Ci après des extraits du livre de Mohan Wijayaratna: " Au delà de la mort "
Ce livre "explique" les renaissances et le kamma dans le Bouddhisme théravada + la traduction intégrale de 10 sutta.
Il est mentionné comme étant "indispensable" à la compréhension du Bouddhisme Théravada, dans la liste de livres : ICI
Remarques préalables:
- -Les titres et sous titres ont été ajoutés, (ils ne sont donc pas dans le texte initial) pour facilité la lecture du texte.
- Pour rappel : Kamma est un mot pali (langue originelle du Bouddha) en sanscrit ont dit karma
- Ce message est en quelque sorte le complément ou la suite d'un d'autre message ( plus ancien) de ce blog : Le Kamma
- - Deux suttas à lire, pour une meilleure compréhension du kamma : kammavibhanga Sutta et Sivaka sutta (voir les liens à la fin de ce message)
Chapitre IV du livre : "LES KAMMA(S) SONT-ILS INÉVITABLES ?
Pour un jeune interlocuteur comme Subha Tôdeyyaputta qui n'avait aucune idée sur l'effet causal des actions, les textes rapportent que le Bouddha était obligé d'insister sur la valeur des kammas en disant:
"(...) O jeune homme, les êtres vivants ont les kammas pour biens, ils ont les kammas pour héritage ; ils ont les kammas pour matrice ; ils ont les kammas pour parents ; ils ont les kammas pour recours. Ces sont les kammas qui catégorisent les êtres vivants pour que ceux-ci soient inférieurs ou supérieurs (...)" ( Extrait du kammavibhanga Sutta)
Dans un autre registre, nous lisons également :
(...)Une femme ou un homme, un laïc ou un renonçant, doit toujours refléchir à ceci :
" mes biens sont mes kammas; mon héritagee est mes kammas; ma matrice est mes kammas ; mes parents sont mes kammas; mon recours est mes kammas. Si j'effectue un kamma bon ou mauvais, je deviendrai l'héritier de ce que j 'ai fait. (...)"
En lisant ces passages canoniques, on peut constater la place prépondérante des kammas dans la vie, mais on peut en même temps se poser deux questions importantes :
1- Tout ce qui arrive dans la vie est-il le résultat des anciens kammas ?
2. Les résultats des kammas sont-ils évitables ?
1- Tout ce qui arrive dans la vie est-il le résultat des anciens kammas ?
La réponse à cette question est négative.
Essayons de savoir pourquoi ?
Accepter que tout ce qui arrive dans la vie soit le résultat des anciens kammas signifierait que la vie est prédéterminée par la loi de kammas.
Or, toutes les idées déterministes demeurent étrangères au bouddhisme.
(...) le Bouddha a critiqué et rejeté les niyati-vada enseignées dans divers systèmes philosophico-religieux de son époque.
Les Écritures canoniques nous apprennent également qu’il a dénoncé le pubbakatahetu-vada, c’est-à-dire la doctrine selon laquelle tout arrive à cause des anciens kammas qu’on a effectués.
Ce fatalisme et la théorie selon laquelle tout arrive à cause d’une seule cause furent la cible des critiques du Bouddha. Le bouddhisme se présente dans les Écritures canoniques comme une doctrine qui évoque des raisons multiples.
Il est donc normal qu’à ses yeux, les situations de la vie aient des causes variées, entre autres, les anciens kammas.
A ce propos, un des meilleurs exemples concerne l’explication bouddhiste des maladies.
