La vision intérieure par la méthode naturelle:
Célèbre moine bouddhiste,
Buddhadasa Bhikkhu fut l’un des premiers à promouvoir la compréhension mutuelle entre les religions par le dialogue entre personnes de différentes confessions et il était hautement respecté dans le monde entier. Il a quitté son monastère pour redécouvrir l’insertion du bouddhisme dans le monde et l’esprit de ses origines. L’accent qu’il a mis sur l’interdépendance de toutes choses a fait de lui un des précurseurs de la pensée écologique et un apôtre de la paix entre les nations. Ses écrits, traduits et publiés dans de nombreuses langues, ont exercé une influence considérable sur le renouvellement de la pensée bouddhiste. Les réflexions qu’il a exprimées ont le potentiel de guider non seulement la Thaïlande, mais aussi toutes les sociétés qui luttent pour la création d’un ordre social, politique et économique juste et équitable.
L'enseignement qui va suivre de Achaan Buddhadasa, est extrait du livre de Jack Kornfield " Dharma Vivant" et a été scanné et publié par : Vivre le Dhamma :Pour une commodité de lecture sur le web, le texte a été divisé en chapitres qui n’apparaissent pas dans l’original
La concentration naturelle
Nous allons voir ici comment il est possible de se concentrer par la méthode naturelle ou en fonctionnant suivant une pratique construite et organisée.
Le résultat final est le même : l’esprit est concentré et prêt à mener une introspection précise. Mais il faut ici formuler une remarque : la concentration naturelle est généralement suffisante pour le développement de la vision intérieure, tandis que la concentration résultant d’une formation organisée est généralement excessive par rapport à l’utilisation envisagée.
De plus, il arrive que cet état extrêmement concentré génère chez le méditant un sentiment de très grande satisfaction. Un esprit pleinement concentré est susceptible de connaître un tel sentiment de bien-être que le méditant risque de s’y attacher, ou d’imaginer qu’il est l’aboutissement de la voie, le nirvana.
La concentration naturelle est suffisante pour pratiquer l’introspection et ne présente aucun des désavantages inhérents à la concentration poussée dérivée d’une pratique intensive.
Les Écritures se réfèrent souvent à des hommes qui ont atteint naturellement les divers stades de l’éveil. Cela s’est souvent produit en présence du Bouddha, mais aussi par la suite en présence d’autres maîtres. Les disciples auxquels cela est arrivé n’étaient pas partis méditer dans la forêt pour pratiquer assidûment la concentration sur des objets précis, selon les méthodes décrites dans les manuels.
Il est clair que c’est sans le moindre effort que les cinq disciples du Bouddha atteignirent l’éveil en entendant son discours sur le non-soi. La vision intérieure pénétrante leur est venue naturellement. Ces exemples nous montrent bien que la concentration naturelle peut se développer d’elle-même au moment où l’on essaie de comprendre clairement quelque chose, et que la vision intérieure qui en résulte peut être aussi durable qu’intense.
Elle se manifeste naturellement, automatiquement, tout comme l’esprit se concentre au moment où nous nous apprêtons à exécuter un exercice d’arithmétique ou que nous visons la cible avant de tirer un coup de fusil : l’esprit se concentre et se calme immédiatement. C’est ainsi que se manifeste la concentration naturelle spontanée. En temps normal, nous n’y prêtons pas attention parce qu’elle semble n’avoir rien de magique, de miraculeux ni d’impressionnant. Mais le simple pouvoir de cette concentration naturelle pourrait nous permettre à tous d’atteindre la délivrance. Nous pourrions conquérir la récompense suprême qu’est la libération, le nirvana, le plein éveil, grâce à la seule concentration naturelle.
