mercredi 24 septembre 2008

LES EMOTIONS


Extraits choisis de "LES EMOTIONS" : Questions/réponses par Ajahn Akincano Bhikkhu



Question
Comment explique- t-on l’apparition, d’une émotion… Par exemple, il y a-t-il d’abord une impression sensorielle, ensuite la perception qui va chercher dans un catalogue, et puis un des éléments du catalogue qui a une connotation émotionnelle forte ressurgit ?


Réponse
Je pense qu’on trouve les raisons de nos émotions dans notre sensibilité. Il y a une capacité de résonance affective en nous, qui fait partie de notre être, qui fait partie de notre existence, et qu’on développe très vite. On n’a pas besoin des références du catalogue comme vous le dites.
Souvent cela se produit comme ça, car en fait on peut démontrer des émotions : il n’y a pas de référence.(...)

Certaines de nos émotions viennent à travers des références de catalogues, mais il y a aussi je pense, une émotivité fondamentale dans notre être, qui est là, comme la capacité de donner notre attention.

On peut s’engager dans un questionnement concernant les origines, de la formation des êtres humains, et évidemment la cosmologie bouddhiste a quelques idées à ce sujet.

Fondamentalement on est là parce qu’on n’est pas éveillé et tant que nous ne le serons pas, on va réapparaître. Mais pour la plupart de nous c’est une théorie que l’on ne peut pas vérifier, enfin moi je ne peux pas vérifier cela à travers l’expérience personnelle qui m’est accessible. Je la prends comme hypothèse de travail avec une grande probabilité et je l’ai acceptée en tant que doctrine bouddhiste. (...)

Mais on trouve beaucoup de cas dans l’enseignement du Bouddha (qui diffère fortement d’autres enseignements indiens). Les bouddhistes ne s’intéressent pas trop au « pourquoi » des choses, ni a ce qu’elles sont, ils s’intéressent beaucoup au « comment » quelque chose advient.

Si on regarde l’arrière plan de l’enseignement bouddhiste et des enseignements Védiques et Brahmaniques, on constate que les Brahmans étaient obsédés par la question du quoi, par la quête de l’essence des choses. Ils cherchaient le grand Quid, ils essayaient de trouver l’essence de l’individu, si elle est différente de l’essence du Total, de l’essence de l’Atman, de l’essence de Brahmâ. De toute cette ontologie les bouddhistes se sont totalement désintéressés.

L’enseignement du Bouddha laisse la question du « quoi » complètement de côté, il s’intéresse à « comment » quelque chose fonctionne, comment quelque chose apparaît, disparaît, ce qu’on peut en faire. Quoique ce soit, sur un niveau ontologique, n’a pas vraiment intéressé l’enseignement du Bouddha dans les écritures Pali.

On pourra peut être admettre que quelques écoles tibétaines ont développé un goût pour l’ontologie, mais les enseignements en pâli sont ce qu’on appellerait aujourd’hui, fortement psychologiques. On y trouve quelques affirmations métaphysiques assez claires concernant le Nibbana, que ce Nibbana existe, et aussi au sujet des réalisations des Aryas, des différents stades de leur irréversibilité. Ils ne manquent pas d’affirmations métaphysiques à ce sujet, mais tout le reste de l’enseignement bouddhiste vise directement la compréhension : comment les choses fonctionnent, comment les choses s’enchaînent, comment on peut les désenchaîner, les défaire.

Et c’est très important de savoir qu’il y a ici un grand pragmatisme pourrait-on dire, pour les exercices. Vous voyez, on n’essaie pas de trouver la vraie nature des émotions. On sait que leur vraie nature est qu’elles apparaissent, qu’elles font quelque chose avec nous, on ne peut pas s’en empêcher, et puis qu’elles disparaissent et on se sent un peu plus fatigué après.

Peut être a-t-on réussi à en faire quelque chose, peut être a-t-on échoué, mais en tout cas le carburant est passé, il n’était pas fiable. C’est important, c’est solide, ça pèse lourd... et puis ça a changé.

Toutes mes émotions ont toujours changé, même mon inspiration pour l’enseignement du Bouddha a changé. J’ai subi des changements dans ma vie, il y a eu des moments où j’avais beaucoup plus d’inspiration que quelques années plus tard. Et puis, quand je pensais ne plus dépendre de l’inspiration parce qu’il y avait d’autres choses qui commençaient à fonctionner
dans ma pratique, tout à coup cette inspiration recommençait à grandir parce qu’elle avait gagné un autre goût.

Donc ce qui est intéressant c’est de savoir comment les choses se produisent et à quel niveau nous sommes les acteurs complices dans les choses qui nous font souffrir, et à quel niveau nous sommes capables de cultiver les choses qui nous sont bénéfiques.

Une partie de l’enseignement du Noble Octuple sentier, celui de l’effort émancipatoire, consiste très pratiquement à discerner les états bénéfiques des états non bénéfiques et de soutenir les états déjà apparus comme bénéfiques, de laisser mourir les états non bénéfiques, d’éviter qu’on embarque sur des états non bénéfiques, de donner naissance aux états bénéfiques.