Nous trouvons la description suivante, dans le Girimananda sutta :
Certaines maladies sont causées par d’anciens kammas, (..) Mais, les anciens kammas ne sont pas l’unique cause des maladies, puisqu’il y en a qui se produisent :
à cause de la bile (pitta-samutthana abadha),
à cause du flegme (semha-samutthana abadha),
à cause de l’air (vata-samutthana abadha),
à cause de l’union des diverses humeurs (sannipataja abadha),
à cause du changement de saisons (utuparir)amaja abadha),
à cause de raisons spasmodiques (opakkamikaabadha) et
à cause d’un comportement mal équilibré (visamapariharaja abadha)
Dans un autre sermon le Bouddha rejette aussi l’idée que les anciens mauvais kammas soient la seule cause des malheurs qu’on éprouve, mais ils se produisent aussi sous l'influence d'autres facteurs:
« Sîvaka, il y a aussi des sensations qui se produisent à cause de la bile, et à cause du flegme ; et à cause de l’air ; et à cause de l’union des diverses humeurs ; et à cause du changement des saisons, et à cause d’incidents irréguliers ; et à cause d’accidents soudains, et aussi à cause de la maturation des kammas. Des religieux et des ’brahmanes proclament que toutes les sensations agréables, désagréables éprouvées par tel ou tel individu dépendent des anciens kammas qu’il a commis. Mais je dis que ces religieux et ces brahmanes qui disent ainsi sont trop loin des faits réels. " ( Extrait du sivaka sutta: pour lire ce sutta en entier, voir liens à la fin du message)
De cette façon, pour le bouddhisme, les résultats des anciens kammas ne constituent pas le facteur unique qui conditionne la vie et l’existence entière de l’être individuel
Cet aspect doctrinal est encore mieux expliqué dans l’Abhidhamma selon lequel la loi de kammas est seulement un des cinq ordres principaux dont les quatre autres sont.
1 l’ordre atmosphérique (utu niyama), c’est-à-dire les phénomènes saisonniers : le vent, les pluies, les sécheresses etc.
2 l’ordre biologique (bija niyama), par exemple les particularités caractéristiques des grains, des fruits des arbres etc., et aussi l’aspect biologique des êtres vivants, y compris des humains.
3 l’ordre physique (dhamma niyama) des phénomènes comme par exemple, la descente de l’eau vers les basses terres, et les autres cas naturels du même genre ;
4 l’ordre psychologique (citta niyama) : le fonctionnement de la pensée, ses pouvoirs, y compris les capacités comme la télépathie, la télesthésie, etc.
Tout cela veut dire que l’effet causal des actions (kamma niyama) constitue une des causes importantes, mais au même titre que les autres causes provenant des quatre autres ordres principaux.
Dans aucun de ces ordres, le bouddhisme ne voit une force déterminante.
Les actions et le fonctionnement d’un ordre peuvent être perturbés, changés, déviés ou rapportés à cause d’actions ou d’interventions des autres ordres. Précisons que l’ordre des effets causals des actions fonctionne en liaison étroite avec l’ordre psychologique de l’être individuel concerné.
Ainsi, lorsque le Bouddha dit que les êtres vivants ont les kammas pour biens, qu’ils ont les kammas pour parents, etc., un tel énoncé général doit être compris comme lorsque nous disons dans la vie quotidienne, « les êtres humains ont l’argent pour biens, ils ont l’argent pour parents » etc.
Cela ne signifie pas que nous disons que tout dans la vie dépend de l’argent, mais que beaucoup de choses dépendent de l’argent.
De même, on peut dire que beaucoup de choses de la vie dépendent des kammas.
D’ailleurs, si le Bouddha dit que « tout dépend des kammas », un tel énoncé est d’une certaine façon exacte pour deux raisons :
-premièrement, tout dans l’existence de l’être individuel dépend de sa volition (celan) et -deuxièmement, toute l’existence de l’être individuel dépend de ses propres actions passées, présentes et futures.
Toutes ces volitions ou ces actions sont désignées dans les sermons par le seul mot : sankhara, un des facteurs importants de la coproduction conditionnée.
2-Les résultats des kammas sont-ils évitables?
Revenons à la seconde question : les résultats des anciens kammas sont-ils évitables ?
La réponse est affirmative.
En Occident, une idée généralement répandue dit que les résultats des kammas sont inévitables et qu’on doit « payer jusqu’au dernier sou » !
Certains auteurs qui ont écrit sur le bouddhisme au début du xxe siècle ont largement contribué à la propagation de cette opinion erronée.
Dans certaines interprétations, cette idée est fondée sur une mauvaise compréhension d’un vers du Dhammapada qui dit ceci : « Nulle part dans l’espace, ni au milieu de l’Océan, ni au fond d’une grotte profonde, n’est trouvée une place sur terre où, en y demeurant, l’on puisse échapper [aux conséquences] des mauvais kammas ».