Donc, ne pas négliger cette concentration naturelle spontanée. La plupart d’entre nous la possèdent déjà ou sont capables de la développer rapidement. Nous pouvons l’utiliser, comme la plupart des éveillés de jadis, en ignorant tout des techniques de concentration modernes.
la nature des étapes de la prise de conscience
Observons maintenant la nature des étapes de la prise de conscience interne qui nous conduisent à la vision intérieure complète du « monde », c’est-à-dire des cinq agrégats.
Le premier stade est la joie
Le premier stade est la joie, le bonheur mental ou le bien-être spirituel. Faire le bien, donner une aumône (la forme la plus minimale de l’acquisition de mérites) peuvent être source de joie. Au niveau supérieur, la morale, soit la conduite irréprochable en paroles et en actions, suscite une joie encore plus grande.
Par-delà ce stade, on atteint la joie de la concentration, la découverte du grand plaisir que l’on ressent dès les premiers niveaux de la concentration.
L’extase a le pouvoir de susciter la tranquillité. En temps normal, l’esprit ne connaît pas de retenue, asservi qu’il est à toutes sortes de pensées et de sensations liées aux séductions du monde extérieur. Son état normal est l’agitation, et non le calme. Mais le calme et la stabilité progressent en proportion de la joie spirituelle. Lorsque la stabilité est parfaite, la concentration l’est aussi. L’esprit est tranquille, calme, souple, maîtrisé, léger et satisfait. On peut alors l’utiliser pour poursuivre un but, et notamment pour éradiquer les souillures, ou états mentaux négatifs.
Cet état d’extase et de paix ne rend pas l’esprit muet, dur comme un roc. Rien de cela. Le corps se sent dans son état normal, mais l’esprit est particulièrement calme et disposé à la réflexion et à l’introspection. Il est parfaitement clair, serein, apaisé et maîtrisé. Il est prêt au travail, à la connaissance. Tel est le niveau de concentration auquel il faut tendre, et non celui du méditant concentré, raide comme une statue, privé de ses facultés de perception.
Dans une posture de ce type, il est impossible d’entreprendre un quelconque travail d’introspection. Un esprit profondément concentré ne peut pratiquer l’introspection. Il est dans un état de non-perception et totalement inutilisable pour la vision intérieure. La concentration profonde est un obstacle majeur à la pratique de la vision intérieure.
Pour pratiquer l’introspection, il faut tout d’abord revenir à une concentration plus superficielle, on pourra alors utiliser la puissance intellectuelle acquise. La concentration élevée n’est qu’un outil. Ce qu’il nous faut est un esprit calme, stable, si bien préparé au travail que lorsqu’on se met à la pratique de la vision intérieure, on parvient à la juste compréhension du monde entier. On aboutit alors à la vision intérieure naturelle, du même type que celle dont avaient bénéficié quelques contemporains du Bouddha en écoutant ses discours.
Cette concentration permet le type de pensée et d’introspection qui conduisent à la compréhension, sans miracle ni procédures cérémonieuses.
Cela ne veut pas dire pour autant que la vision intérieure se manifestera immédiatement. On ne peut être éveillé d’un seul coup. La première étape de la connaissance peut se produire à n’importe quel moment, mais cela dépend toujours de l’intensité de la concentration et de la manière dont elle est utilisée. Si concentré et clairvoyant que l’on soit, la manifestation de la vision intérieure est quelque chose de très particulier, d’extraordinairement clair et profond. Si la connaissance que l’on a acquise est la connaissance juste, elle correspondra à l’expérience directe de la réalité et, avec la pratique, elle progressera jusqu’à la compréhension juste et vraie de tous les phénomènes.
Si le développement de la vision intérieure reste limité, celle-ci pourra tout de même transformer quelqu’un en saint, ou au moins en homme à l’esprit élevé, ou en un homme ordinaire plein de qualités. Aujourd’hui même, si l’on développe les qualités de l’esprit dans un environnement favorable, il est possible de devenir pleinement éveillé. Tout dépend des circonstances.
