide. Quand vous êtes piégé par le flot habituel des pensées, vous êtes incapable de les voir poindre. Tout ce que vous pouvez faire, c’est attraper une pensée quand vous vous rendez compte que vous êtes en train de penser. Alors je vous propose de penser volontairement à quelque chose.


Prenez conscience du début de la pensée avant même de l’avoir pensée.

Vous pouvez vous dire par exemple : « Qui est le Bouddha ? ». Pensez à cela délibérément et voyez le début de la formation de la pensée, la fin et l’espace tout autour. Ainsi vous apprenez à observer pensées et concepts avec recul, au lieu d’y réagir.

Imaginons que vous soyez en colère contre quelqu’un. Vous vous dites : « C’est ce qu’il a dit, il a dit ceci et il a dit cela et ensuite il a fait ceci et il n’a pas fait cela correctement et
il a fait cela tout de travers, il est tellement égoïste … et je me rappelle ce qu’il a fait à untel et puis … ». Une chose en entraîne une autre et vous voilà pris dans un enchaînement interminable d’associations de pensées et de concepts, animé par le ressentiment.

Alors plutôt qu’être piégé par ce flot incontrôlable, limitez-vous à une simple pensée consciente : « C’est la personne la plus égoïste que je connaisse » et puis stop, terminé ! Laissez tomber le : « C’est un pourri, un sale type, il a fait ceci et il a fait cela …» Vous voyez vous-même comme c’est drôle, n’est-ce pas ? Quand je suis arrivé à Wat Pah Pong monastère de Ajahn Chah) la première fois, j’avais de fortes montées de colère et- de ressentiment. Je me sentais tellement frustré parfois, du simple fait de ne pas comprendre la langue ni ce qui se passait autour de moi. Et puis je refusais de me conformer aux règles comme j’étais censé le faire, j’étais furieux.

Il arrivait qu’Ajahn Chah parle pendant des heures d’affilée en lao. Nous devions rester assis sans bouger et mes genoux me faisaient horriblement souffrir. Alors des pensées s’élevaient : « Pourquoi n’arrête-t-il pas de parler ? Je croyais que le Dhamma était simple, alors pourquoi faut-il qu’il discute pendant des heures ? ». Je critiquais tout et tout le monde et puis, un jour, j’ai commencé à à observer ces pensées. Je me suis écouté être en colère, critiquer les autres, être méchant ou rancunier : « Je ne veux pas de ceci, je ne veux pas de cela, je n’aime pas ça, je ne vois pas pourquoi je devrais m’asseoir ici, je ne veux pas qu’ils m’agacent avec
cette idiotie … » et ainsi de suite. Et je me disais : « Celui qui pense tout cela n’est pas très sympathique. C’est comme ça que tu veux être ? Comme cette machine à râler, à critiquer et à
juger ? C’est le genre de personne que tu veux être ? » et la réponse était : « Non, je ne veux pas être comme ça. »

Il m’a d’abord fallu mettre ces pensées en pleine lumière pour les voir vraiment telles qu’elles étaient — un enchaînement conditionné — au lieu de m’y identifier. Avant cela, je me sentais très content de moi et quand on est sûr d’avoir raison et que l’on s’indigne des erreurs des autres, il est facile de croire à la réalité de nos pensées. « Je ne vois pas à quoi ça sert, après tout le Bouddha a dit … Le Bouddha n’aurait jamais permis cela, lui ; je connais le Bouddhisme, quand même ! »

Amenez ces pensées clairement à la conscience, voyez-les jusqu’à en percevoir l’absurdité et puis vous aurez du recul et tout deviendra très amusant. Vous comprendrez de quoi sont faites les comédies ! Nous nous prenons beaucoup trop au sérieux : « Je suis une Personne Très Importante, ma vie est si importante que je dois tout prendre très sérieusement. Mes problèmes sont si graves, vraiment très graves ; je dois y consacrer beaucoup de temps parce qu’ils sont très sérieux. »

Quand vous arrivez à penser ainsi consciemment, vous percevez enfin l’aspect à la fois drôle et stupide de ce type de pensées, vous savez bien au fond que vous n’êtes pas si exceptionnellement important que cela — aucun d’entre nous ne l’est.

Quant aux problèmes que nous nous créons dans la vie, ce sont généralement des broutilles.


Certaines personnes sont capables de se gâcher la vie en s’inventant des problèmes à l’infini et en les prenant très au sérieux.

Si vous croyez être quelqu’un de sérieux et d’important, vous ne voulez rien avoir à faire avec les choses triviales et stupides.

Si vous souhaitez être quelqu’un de bien, un saint, vous allez réprimer toutes les mauvaises pensées pour les éliminer de votre esprit. Si vous voulez être aimant et généreux, tout signe de mesquinerie, de jalousie ou d’avarice va être immédiatement refoulé.

Soyez donc particulièrement attentif à tout ce que vous ne voulez surtout pas être dans la vie, pensez-y, observez ces choses quand elles montent en vous. Et puis avouez-le : « Je veux être un tyran ! », « Je veux être un trafiquant d’héroïne ! », « Je veux appartenir à la Mafia ! » …

Tout ce qui vient ! Ce n’est plus le contenu des pensées qui importe mais le fait qu’elles aient pour caractéristique d’être une condition impermanente ; elles sont également insatisfaisantes car rien en elles ne peut véritablement vous satisfaire ; et enfin, comme elles vont et viennent à leur gré, il est évident qu’elles n’ont pas d’identité propre.

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