A une époque où il n’y avait pas une bonne connaissance des textes bouddhiques, certains auteurs qui avaient seulement lu le Dhammapada (sans même lire son commentaire) ont utilisé sans cesse ce vers pour démontrer le danger du fatalisme. bouddhique !
En réalité, le commentaire du Dhammapada nous explique que ce vers a été prononcé par le Bouddha à propos d’un incident provoqué par quelqu’un qui avait commis un kamma très grave dont les résultats étaient imminents. L’idée présentée dans ce vers doit être prise dans son contexte car elle ne concerne pas tous les kammas.
De toute façon, la théorie de kammas du bouddhisme ne peut être réduite à un seul vers du Dhammapada, même si celui-ci est un recueil de vers importants.
Les kammas ne signifient pas nécessairement ceux du passé :
ils concernent les actions délibérées qu’elles soient du passé ou du présent.
Il y a deux aspects dont il faut tenir compte :
- d’une part, nous sommes les résultats de ce que nous avons été dans le passé et nous serons les résultats de ce que nous sommes dans le présent ; et
- d’autre part, nous ne sommes pas seulement les résultats de notre passé, et nous ne serons pas seulement les résultats de notre présent.
Les actions (kammas) présentes infléchissent beaucoup non seulement l’avenir, mais aussi les résultats présents des anciens kammas ou des kammas en voie de maturation.
En bref, les actions volitives qu’on a effectuées dans le passé arrivent à leur maturité selon la situation mentale présente de l’intéressé. Selon ses actions présentes et son comportement présent, il ouvre ou il ferme la porte aux résultats des actions (bonnes ou mauvaises) qui sont liées à son passe. .
Si on les lit avec attention on constate que le Culakammavibhanga-sutta et le Maha-Kammavibhanga-sutta ne permettent pas de penser que chaque kamma bon ou mauvais donne obligatoirement ou immédiatement un résultat.
Dans ces deux textes, les faits sont toujours indiqués de façon conditionnelle, avec beaucoup de « si » afin de signaler qu’il y a des alternatives.
Imaginons que les résultats des kammas anciens soient inévitables. Ce serait un déterminisme, et une telle théorie signifierait qu’on est obligé de faire face aux résultats de tous les kammas anciennement commis.
Alors, personne ne pourrait sortir du samsara jusqu’à ce que tous les résultats des kammas anciens soient épuisés.
Les Écritures canoniques rapportent que le grand chef religieux du jaïnisme appelé Nigantha Nathaputta (Jina Mahavira), contemporain du Bouddha, soutenait une telle théorie.
Pour lui, le vie religieuse avait pour but d’effacer tous les résultats kammiques anciens et c’est dans cette perspective que ses disciples pratiquaient des pénitences et des austérités sévères.
Ils expliquèrent un jour au Bouddha : « Honorable Gautama, si nous avons commis un mauvais kamma dans le passé, nous l’effaçons au moyen de cette sévère austérité. Ainsi, en effaçant les anciens kammas, en les épuisant, et en nous abstenant de commettre de nouveaux kammas, pour nous, il n’y aura pas d’écoulement dans l’avenir ».
Sur ce point, la position du Bouddha était complètement différente:
Le Bouddha a parlé d’un « salut » que l’on peut atteindre par un changement radical de la pensée présente, ici et maintenant, au moyen de la compréhension vécue, tandis que pour atteindre le salut selon Nigantha Nathaputta, on devait épuiser complètement les résultats kammiques par des pénitences.
Le Bouddha a argué que si l’on ne pourrait atteindre la libération du cycle de renaissance sans en finir avec les mauvais kammas qu’on a commis, dans ses vies antérieures par les austérités, alors on ne pourrait pas non plus atteindre la libération sans finir avec les rétributions heureuses des kammas méritoires qu’on a effectués dans ses vies antérieures !
En outre, le Bouddha était hostile aux pénitences religieuses pour trois raisons :
-premièrement, la souffrance n’est pas un mal nécessaire, ni un moyen pour atteindre le salut, et les mortifications qui donnent la souffrance appartiennent à un « extrême qui est ignoble et engendre de mauvaises conséquences ».