Mais quoi qu’il en soit, si l’esprit dispose de cette concentration naturelle, le facteur que l’on appelle vision intérieure doit obligatoirement se manifester et correspondre plus ou moins étroitement à la réalité. Si nous autres méditants écoutons, considérons et étudions sérieusement le monde, l’esprit et le corps ou les cinq agrégats dans le but de comprendre leur vraie nature, la connaissance acquise dans un état calme et concentré ne pourra être source d’erreurs, et nous sera dans tous les cas bénéfique.
vision du caractère transitoire, déplaisant et étranger
L’expression « vision intérieure de la véritable nature des choses » se rapporte à la vision du caractère transitoire, déplaisant et étranger au « soi » de toutes choses, au fait que rien ne mérite d’être obtenu, d’être vécu, au fait de voir qu’aucun objet ne mérite qu’on s’y attache pour ce qu’il est ou parce qu’il est bon ou mauvais, attirant ou repoussant. Aimer ou détester quelque chose, ne serait-ce qu’une idée ou un souvenir, est de l’attachement. Dire que rien ne vaut la peine d’être ou d’être obtenu, c’est dire que rien ne mérite que l’on s’y attache. « Obtenir », c’est attacher son cœur à la propriété, à une situation, à la fortune ou à un objet plaisant. « Être », c’est s’attacher à la conscience de l’image de soi, s’identifier à son statut d’époux, d’épouse, de riche, de pauvre, de gagnant, de perdant, d’être humain ou même à la conscience d’être soi.
le fait d’être soi n’a rien de drôle
Si nous y regardons de près, le fait même d’être soi n’a rien de drôle, au contraire, car essayer d’être quelqu’un est source de souffrance. Si l’on parvient à se détacher totalement de l’idée d’être soi, ou une image quelconque de soi, on ne souffre plus.
C’est pour cela qu’il est utile de concevoir l’inutilité d’être quoi que ce soit, et c’est la raison d’être de la formule selon laquelle être quelque chose, n’importe quoi, ne peut être qu’une source de souffrance liée à cette forme d’être particulière. S’il y a « soi », il y a forcément d’autres choses qui ne sont pas « soi » ni « à soi ». Ainsi, on a des enfants, une femme, un ceci, un cela. On a donc des devoirs en tant qu’époux, épouse, maître ou serviteur... Il n’y a aucun état d’être que l’on puisse conserver sans lutte. Les difficultés et les luttes liées à la conservation d’un état d’être ne sont que le résultat de notre obsession aveugle des choses, de l’attachement aux choses.
continuer à exister en cessant
Mais comment continuer à exister en cessant d’essayer d’être ou d’obtenir des choses ? Celui qui n’a pas réfléchi à ce problème risque fort de ne pas trouver la réponse. Les mots « obtenir » et « être » sont fondés sur les états mentaux négatifs, sur le désir, sur l’idée de « mérite d’être obtenu, mérite d’être » qui poussent l’esprit à « obtenir » et à « être » avec obstination. Le résultat ne peut être que dépression, angoisse, désarroi et trouble, ou du moins un lourd fardeau pour l’esprit. Connaissant la vérité, nous devons toujours être sur le qui-vive, surveiller l’esprit - pour qu’il ne se laisse plus asservir à « obtenir » et « être » par le biais de l’attachement. Nous devons faire preuve de courage pour rester à l’écart de ces influences malsaines. Mais si nous ne sommes pas encore assez forts pour renoncer complètement à avoir et à être, nous devons être attentifs et clairvoyants de manière à ce que lorsque nous obtenons ou que nous devenons quelque chose, nous soyons le moins investi possible, et que l’émotion soit réduite au minimum.
Le monde, et toutes choses n’appartiennent à personne
Le monde, et toutes choses, sont impermanents, inintéressants et n’appartiennent à personne. Tout individu qui désire et s’attache à quelque chose en souffrira - dès le début, dans son premier désir d’avoir ou d’être cette chose, puis quand il s’engage dans le processus de l’avoir ou de l’être, et enfin après quand il a obtenu ou qu’il est devenu cette chose ou cet état. Avant, pendant et après, celui qui s’attache est lié comme par une chaîne et souffrira lorsque ce à quoi il s’est attaché disparaît.
