jeudi 13 septembre 2007

Bouddhisme et science




Pour le bouddhisme comme pour la science, la notion d'un Dieu créateur et tout-puissant n'existe pas, et la question même de Dieu ne se pose pas. Tous les deux ne nient pas l'existence de Dieu, mais l'ignorent....
Un fondement commun : la connaissance, accessible à chacun et par lui-même.
Le point de rencontre essentiel entre la science et le bouddhisme est leur fondement sur la connaissance.



Plan de ce message:

1- Le Bouddhisme et la science
2- La plus petite particule de matière, indivisible
3-Quel lien pourrait-il y avoir entre le Bouddhisme, une tradition philosophique et spirituelle ancienne, et la science moderne ?
4-La connaissance théorique de l’esprit et son fonctionnement pour une meilleure pratique, Par Luc Marianni
5-Notre foi dans la science - par Tenzin Gyatso, le XIVe Dalaï Lama
6- Science ?
7-Science et Bouddhisme, à la croisée des chemins, par TRINH XUAN Thuan, professeur d’Astronomie, Université de Virginie
8-Paroles saintes et doctrines scientifiques
9- Liens vers d'autres articles

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1-Le Bouddhisme et la Science

Texte extrait de : Le Bouddhisme et la question raciale, par G. P. MALALASEKERA et K.N. JAYATILLEKE.

On considère généralement le bouddhisme comme une religion et on a donc tendance a ne pas rechercher dans ses doctrines des conceptions, des méthodes ou des conclusions scientifiques.

En fait, cependant, le bouddhisme primitif peut être présenté comme une théorie scientifique, dont chacun a la possibilité d’éprouver par lui-même la validité.

On trouve dans les textes bouddhiques primitifs des passages qui n’ont d’équivalent que dans la littérature scientifique moderne.

Le Bouddha déclare, par exemple, en réponse à une question :

Suspends ton jugement sur le point qui t’embarrasse. Ne crois pas une chose parce qu’on la colporte, parce qu’elle fait l’objet: d’une croyance traditionnelle, parce que telle est l’opinion de la majorité, parce qu’on la trouve dans les textes sacrés, parce qu’elle résulte de raisonnements et de spéculations metaphysiques, parce qu’elle semble découler d’une étude superficielle des faits, parce qu’elle est conforme à tes inclinations, parce qu’elle fait autorité ou parce qu’elle est revêtue du prestige de ton maître...

Cette attitude va de pair avec une conception de l’univers conforme au principe de causalité.
le Bouddha parle uniquement des causes des événements ayant une cause.

Il mentionne même les deux principes de la détermination causale : les événements de l’univers sont tels que "chaque fois qu’un fait A existe ou se produit, un fait B existe ou se produit, et chaque fois qu’un fait A n’existe pas ou ne se produit pas, un fait B n’existe pas ou ne se produit pas ."

Dans de telles conditions, on peut considérer A et B comme liés par un rapport de causalité. Tous les événements sont donc liés par un rapport de cause à effet, et l’univers est soumis à des lois physiques, biologiques et psychologiques, de même qu’à des lois morales et spirituelles.

La réincarnation - c’est-à-dire la continuité de l’individu soumis aux processus de la naissance et du développement organique, de la décrépitude et de la mort, puis accédant à une nouvelle existence grâce-à la persistance dynamique des facultés psychiques inconscientes - s’explique par le principe de causalité.

Il en est de même de la doctrine du Karma, selon laquelle les actions moralement bonnes ont pour l’individu des conséquences favorables et les actions mauvaises des conséquences défavorables

L’attitude du Bouddha enseignant les lois morales et spirituelles est comparable à celle du savant énonçant la théorie qu’il a découverte. Le Bouddha ne fait que découvrir et proclamer les réalités de l’existence, les choses telles qu’elles sont (...)