-Deuxièmement, ces mortifications ne sont pas des moyens pour épuiser des résultats kammiques.
-Troisièmement, un épuisement des résultats kammiques n’est pas du tout nécessaire pour atteindre la libération par rapport à dukkha.
Au contraire, le Bouddha a enseigné à ne pas s’occuper des anciens kammas, mais à donner la priorité aux actions du présent. C’est dans ce sens qu’il a parlé du courage, de la diligence et de la sagesse pour infléchir l’avenir. Ainsi, dans les Écritures canoniques " le Bouddha se présente à la fois comme quelqu’un qui affirme la valeur causale des actions (kamma vadin), qui affirme la valeur des actions (kiriya vadin) et aussi qui parle de la nécessité de l’effort (viriya vadin) pour changer le présent et l’avenir à partir du présent.
Le Bouddha a clairement affirmé la possibilité d’éviter les résultats des anciens kammas :
« (...) Si quelqu’un dit qu’on doit récolter selon ce qu’on a semé cela signifie que la conduite pure n’a pas de valeur et qu’il n’y a pas de possibilité d’atteindre la cessation complète de dukkha. Par contre, si quelqu’un dit qu’on récolte selon ses actions, dans ce cas, il énonce que la conduite pure a une valeur et qu’il y a une possibilité d’atteindre la cessation complète de dukkha.(...) »
Dans cet énoncé, le Bouddha distingue deux idées :
le bouddhisme n’accepte pas l’idée qu’on récolte exactement ce qu’on a semé autrefois.
-On doit récolter selon les anciens kammas.
- On récolte selon ses actions. Le Bouddha approuve cette deuxième position, car ici il s’agit des actions (kammas) qu’on est en train d’effectuer.
Il est tout à fait vrai qu’on peut récolter selon ce que l’on sème. Mais pour autant le bouddhisme n’accepte pas l’idée qu’on récolte exactement ce qu’on a semé autrefois.
Pour prolonger cette parabole on peut ajouter que l'acte de semer n’est pas suffisant (pour avoir une récolte, mais qu’il est simplement un facteur nécessaire. Les graines semées ou plantes peuvent être détruites avant de donner des fruits, pour diverses raisons : les insectes, les sécheresses, les inondations, etc. Si les graines ne sont pas détruites, si elles sont devenues plantes ou arbres, si ces plantes ou ces arbres ne sont pas morts, s’ils ont trouvé des climats convenables, et les engrais corrects, c’est à ce moment-là qu’ils sont capables de donner des récoltes ! On peut dire autant à propos d’un kamma. Son arrivée à la maturité dépend des autres kammas, y compris des actions présentes.
A ce propos, un autre point doit être souligné :
c’est la diversité des kammas.
Selon le bouddhisme, tous les kammas n’ont pas la même valeur pour la simple raison qu’ils sont fondés sur divers états psychologiques :
chaque kamma volitionnel produit une énergie potentielle qui dépend de la pensée employée pendant telle ou telle action délibérée. Puisque le bouddhisme affirme l’importance de l’état psychologique de l’acteur au moment de son action, il est normal que cette doctrine affirme aussi que le poids des kammas commis varie. Selon cette explication, il y a naturellement des kammas forts et des kammas faibles et les résultats de ces deux sortes de kammas sont différents. En outre, tous les kammas volitifs commis ne donnent pas les mêmes résultats toujours et partout. Selon le Maha- Kammavibhanga-sutta , et aussi selon d’autres textes canoniques il existe trois types de kammas caractérisés par leurs résultats :
- Premièrement, il y a des kammas commis dans la vie présente dont les résultats sont limités à cette vie ; ils sont appelés ditthadhammavedanïya. S’ils ne trouvent pas d’occasion pour donner des résultats avant la mort de leur auteur, l’énergie potentielle de ces kammas devient nulle et non avenue.