Il en va de même avec la bonté, à laquelle pourtant tout le monde attache une grande valeur. Celui qui s’implique dans le bien d’une manière erronée et s’y attache exagérément souffrira autant de ce bien que si c’était un mal. Souvenons-nous de cela si nous voulons nous impliquer dans le bien, et prenons garde de ne pas nous attacher à nos bonnes actions.
Un sceptique pourrait me demander : « Si aucune chose ne mérite d’être obtenue et aucun état d’être désiré, cela veut-il dire que personne ne doit travailler pour obtenir fortune, situation et biens ? » Or, si l’on comprend de quoi il est question, on voit bien que celui qui dispose d’une compréhension juste est bien mieux placé pour effectuer toutes les tâches qui doivent être accomplies dans le monde que celui qui est soumis à des désirs exigeants, qui se montre irresponsable et inintelligent.
Rien ne nous empêche de travailler et d’agir dans le monde
Rien ne nous empêche de travailler et d’agir dans le monde, mais nous devons toujours être attentifs aux affaires dans lesquelles nous sommes impliqués, et nos actions ne doivent pas être motivées par le désir. Nous pouvons alors observer les résultats de notre travail de manière naturelle, non obsessionnelle.
Le Bouddha et ses disciples éveillés étaient entièrement libérés de tout désir, mais parvenaient tout de même à accomplir des choses bien plus utiles qu’aucun d’entre nous. Si nous nous penchons sur l’emploi du temps du Bouddha, nous constatons qu’il ne dormait que quatre heures par jour et passait tout le reste de son temps à travailler.
Quant à nous, nous consacrons plus de quatre heures par jour à nous distraire.
La sagesse discriminante
Puisque le Bouddha et ses disciples éveillés étaient parvenus à éradiquer totalement leurs états mentaux négatifs, responsables du désir d’être quelqu’un ou d’obtenir quelque chose, quelle est donc la force qui les motivait ? Ils étaient motivés par la discrimination, ou la sagesse associée à la bonne volonté (metta).
Les actions fondées sur les besoins corporels naturels, comme de recevoir et de manger de la nourriture, étaient elles-mêmes motivées par la discrimination. Ils étaient libres de tout état mental négatif, libres de tout désir de continuer à vivre pour devenir ceci ou cela ; mais ils étaient capables d’opérer la distinction entre ce qui vaut la peine et ce qui ne vaut pas la peine, et c’était là la force qui envoyait leur corps sur la route pour mendier la nourriture. S’ils en trouvaient, tant mieux. S’ils n’en trouvaient pas, tant pis.
Quand ils avaient la fièvre, ils savaient comment se soigner, et agissaient du mieux possible en fonction de leurs connaissances. Mais si la fièvre était insurmontable, ils savaient que la mort est naturelle et qu’au bout du compte, nous perdons la maîtrise de notre corps. Etre vivant ou mort ne signifiait rien pour eux, les deux étant de valeur égale. Ils étaient sans désirs.
Si l’on veut se libérer entièrement de la souffrance, c’est bien la meilleure attitude que l’on puisse adopter. Il n’y a pas besoin d’idée d’un « soi » qui serait maître du corps, seule la sagesse discriminante permet au corps de continuer à vivre par sa force naturelle.
C’est cette sagesse discriminante qui permet le déroulement naturel des processus corporels et mentaux et qui permet de les observer sans attachement et sans désirs.
L’exemple du Bouddha montre que le pouvoir de la discrimination et de la bonne volonté suffit à maintenir en vie un être libéré de ses désirs, et, qui plus est, à lui permettre de faire beaucoup plus de bien que ceux qui sont toujours soumis à leurs désirs. Les personnes soumises à des états mentaux négatifs ne font que ce qui leur profite, car ils agissent par égoïsme. En revanche, les actes de l’éveillé, ignorant le soi, sont d’une pureté parfaite.