On commence par favoriser ces états, mais en fait, il s’agit d’en faire plus. Le mot Pali Suva, est très révélateur. Ça parle de mettre l’esprit là-dessus, de le prendre, d’en faire beaucoup.


Question
Est-ce qu’on peut dire que le fait d’observer en témoin, les effets d’une émotion lui fera perdre son énergie et finalement lui permettra de s’atténuer et de disparaître ?


Réponse
Oui, on peut dire cela. Parfois cela fonctionne mais parfois non. Cela dépend vraiment de la qualité. Etre témoin de quelque chose veut dire plusieurs choses, par exemple qu’on se tient à l’extérieur. En fait, dans ce cas, on ne témoigne pas vraiment, on voit avec deux doigts, cliniquement, quelque chose qu’on a distancé en soi, qu’on n’a pas vraiment accepté comme sien.

On n’en n’a pas vraiment accepté la responsabilité mais on espère que cela va s’améliorer. On peut dire que c’est un témoignage, on peut dire, qu’on s’y jette vraiment, qu’on voit avec tout. On l’embrasse et on dit : c’est un témoignage. Mais en fait, on a déjà mis en scène. La qualité de ce témoignage dépend beaucoup de notre capacité à attendre, pouvoir attendre quelque chose, c’est directement dû à Sati, à notre capacité d’unifier l’esprit.

Il y a des choses dont on peut témoigner en les laissant passer, sans s’y mêler. Mais pour cela on a besoin d’une situation de culture. Souvent, même toujours, on ne fait pas comme cela on ne témoigne pas, on met en scène.

Le contraire de cette mise en scène serait le refoulement.

Une autre forme de mise en scène serait de voir les choses calmement : maintenant il y a des pensées de colère qui montent et je peux les mettre en scène en les prenant, en les affirmant, en cherchant des raisons, des causes, un bouc émissaire, en fournissant des images. Et puis je commence à me sentir indigné, il y a une sorte d’énergie qui s’empare de moi que peut être j’affirme aussi parce que j’aime bien l’énergie, cela me donne un sentiment de puissance.

J’aime beaucoup plus l’énergie de la colère que l’énergie de la dépression. Donc, une mise en scène et une affirmation subtile du contenu de cette expérience, disons l’image et la pensée, et on finit avec un état physique où le pouls s’accélère, l’adrénaline coule, les yeux se dilatent. Vous reconnaissez les symptômes n’est ce pas ?

Et quand cela s’intensifie jusqu’à un certain point, votre processus cognitif va changer, les visages sont plus accentués, les gens autour de vous ont l’air de caricatures. Il y a tout un processus que je considère comme une mise en scène du contenu d’une première petite pensée.

Or, témoigner d’une manière qui permet à l’émotion de s’épuiser, est un témoignage qui ressent et qui en même temps reste dehors. Quand il s’agit d’un témoignage de cette sorte, très bien, c’est le cas idéal ; on permet aux choses de monter, on les met dans un cadre transparent mais bien fortifié, et puis on reste témoin jusqu’à ce qu’elles meurent.

Elles font leur bruit, elles font leurs mouvements, on dit : « oui, je t’écoute, je vois très bien de quoi tu me parles, tu as toute ma compassion, mais en fait je ne peux pas vraiment te relâcher, ça fait trop de saleté, trop de dégâts. » Et on témoigne de l’apparition, de la durée et la disparition de cet état, tout en restant en contact, on ne ferme pas son coeur.

Mais on ne dit pas : « Ah oui ! Tu as raison… » On reste en contact de manière neutre mais en résonance. C’est très important de comprendre çà, ce n’est pas une stérilité qui est demandée, ce n’est pas la distance et la coupure. Il est nécessaire de rester en contact donc de sentir les vibrations mais pas de les affirmer ou les transmettre à travers les pensées, les actes, ou les mots. C’est en fait une sorte de grande compassion, une compassion prête à sentir ce qui fait mal dedans.

La traduction parfois utilisée pour Vipassana est de voir à travers quelque chose. C’est le cas idéal, quand on permet aux émotions de se montrer. C’est le meilleur des cas, quand on peut se mettre en résonance avec elles, sans les affirmer, sans les magnifier ni les refouler et en même temps rester avec. C’est cela qui est difficile, parce qu’une émotion, mes émotions, je ne sais pas les vôtres, me disent « prends moi au sérieux, fais quelque chose, ne regarde pas seulement, je suis là, il faut faire quelque chose ! » Elles essaient de m’impliquer. Il y a plein de petits crochets, de petites irritations.

En faisant une telle pratique, la valeur de ce que nous essayons de faire dépend directement de notre capacité de nous mettre vraiment en contact avec ce qui se passe. Donc, penser n’aide pas du tout.

Nous ne redoutons pas nos émotions si nous ne faisons que penser à ce qui nous a fait mal ou à ce qui nous a fait du bien. Il faut vraiment un contact aussi physique que possible avec la qualité et la vibration de cette émotion et en même temps, il faut le calme, une stabilité de l’esprit qui ne se fait pas prendre, qui est capable de sentir l’émotion sans se faire phagocyter. Peut-être que cela clarifie un peu la notion de témoignage…

Source : le refuge



1 commentaire:

Abbs a dit…

Nous ne redoutons les emotions nos emotions nous. HCG Diet Info