- Deuxièmement, il y a des kammas (commis dans cette vie présente) dont les résultats ne se produisent pas dans cette vie, mais seulement dans la vie suivante de leur auteur ; ces kammas sont appelés upapajjavedanïya. S’ils ne trouvent pas d’occasion pour donner des résultats pendant la vie suivante, l’énergie potentielle de ces kammas devient nulle et non avenue et par conséquent, ils ne donnent jamais de résultats.
-Troisièmement, il y a des kammas très forts qui sont capables de donner des résultats à n’importe quel moment favorable, dans n’importe quelle vie prochaine, et ces kammas sont appelés aprapariya vedanïya, c’est-à-dire, les kammas dont les résultats sont effectifs indéfiniment. Leur énergie potentielle existe d’une façon latente jusqu’à ce que leur auteur atteigne un jour la cessation complète (parinibbana).
Après avoir longuement indiqué les diverses circonstances qui modifient les résultats kammiques, y compris les actions mentales (mana kamma) de l’être individuel sur son lit de mort, le MahaKammavibhanga-sutta insiste et souligne les divers effets des kammas :
« (...) Il Y a des kammas invalides qui se présentent comme des kammas invalides. Il y a aussi des kammas invalides en réalité, mais qui sont apparemment des kammas valides. Il y a aussi des kammas valides qui se présentent bien comme des kainmas valides. Enfin, il y a des kammas valides, mais qui sont apparemment des kammas invalides. (...) ».
Dans ce texte, le Bouddha explique quelle est sa position vis-à vis des opinions émises par certains maîtres et philosophes contemporains sur cette question des résultats immédiats des kammas . Le Bouddha y rappelle que certains religieux et brahmanes qui avaient la capacité de voir (par les pouvoirs extrasensoriels) comment les gens renaissent, s’étaient trompés et étaient arrivés à des conclusions inexactes, car ils n’avaient pas vue ces choses correctement.
La loi de kammas n’est ni un déterminisme ni un fatalisme
Ainsi, d’après le bouddhisme, la loi de kammas n’est ni un déterminisme ni un fatalisme à cause de la présence de deux raisons pratiques :
-d’une part, il existe des kammas où les résultats diminuent ou augmentent à cause de contre-kammas plus forts, et
-d’autre part, tous les kammas qu’on a commis ne donnent pas obligatoirement des résultats.
En effet, il y a des kammas qui n’atteignent jamais une maturité suffisante pour produire des « fruits » ; il y a aussi des kammas qui ne donnent pas de résultats à cause d’un changement dans l’existence de leur auteur.
Par exemple, les résultats de tous les kammas anciens d’un Arahant sont limités à sa seule vie présente pour la simple raison qu’il n’y aura pas de renaissance pour lui. Autrement dit, si quelqu’un ne renaît plus, les kammas n’ont plus l’occasion de donner de résultats au-delà de sa mort.
Ajoutons que le domaine des kammas est celui de cinq agrégats d’appropriation. Lorsque ceux-ci ont disparu définitivement, il n’y a plus de base pour les kammas, ni pour leurs résultats.
Comme nous venons de le noter, le bouddhisme ne parle jamais de la nécessité d’épuisement des anciens kammas. Il parle uniquement des moyens pour éviter la production des nouveaux kammas
Lorsqu’on met fin à la renaissance, les anciens kammas deviennent nuls et non avenus.
Certains auteurs non bouddhistes qui discutent de la loi de kammas parlent de la nécessité de renaître pour épuiser les kammas. Notamment, des spiritistes et des théosophes pensent que chaque naissance est l’occasion de purifier des kammas accumulés dans des vies antérieures et de se perfectionner progressivement. Le bouddhisme ne partage pas cette idée. Nous avons noté plus haut qu’il ne considère pas que la renaissance soit une chance ou un mal nécessaire pour purifier ou pour progresser. Il ne considère pas non plus qu’on puisse épuiser les kammas anciens au moyen des renaissances, car chaque nouvelle naissance provoque de nouveaux kammas et ainsi, au lieu d’épuiser les kammas, on en accumule davantage.
Autrement dit, dans chaque nouvelle naissance on reçoit les résultats des kammas et on commet aussi de nouveaux kammas. Au lieu de parIer d’un épuisement des kammas, le bouddhisme parle d’un déracinement de l’ignorance (avijja) et de la « soif » (tanha), car, c’est notamment ces deux éléments qui provoquent non seulement les kammas, mais aussi des résultats bons ou mauvais, tout en engendrant de nouvelles naissances.