Lorsque l’homme qui vit dans le monde entend dire qu’aucun objet ni aucun état ne méritent d’être désirés, il n’est pas convaincu. Il n’y croit pas. Mais celui qui comprend le sens profond de cette affirmation la trouve stimulante et réjouissante. Son esprit se rend maître des choses et indépendant. Il est capable d’effectuer un travail quelconque, car il sait qu’il ne se laissera pas asservir par lui.
La raison pour laquelle il nous est presque impossible d’accomplir parfaitement un travail, sans la moindre erreur, est que nous sommes mus par le désir d’obtenir ou d’être quelque chose, poussés par notre désir. C’est pour cela que nous ne pouvons être maîtres de nous-mêmes et ne pouvons être constamment bons, honnêtes et justes. Toutes les ruines, tous les échecs sont causés par l’esclavage du désir.
La connaissance de la véritable nature des choses
La connaissance de la véritable nature des choses est l’objectif de tout bouddhiste, le moyen de sa délivrance. Que nous aspirions à des avantages mondains comme la fortune, la situation, la réputation, ou au bénéfice supra mondain du nirvana, le fruit de la délivrance, le seul moyen de réaliser ce souhait est la connaissance et la vision intérieure.
La vision intérieure est pour nous source de prospérité. Il est dit dans les Écritures que seule la vision intérieure peut nous purifier. Nous ne possédons des choses et ne sommes quelque chose qu’en termes de vérité mondaine, relative. Nous disons couramment que nous sommes ceci ou cela pour la simple raison que la société trouve plus commode de nous identifier par nos noms et nos occupations.
Mais nous ne devons pas croire que nous sommes réellement ceci ou cela. Ce serait nous conduire comme des criquets, qui, lorsqu’ils ont la tête couverte de boue, sont égarés et se mordent les uns les autres jusqu’à la mort. Quand nous, humains, avons la face couverte de boue, quand nous nous laissons prendre au piège des illusions et des désirs, nous sommes si désorientés que nous agissons à l’inverse de notre comportement habituel et que nous pouvons aller, par exemple, jusqu’au meurtre.
Ne nous laissons donc pas aller à nous attacher à des vérités relatives, qui sont essentielles pour communiquer dans la société mais ne peuvent servir qu’à cela. Nous devons prendre conscience de la véritable nature du corps et de l’esprit, afin de nous en détacher.
Quant à la fortune et à la situation dont nous avons l’impression de ne pas pouvoir nous passer, considérons-les comme des vérités relatives de manière à perdre l’habitude de dire : « Ceci appartient à un-tel, ou à telle ou telle catégorie. » La loi se charge de gérer la propriété ; nous n’avons pas besoin de nous attacher à l’idée de « mien ».
Nous ne devrions posséder des choses que pour notre bien-être, et ne pas laisser les choses se rendre maîtres de notre esprit. Lorsque nous avons cette connaissance claire, les choses deviennent nos serviteurs, nos esclaves, et nous pouvons les utiliser plutôt que de nous laisser asservir par elles.
Si nos pensées tendent au désir et à l’attachement, que nous avons conscience d’avoir et d’être ceci ou cela, et que nous nous attachons à ces idées, les choses finiront par nous utiliser. Nous passerons notre vie à essayer d’acquérir et à craindre de perdre divers biens, notre réputation, notre fortune ou autre chose, et deviendrons leur esclave. Nous devons gérer les choses de manière à garder notre indépendance, à dominer les choses. Sinon, nous nous trouverons dans une situation fort peu enviable quand ces choses disparaîtront ou cesseront d’être, comme toutes choses.