2- La plus petite particule de matière, indivisible


Kalapa/attha-kalapa (en PALI) : la plus petite particule de matière, indivisible, composée de quatre éléments et de leurs caractéristiques
En résumé, nous sommes constitué d’atomes eux même constitués de particules élémentaires, qui ne sont constituées que de vide, de vibration, d’énergie ondulatoire.
Nous sommes devant une réalité scientifique, et cependant refusons d’en accepter les conséquences. Nous ne sommes qu’un amas d’énergie. Rien sur cette terre, et dans l'univers, dans le microcosme ou le macrocosme n'est solide, permanent, immuable, éternel.
Il y a 2500 ans le Bouddha a découvert cette vérité, non pas intellectuellement, mais en l'expérimentant sur lui même; ces particules élémentaires il les nommait attha kalàpà. Il a découvert que ces particules étaient composées des 4 éléments fondamentaux (Mahabhuta) constituant toute matière, et qu'elles avaient la faculté d'apparaître et de disparaître plusieurs milliards de fois par seconde.Il venait de découvrir dans le cadre de son corps et son esprit que la matière telle que nous la percevons n'existe pas.
Source : metta-kh.com









"
C'est une des gloires du bouddhisme qu'il fait toujours appel à la raison et à la science et non à la foi aveugle ou à l'autorité." Alexandra David-Neel


"La religion de l’avenir sera une religion cosmique. Elle devra transcender la notion d’un Dieu personnifié , évité les dogmes et la théologie . Englobant le naturel et le spirituel , elle devra reposer sur un sens du religieux fondé sur l’expérience de l’unité – riche de sens – de toutes choses, naturelles et spirituelles" Le bouddhisme répond à cette description … S’il y a une religion qui puisse s’accommoder des exigences de la science moderne c’est bien le bouddhisme" Albert Einstein






3- Quel lien pourrait-il y avoir entre le Bouddhisme, une tradition philosophique et spirituelle ancienne, et la science moderne ?

Pour reprendre les paroles du Dalaï Lama, « …Le Bouddhisme et la science préfèrent tous les deux expliquer l’émergence et l’évolution du cosmos en termes d’interrelations complexes entre les lois naturelles de cause et effet… les deux traditions insistent sur le rôle de l’empirisme. Par exemple, dans la tradition d’investigation bouddhiste,… c’est la preuve par l’expérience qui prime, ensuite vient la raison et enfin le témoignage. »

Dans la recherche scientifique ces quatre étapes importantes doivent être respectées :

1-Effectuer des observations ;
2-Construire une hypothèse vérifiable et unificatrice qui puisse expliquer ces observations ;
3-Déduire des prévisions sur base de cette hypothèse ;
4-Rechercher des confirmations empiriques de ces prévisions.

Dans le cas où les prévisions ne sont pas vérifiées par l’observation empirique, il est nécessaire de revenir à l’étape 2 et de construire une nouvelle hypothèse qui tienne compte des nouvelles découvertes. Dans ce processus, les hypothèses sont toujours modifiées afin de coller à la réalité, et non le contraire.

Selon un autre texte du Dalaï Lama publié dans son récent livre « The Universe in a Single Atom : The Convergence of Science and Spirituality» (L’univers dans un atome unique : la convergence de la science et de la spiritualité) (2) : « …Ma confiance dans cette aventure scientifique repose sur ma foi profonde que pour la science, aussi bien que pour le Bouddhisme, comprendre la nature de la réalité ne peut se faire qu’avec l’aide de l’investigation critique : si l’analyse scientifique devait démontrer de façon concluante que certaines affirmations du Bouddhisme sont fausses, alors nous devons accepter les découvertes de la science et abandonner ces affirmations… Le grand mérite de la science est qu’elle peut énormément contribuer à diminuer les souffrances sur le plan physique, mais ce n’est qu’en cultivant les qualités du cœur de l’homme et en changeant nos attitudes que nous pourrons nous attaquer à la souffrance mentale et triompher d’elle. Ainsi, sur le plan du bien-être humain, la science et la spiritualité sont loin de n’avoir rien en commun. Nous avons besoin d’elles deux, puisque la suppression de la souffrance doit s’opérer aussi bien sur le plan physique que sur le plan psychologique ».

