dimanche 10 août 2008
Méditation et Action
Le vénérable Paññavuddho Bhikkhu, moine bouddhiste Theravada dans la Tradition de la Forêt en Thaïlande, évoque comment, dans la pratique solitaire, les périodes de clarté de l’esprit alternent avec des moments de doute.
Quel est le rôle du moine bouddhiste quand son cœur est plein de compassion pour ses frères et sœurs qui souffrent dans le monde ? Entre velléité d’action et humilité sur la Voie.
Le Bouddha a déclaré que « la souffrance doit être comprise ». S’empresser de trouver une solution à toute forme de souffrance, c’est peut-être perdre l’occasion de comprendre les rouages qui se mettent en place pour qu’une situation quelconque se transforme en source de souffrance.
Entre Méditation et Action, par Paññavuddho Bhikkhu
En Occident, quand je participais à des retraites intensives de méditation, je trouvais la présence des autres personnes du groupe encourageante et stimulante — et puis nous nous appuyions tous sur l’emploi du temps de la retraite.
Mais dans la forêt, il n’y a pas d’emploi du temps et, bien que d’autres moines soient avec moi, chacun est isolé dans son coin. Pour maintenir un niveau de discipline impeccable, je ne peux m’appuyer que sur moi-même et sur ma propre détermination. Ainsi, dans la solitude, une forme d’effort plus honnête et plus naturelle remplace l’action née de la prétention et du paraître.
J’ancre ma pratique dans l’attention à la respiration — anapanasati. J’apprends à revenir au souffle, dans l’ici et maintenant, encore et encore. En gardant l’esprit fixé sur la respiration dans l’instant présent, il s’apaise et le bavardage intérieur est coupé net.
Tandis que la pratique évolue vers un équilibre entre sérénité et tranquillité, je remarque que la vision profonde transforme la base même de la conscience conditionnée : au lieu de me relier à la nature en termes de « moi » et des « autres », mon esprit est silencieux et les choses sont perçues simplement, vraiment telles qu’elles sont.
Je pense à mes parents et à mes compagnons spirituels. Le désir de pouvoir leur offrir un jour une réalisation de la paix et de la vérité élève mon esprit et le motive. Selon les moments, j’oscille entre l’enthousiasme et une humble prise de conscience du chemin qui reste à parcourir. Progressivement j’apprends à considérer ces émotions qui passent comme des états d’esprit — ni plus ni moins. Comment pourrait-il en être autrement ? …
Quand l’esprit a atteint une certaine clarté et qu’il est apaisé par la concentration, la faculté de sagesse peut se développer.
Ajahn Chah nous y exhortait :
« Quand vous atteignez un bon degré de concentration, quel que soit le niveau de calme, l’attention est présente … Ne croyez pas qu’il suffit d’acquérir un peu de paix en vivant dans la forêt. Ne vous arrêtez pas là ! Souvenez-vous que nous sommes venus pour planter et faire croître les graines de la sagesse. »
Il arrive que je me demande : « Ne vaudrait-il pas mieux aller dans le monde aider les autres ? A quoi puis-je servir assis ici au pied de cet arbre ? Et si je ne m’éveille pas à la vérité inconditionnée du Nibbana ? N’est-il pas présomptueux de ma part de croire que je peux réaliser la vérité ultime ? »
Mais les enseignements des maîtres de la forêt nous disent le contraire — comme d’ailleurs ceux des maîtres tibétains et zen.
Patrul Rimpoche dans son livre intitulé Paroles de mon Maître Parfait déclare :
« Tant que vous n’êtes pas libéré du désir d’obtenir quelque chose pour vous-même, mieux vaut ne pas vous lancer dans des activités altruistes. Les méditants d’autrefois avaient ces quatre buts : appuyer l’esprit sur le Dhamma, soutenir le Dhamma par une vie de simplicité, baser la vie simple sur la pensée de la mort et préparer la mort dans une grotte solitaire. Mais, de nos jours, on croit que l’on peut pratiquer le Dhamma au milieu de toutes sortes d’activités mondaines sans avoir besoin de détermination, de courage et de pratiques ardues, simplement en profitant du confort, du bien-être et de la popularité … Tout cela est absolument irréalisable. Serait-il possible à n’importe qui de surpasser le Bouddha Sakyamuni ? Or lui n’a pas réussi à concilier Dhamma et vie dans le monde. »
Il y a aussi l’histoire d’un maître zen que je n’ai jamais oubliée. Quelqu’un lui demande : « Que feriez-vous si on vous disait qu’il ne vous reste que 24 heures à vivre ? » Il répond : « Je resterais assis en zazen. » La personne insiste : « Que faites-vous de votre vœu de libérer tous les êtres ? » Le moine répond : « C’est la façon la plus directe et la plus complète de libérer tous les êtres. »
En tant que communauté de moines de la forêt, notre but est de progresser sur le noble sentier qui mène au Nibbana. Sur ce chemin, nous offrons à la forêt notre pratique de la vertu, de la méditation et de la sagesse. Dans l’équilibre des forces bénéfiques et maléfiques du monde, nous aspirons à faire pencher la balance vers le bien. Et si une évolution positive se produit dans le monde de manière significative et fondamentale, selon la perspective bouddhiste cela ne pourra venir que d’une forme d’éveil de la conscience.
Sans un changement de ce type, toute tentative de guérir le monde ne sera qu’un remède superficiel. Même s’ils sont bien intentionnés et importants, ces efforts sont insuffisants.
Le Bouddha a clairement dit que l’être humain a le potentiel de dépasser complètement le samsara et toute la souffrance qu’il contient. S’arrêter avant cette réalisation serait se trahir.
Le Bouddha nous a également enseigné que les effets de la transformation profonde de l’Eveil se font sentir très loin, à travers toutes les formes de vie, même s’ils ne sont pas immédiatement perceptibles à l’œil non éveillé.
Nous sommes beaucoup plus liés les uns aux autres que nous le croyons … Comme la moindre action peut avoir des conséquences karmiques importantes, avant que nous (les moines de la forêt) prétendions savoir quelle est la meilleure façon d’aider les autres, et avant que nous nous engagions trop dans la résolution des problèmes du monde, nous avons besoin de consolider notre réalisation du Dhamma.
A la lecture des sutta, il est clair que l’esprit éveillé et libéré sait spontanément ce qu’il est bon de faire pour véritablement aider les autres. La pratique et les enseignements eux-mêmes ne sont plus que le radeau qui mène à l’autre rive.
Comme nous l’enseigne Ajahn Chah :
« Le Bouddha a dit que la vertu, la méditation et la sagesse étaient la voie vers la paix, la voie de l’éveil. Elles ne sont pas l’essence du Bouddhisme : seulement la voie. L’essence du Bouddhisme, c’est la paix, et cette paix naît quand on connaît vraiment la nature des choses. Indépendamment du lieu et du temps, toute la pratique du Dhamma cesse là où il n’y a plus rien. C’est un espace d’abandon, de vacuité, où le fardeau est posé. »
Le Vénérable Paññavuddho est décédé il y a trois ans d’un banal accident : une minute il était là, en parfaite santé, et la minute suivante … parti ! La publication de ce texte est à la fois un hommage à sa vie faite de bonté vertueuse et de renoncement, et une preuve de la justesse de ses remarques : il peut encore nous toucher aujourd’hui car « nous sommes beaucoup plus liés les uns aux autres que nous le croyons. »
Puissent ses paroles nous éclairer. Puisse-t-il pleinement réaliser le Dhamma un jour.
Source : Extrait de « The Forest Path » - Traduction Jeanne Schut - Ehi Passiko (blog d'isara)
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