émancipation
Lorsque nous avons réussi à percevoir clairement que rien ne mérite d’être désiré, le détachement croit en proportion de notre vision intérieure. L’attachement a enfin commencé à régresser. C’est là un signe que notre esclavage a déjà duré si longtemps que l’idée de nous en libérer nous est enfin venue. Ce désenchantement et cette désillusion peuvent enfin se manifester lorsque nous sommes las de notre entêtement stupide à nous attacher aux choses. Nous voulons nous défaire de ces filets dans lesquels nous avons été retenus prisonniers. Ce processus de rupture ou de séparation des objets de l’attachement était appelé par le Bouddha « émancipation ». C’est une étape des plus importantes, un stade décisif vers la délivrance finale.
Une fois délivrés de nos attachements aux formes, aux sensations et aux idées, nous ne pouvons plus être esclaves du monde. Nous sommes purs, décontaminés de toutes les souillures que sont l’envie, la colère et l’erreur. Quitter l’esclavage pour jouir du goût merveilleux du monde sans désir, c’est réaliser notre pure condition naturelle. Cette pureté réelle donne alors naissance à un calme et une sérénité que rien ne peut plus troubler. La délivrance de l’oppression et de la turbulence était ce que Bouddha appelait simplement « la paix ». Le calme, la paix, une certaine manière de goûter au nirvana pendant notre vie.
Nirvana
Le mot nirvana a été traduit par « absence de tout instrument de torture ». Mais on peut aussi le traduire par « extinction sans reste » : d’abord, l’absence de source de tourments, la délivrance de toutes les formes de contraintes et de limites, et ensuite l’extinction, sans aucun combustible pour alimenter le retour de la souffrance. Si l’on relie les deux sens du mot, on aboutit à la notion de liberté complète. Il y a quelques autres sens très utiles du mot nirvana : l’extinction de la souffrance, l’éradication des souillures, ou encore l’état, le royaume, ou la condition qui est la cessation de toute souffrance, de toute souillure, et de toute activité karmique.
De nombreuses sectes utilisent le mot nirvana, mais parfois avec des sens différents. Pour un groupe, il voudra dire calme et tranquillité, parce qu’il identifie le nirvana avec la concentration profonde. Pour d’autres c’est l’absorption complète dans les sens qui serait le nirvana.
Le Bouddha a défini le nirvana comme étant simplement la condition de la délivrance de notre esclavage, de nos tourments et de la souffrance, l’état qui résulte de la vision de la véritable nature des choses et nous permet de renoncer à tout attachement. Il est donc indispensable de cultiver la vision intérieure par un moyen ou par un autre.
la voie naturelle
L’une des méthodes consiste à faire en sorte que la vision intérieure se révèle à nous par elle-même, naturellement, en cultivant nuit et jour la joie dérivée de la pureté mentale, jusqu’à ce que les qualités décrites se manifestent progressivement.
L’autre méthode consiste à développer nos pouvoirs mentaux en adoptant une pratique de concentration ou de culture de la vision intérieure. Dans de bonnes conditions, certains pourront tirer profit de cette dernière méthode.
Mais il est toujours possible de pratiquer le développement de la vision intérieure par la voie naturelle - en nous contentant de mener une vie si pure et honnête que nous connaissons successivement la joie, le calme, la vision intérieure de la vraie nature des choses, le désenchantement, le retrait, la fuite, la purification des souillures et enfin la paix du nirvana. C’est le moyen de nous libérer progressivement de la souffrance et de nous rapprocher de la perfection intérieure, du nirvana, de jour en jour, de mois en mois, d’année en année.
Pour compléter notre explication sur l’apprentissage de la vision intérieure, nous devons évoquer ici les systèmes organisés qui n’ont pas été enseignés par le Bouddha mais par des maîtres ultérieurs.
Ce type de pratique convient à des gens qui débutent à un niveau très bas, qui ne sont pas capables de percevoir naturellement, de leurs propres yeux, le caractère insatisfaisant de la vie mondaine.