Divergences

Il y a évidemment de nombreux points de divergences entre le Bouddhisme et la science moderne. Les scientifiques occidentaux et les philosophes bouddhistes peuvent par exemple apporter des réponses différentes aux questions concernant le rôle de la subjectivité et de la compassion dans la science, la fiabilité de « l’approche à la première personne » pour investiguer la conscience et la réduction de la conscience à quelques processus physiques. Cependant, comme l’a fait remarquer Esther Sternberg dans son commentaire (3) sur le livre du Dalaï Lama:
« Un débat sain ne nécessite pas un accord. Il a besoin d’un dialogue continu, d’une ouverture d’esprit, de respect et d’une considération réfléchie pour d’autres points de vue. Ceci est tout à fait en cohérence avec la philosophie Bouddhiste… Si nous sommes capables de relever les défis du Dalaï Lama, la science et la société ne s’en porteront que mieux ».
source : ICI



4- La connaissance théorique de l’esprit et son fonctionnement pour une meilleure pratique, Par Luc Marianni:


Mais qu’est-ce que l’esprit ?

La connaissance théorique de l’esprit et son fonctionnement pour une meilleure pratique

Introduction

Le bouddhisme se définit comme la science de l’esprit. 2500 ans de recherche et de pratique étape par étape pour découvrir la façon dont nous établissons le contact à autrui et à nous-mêmes, jusqu’à l’expérience individuelle de l’état d’unité. 2500 ans d’investigation de l’esprit et de mise à jour du fonctionnement de la conscience et du mental. Mais qu’est-ce que l’esprit ? Est-ce l’âme ? le mental ? Est-il impénétrable ou bien est-ce l’œuvre de Dieu ? S’il existe une science qui le consacre, l’esprit peut, dans ce cas, être expérimenté par un processus scientifique. Quelles en sont les étapes et la méthode ?

Le bouddhisme est-il une science ?

Une science a toujours un objet d’étude, un but et une méthode pour atteindre ce but. L’objet d’étude dans le bouddhisme est l’esprit et l’objectif : sa découverte et la réalisation de sa véritable nature. Le but ultime de cette expérience est de guérir la souffrance, de la transformer et de retrouver un état d’équilibre et d’harmonie. Comment ? en réalisant une expérience de et par nous-mêmes plus profonde que l’aspect physique et mental de l’existence, ou si vous préférez quelque chose de plus subtile que "je pense donc je suis".

Cette méthode est basée sur la méditation et la connaissance progressive de nos états intérieurs. Elle peut être enseignée et bénéficie de 25 siècles d’études. Si nous rajoutons que cette pratique développe notre autonomie et la compréhension de nous-mêmes, qu’elle est applicable à tous les êtres humains indépendamment d’une civilisation ou d’une époque et qu’elle est pratiquée dans la préservation et le respect de la vie toutes ses formes, nous avons la définition d’une science universelle au sens noble du terme. Mais cette science est-elle adaptable aujourd’hui en dehors de son contexte culturel et historique ? Peut-elle nous servir à remettre de l’ordre dans le fonctionnement de notre esprit ?