Toutes ces descriptions et explications montrent que la loi de kammas constitue un sujet très complexe. Une fois qu’elle est mise en marche, elle fonctionne subtilement, et d’une façon imprévue comme un cours d’eau dont le courant varie selon les pluies et la nature du terrain. C’est pourquoi les Écritures canoniques elles-mêmes affirment que « les résultats des kammas constituent un domaine inconcevable » pour les êtres ordinaires. Toutefois, elles ont essayé de l’expliquer le mieux possible.
En présentant la théorie des kammas, le bouddhisme semble avoir voulu atteindre plusieurs objectifs socio-religieux :
Premièrement, il donne une dimension éthique à toutes les actions délibérées de l’être individuel, en insistant sur la nécessité d’éviter les mauvais kammas et d’effectuer de bons kammas.
Deuxièmement, par cette théorie, le bouddhisme encourage ses adeptes à assumer la responsabilité de leurs propres actions. Autrement dit, il précise que chaque individu est le gérant de son propre avenir.
Troisièmement, le bouddhisme encourage par la théorie des kammas chaque personne à faire tout son possible pour supprimer le malheur des autres et pour leur apporter le bonheur.
De telles actions bienveillantes sont considérées comme de bons kammas. Au contraire, le moindre ennui causé aux autres, même aux animaux, est considéré comme un mauvais kamma.
Quatrièmement, par la théorie des kammas, le bouddhisme donne à ses adeptes un critère pour définir le Bien et le Mal.
Ainsi, chaque personne est libre de connaître la qualité de ses kammas fondée non pas Sur la parole d’une haute autorité, ni sur une volonté divine, mais uniqUement sur sa propre situation mentale au moment où l’action est commise. Bien entendu, selon la loi de kammas, chacun est libre de prendre des décisions, de commettre ou de ne pas commettre tel ou tel kamma, tout en sachant que c’est lui qui doit en accepter les conséquences.
Cinquièmement, la théorie de kammas montre elle-même l’universalité de l’effet causal des actions : les résultats des kammas bons et mauvais concernent tout le monde, sans aucune discrimination religieuse.
Quant aux causes des bons et mauvais kammas, elles sont les volitions qui peuvent se produire chez n’importe quelle personne appartenant à toute religion, nation, caste, race, classe ou couleur. Puisque la loi des kammas est tout à fait impersonnelle, il n’y a personne pour juger, pour châtier ou pour pardonner. En effet, le kamma est une énergie potentielle qui se produit dans la série de pensées de chaque être individuel, et l’effet causal de cette énergie est automatique, selon le degré de la production, et selon l’occasion offerte pour le réactiver et arriver à maturation
La personne responsable des kammas
Enfin, avant de terminer ce long chapitre, il faut dire un mot sur la personne responsable des kammas.
De nombreuses descriptions canoniques (...)donnent l’impression que les résultats kammiques retournent à la même personne qui a commis telle ou telle action délibérée.
Dans notre discussion, nous avons suivi le même « usage du langage ordinaire » : celui qui a effectué des kammas, reçoit leurs résultats.
A ce propos, on peut se demander si la loi des kammas n’est pas en contradiction avec la doctrine du non-Soi selon laquelle il n’y a rien qui transmigre d’une naissance à l’autre.
Ce type de questions nous amène au domaine de la philosophie bouddhiste où le langage n’est pas le même Bien entendu, les Écritures canoniques n’ont pas ignoré la tension paradoxale entre la théorie des kammas et la doctrine du non-Soi.
Mais le problème est vite résolu en attribuant la responsabilité de l’ensemble de l’existence à la coproduction conditionnée. Justement à une question posée par un ascète nommé Acela-Kassapa, le Bouddha répond :
« 0 Kassapa, lorsqu’on dit que l’individu commet des actions et que le même individu reçoit leurs résultats - comme vous l’avez dit au début : « la souffrance de l’individu est créée par lui-même » - une telle affirmation se réduit à la théorie éternaliste. Lorsqu’on dit qu’un individu commet des actions et qu’un autre obtient leurs résultats, c’est-à-dire l’opinion selon laquelle on souffre à cause de la faute d’un autre, une telle affirmation se réduit à la théorie annihiliste.