Cela ne veut pas dire qu’il soit impossible d’obtenir les mêmes résultats par la méthode naturelle ; la seule méthode dont il est question dans les écritures est en effet la méthode naturelle.
Certains trouvent la méthode naturelle difficile à comprendre, ou pensent que la vision intérieure naturelle ne peut être développée que par des êtres extraordinairement vertueux ou pour qui la pleine compréhension des choses serait un jeu d’enfant.
Que faire donc si l’on n’a pas les vertus ou les qualités nécessaires ? C’est pour des personnes de ce type que les maîtres ont élaboré des systèmes de pratique, des cours précis que l’on doit suivre du début à la fin.
Vipassana
Le terme technique qui désigne aujourd’hui ces pratiques de développement de la vision intérieure s’appelle Vipassana. Vipassana s’oppose à l’étude intellectuelle, les deux étant aujourd’hui considérés comme des volets complémentaires de la formation. Vipassana est le travail réalisé à l’intérieur de soi ; c’est une formation mentale au sens strict, qui n’a rien à voir avec les manuels. Les écritures ne mentionnent directement ni Vipassana ni l’étude intellectuelle, mais tous deux apparaissent dans des textes plus récents.
Cependant, Vipassana est une pratique bouddhiste authentique, conçue pour des gens qui cherchent à éradiquer la souffrance. Elle se fonde sur l’introspection concentrée et continue. Les maîtres qui voulaient expliquer ce qu’était Vipassana s’appuyaient sur une série de questions : Quelle est la base, le fondement de Vipassana ?
Quelles sont les caractéristiques qui nous permettent de dire que ceci est bien Vipassana ?
Quelle est l’activité que l’on appelle Vipassana ?
Quel est le résultat ultime que l’on attend de Vipassana
Notre réponse en ce qui concerne le fondement de Vipassana serait : la morale et la concentration. Vipassana signifie « vision intérieure claire » et se rapporte à la vision claire qui s’offre à un esprit plein de joie et débarrassé de ses états mentaux négatifs.
La joie se développe à partir de la pureté morale, qui est une condition préalable nécessaire. Cela est dit dans les Écritures bouddhiques, où la pratique est décrite comme une série d’étapes appelées les sept purifications, culminant dans le nirvana. Pour les maîtres, la pureté morale correspond à la première des sept purifications.
Lorsque l’on est parvenu à l’apaisement des activités corporelles et de la parole, on aboutit à la tranquillité mentale, qui induit à son tour les autres étapes de la purification : délivrance des conceptions erronées, délivrance du doute, connaissance de la juste voie à suivre par opposition aux voies détournées, connaissance et vision de sa progression au long du chemin, et enfin vision intérieure intuitive totale.
Ces cinq dernières étapes sont le propre de Vipassana. La purification du comportement et de l’esprit n’est que la voie d’entrée dans Vipassana.
De nombreux maîtres bouddhistes enseignent aujourd’hui le développement de la vision intérieure. La pratique débute par des exercices de concentration comme par exemple l’attention à la respiration, puis des pratiques de vision intérieure Vipassana.
Dans d’autres systèmes la méditation est dès l’abord orientée sur la vision intérieure. Le méditant qui veut entreprendre la pratique se rend en général pour quelque temps dans un centre de méditation ou dans un lieu isolé.
Au cours de cette retraite, il s’adonne à la méditation intensive pour équilibrer son esprit et atteindre l’expérience supra mondaine, la délivrance du nirvana. Lorsque le méditant pratique par la méthode naturelle en un lieu isolé, il devra de toute manière un jour intégrer Vipassana et pratiquer l’attention dans sa vie quotidienne.
Le sage, en vérité, n’a ni passé ni futur ; il voit que la liberté consiste à comprendre qu’il n’y a rien à perdre ni à gagner, rien à obtenir, et rien à devenir. Que cette connaissance soit la cause du véritable bonheur et de la libération de tous les êtres.