De Freud à Jung : les racines de l’Occident

Pendant des siècles, en Europe, dans la culture établie, les voies de l’âme restent impénétrables. Le rêve est proscrit, considéré proche de l’état de folie, et la méditation souvent remplacée par une demande égocentrique, tournée vers l’extérieur : la prière. L’esprit est l’œuvre de Dieu. Le mot âme, devenu propriété de l’église, sort de sa définition initiale de souffle primordial, de pneuma, d’air qui anime et apporte le mouvement, la vibration, la continuité, le rythme de la vie et la notion de vide et de plein. Elle est alors associée aux mystères de la création. Nous arrivons à la fin du XIX siècle marquée par le développement d’un matérialisme forcené. C’est sur ce fond marqué par une activité mentale, conceptuelle et rationnelle que Freud intervient. Dès lors une brèche s’opère et l’impossible redevient possible. L’Occident s’investit dans les méandres de l’inconscient qui se complexifie et s’alourdit au fur et à mesure que la société se conceptualise et se densifie. Jung, disciple de Freud, apporte au début du XX siècle la deuxième ouverture nécessaire à l’intégration de l’être humain dans le mouvement cyclique des civilisations, sous peine de crouler sous un matérialisme scientifique présenté comme la seule réponse à l’évolution et au bonheur du monde. Nous arrivons à l’inconscient collectif et à la notion d’archétypes. Nous sommes alors à la limite de l’interdit religieux, de l’impénétrable, aux portes de la connaissance du soi et du transpersonnel...

Méthode utilisée

Depuis, l’Occident est resté bloqué au stade de l’inconscient. La société s’est développée et structurée à partir de ce verrou psychique. Or, là où l’expérience énergétique de nos états intérieurs (émotions, ressentis, rêves...) n’est pas réalisée, un énorme besoin de matière se crée pour que l’être humain se sente existé et soutenu.

Jung a jeté les bases de l’expérience de soi, première approche de l’individu adulte et autonome. A partir de là nous pouvons aller au-delà de la psyché par une réelle connaissance de notre inconscient dans son fonctionnement propre et non plus uniquement par ce qu’il contient (événements de l’enfance...). Pour conduire cette expérience personnelle, nous avons besoin d’une référence et d’un support. Seul une civilisation traditionnelle encore vivante de haut développement humain en rapport avec l’essence de l’être, en contact avec la nature, l’intuition et le ressenti corporel peut apporter ce fil conducteur. Le Tibet possède pour quelques temps encore les enseignements théoriques, pratiques et transmissibles sur les états de l’esprit et de la conscience. Par des pratiques successives guidées, nous pouvons établir une comparaison avec la connaissance occidentale, c’est-à-dire trouver les mots disponibles et équivalents dans notre langue. En établissant ainsi une clarté au niveau des termes et en leur redonnant un ordre, nous rééquilibrons notre connaissance intérieure. Nous mettons en place une théorie de l’esprit et nous ouvrons une porte vers une pratique adaptée et intégrée à notre culture.

Différents termes pour notre fonctionnement intérieur

Ame, esprit, conscience, mental, psyché, intellect, ressenti, pensée, soi... Qui fait quoi ?

Commençons par l’âme, où la religion en fait le principe spirituel de l’homme, conçue comme séparable du corps, immortelle et jugée par Dieu. La philosophie la définit comme l’un des deux principes composant l’homme (l’autre étant le corps) et comme principe de la sensibilité et de la pensée. Quant à la psychologie, elle apporte une précision en la définissant comme l’ensemble des fonctions psychiques et des états de conscience.

Pour l’esprit : essence de nous-mêmes/ souffle primordial et divin/ en rapport avec l’âme/ être immatériel et incorporel/ prend également les valeurs de mentalité et de principe de vie morale...

Pour le mental : il existe un grand nombre de définitions imprécises : qui se fait dans l’esprit/ principe pensant qui relève de l’activité intellectuelle...

Pour le psychisme : qui se rapporte à l’âme / qui concerne l’esprit et le mental...

Nous constatons d’emblée, à travers ces quelques définitions issues de différents ouvrages (et nous aurions pu continuer encore longtemps), la difficulté à cerner notre fonctionnement intérieur, à déceler une cohérence dans tous ces termes et surtout, en cette fin de 19ème siècle, à savoir ce que représente l’âme, mot vague et à forte connotation religieuse.