Dans ce cas, ô Kassapa, le Tathagata enseigne la doctrine sans aller à ces deux extrêmes, mais selon la voie du milieu que voici :
"conditionnées par l’ignorance se produisent les compositions mentales ; conditionnée par les compositions mentales se produit la conscience ; conditionnés par la conscience se produisent les phénomènes mentaux et physiques ; conditionnées par les phénomènes mentaux et physiques se produisent les six sphères sensorielles ; conditionné par les six sphères sensorielles se produit le contact [sensoriel et mental] ; conditionnée par le contact se produit la sensation ; conditionnée par la sensation se produit la « soif » ; conditionnée par la « soif » se produit la saisie ; conditionné par la saisie se produit le processus du devenir ; conditionnée par le processus du devenir se produit la naissance ; conditionnés par la naissance se produisent la décrépitude, la mort, les lamentations, les peines, les douleurs, les chagrins, les désespoirs. De cette façon se produit ce monceau de dukkha. (...) ».
Selon cette explication, non seulement la pièce et son auteur, mais aussi la production, le réalisateur, le metteur en scène et les acteurs ne sont autres que la coproduction conditionnée où tout est relativisé. Cette position impersonnelle, ou plutôt non personnelle, a été définie par la suite dans les commentaires par l’expression philosophique :
« Il n’y a pas d’auteur pour les actes commis, ni quelqu’un qui reçoit les sensations venant des résultats. Seuls s’écoulent les facteurs constituants. Sur ce sujet, cela est la vue correcte ».
Non seulement avec la renaissance, mais aussi avec le sujet des kammas, le plus souvent on arrive à tort à la conclusion qu’il y a un individu permanent qui commet toutes ces actions. C’est l’erreur qui consiste à distinguer l’action de son auteur qui crée la confusion.
En réalité, il n’y a pas d’auteur en dehors de l’action ; il n’y a personne qui pense en dehors de l’action de penser, de même qu’il n’y a pas de voyageur en dehors du voyage. C’est l’action de voyager qui est le voyageur. C’est l’action elle-même qui est l’auteur. L’action elle-même est un amas de réactions. Chaque action donne une résolution au processus des actions qui n’est qu’un mélange de la matière (rupa), de la sensation (vedana), de la perception (sañña), des composants volitionnels (sankhara) et de la conscience (viññana) de telle ou telle chose.
En fin de compte, c’est plutôt une affaire de processus des sensations : il y a une action dans le contact (sensoriel et mental), une réaction dans la sensation et une perception dans la sensation qui définit la division, la distinction et la séparation des actions. L’action elle-même n’est pas autonome, car elle dépend d’autres conditions et un auteur artificiel n’est qu’un produit de l’ignorance et de la « soif » afin de maintenir la sensation dans laquelle le « Je » prend place et s’installe. Ainsi, la volition (cetana) elle-même constitue à la fois les kammas et l’auteur des kammas.
Qui obtient alors les résultats kammiques ? C’est la sensation elle-même qui reçoit les résultats. Ainsi, il n’y a personne qui sème ni personne qui récolte. C’est pourquoi, la philosophie bouddhique parle plus souvent et plus longuement de la volition et de la sensation que des kammas ou des résultats kammiques. De toute façon, le bouddhisme insiste sur la nécessité d’organiser correctement la volition pour qu’il n’y ait plus aucune volition ou, pour mieux dire, aucun composant volitionnel (sankhara) ; il insiste aussi sur la nécessité de rejeter toutes les sensations, qu’elles soient agréables, désagréables ou neutres. Enfin, au niveau de la haute sagesse (pañña), il présente un projet qui fait barrage aux kammas de toutes sortes et aussi aux résultats kammiques.
LES SUTTAS A LIRE
kammavibhanga Sutta :La petite analyse de l'action
Sivaka sutta : Les actions et leurs résultats:
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