Freud et Jung rentrent en scène et ouvrent grand les "voies de l’impénétrable". Ils posent comme axiome la psyché en tant que manifestation de l’âme incarnée. Dès lors, le mot perd son coté absolu et mystérieux. "Psyché" remplace "Ame" et devient objet d’étude scientifique. Le psychisme se définit comme la conscience mentale en fonction. Il produit des pensées, des concepts, des ressentis, des émotions... Mais il faut attendre encore un siècle, par l’intermédiaire de certains enseignements bouddhistes tibétains et, en particulier, ceux de Tarab Tulku Rinpoché pour que nous (re)découvrions la nature bipartite de notre psychisme :

a) une nature conceptuelle appelée intellect ou mental conceptuel qui permet d’utiliser le jugement, le raisonnement, le discernement, d’établir des distinctions. Il inclut le langage b)

c) une nature sensorielle appelée ressenti ou mental sensoriel qui est en rapport avec l’expérience plus directe des choses, proche des 5 sens et de la sensation corporelle. d)

Ici nous touchons le point essentiel de toute approche psychothérapeutique : il existe une partie "ressenti" dans le mental. Le travail consiste donc en Occident à réduire la nature conceptuelle/l’intellect (en arrêtant les pensées, le langage, les jugements... qui nous coupent irrémédiablement de la réalité et de l’expérience de l’esprit) afin de retrouver le ressenti, l’intuition et la connaissance directe des choses, tous garants d’un fonctionnement plus naturel et d’un état plus sain.

Troisième mode d’expression de la conscience mentale

Notons que la conscience mentale possède un troisième outil pour capter, traduire et appréhender la réalité extérieure et intérieure : les images produites dans les rêves, les visions, les hallucinations... En résumé, la conscience mentale (par l’intermédiaire de son 6ème sens, le mental) possède trois modes d’expression pour comprendre, établir une réalité, la saisir et avoir une relation avec elle : le ressenti et l’intellect (qui forment le psychisme) et la production d’images intérieures (imagination). Par exemple dans le rêve : dès notre réveil nous avons, en plus d’une sensation corporelle, des images énergétiques en mémoire, un ressenti mental (agréable ou désagréable) et un intellect qui peut décrire les images et le ressenti soit par écrit, parole ou pensée. Nous retrouvons également ce même processus lorsqu’une émotion est (ré)activée.

A propos du 6ème sens : le mental

Le mental, 6ème sens chez les bouddhistes, possède, comme tout sens, ses propres objets : pensées, émotions... Il a un organe physique -le cerveau-, une conscience : la conscience mentale et une puissance pour s’exprimer et se relier à l’extérieur à travers l’intellect (la parole...), le ressenti et la création d’images. Si, parmi ces trois modes d’expression, le ressenti est le point principal de travail en Occident comme pôle d’équilibre naturel d’un mode d’expression trop rationnel, quel est alors le rôle véritable de l’intellect ? Il appartient spécifiquement à l’être humain (ce qui le différencie de l’animal) et fonctionne pleinement à partir de 7 ans (l’âge de raison et de la grande école). Son rôle est d’établir des concepts et des images totalisantes, de juger, de décrire, de discriminer, d’utiliser le langage.... Cet aspect conceptuel du mental prend toute la place et existe indépendamment de la réalité. Si nous en restons là, nous fonctionnons à un niveau de manifestations extérieures sans aucune possibilité de contact intérieur. Mais l’intellect a une autre particularité : celle de rassembler, d’ordonner, d’associer les choses, de les clarifier et les nettoyer. Il peut ainsi se mettre au service d’une recherche personnelle .

A la découverte de l’esprit et de la conscience

L’esprit a une nature propre et existe à un niveau humain, donc relatif et illusoire. Nous pouvons donc en faire l’expérience. S’il est reconnu dans sa nature fondamentale, nous passons au-delà de la dualité et rentrons dans la pure nature de l’esprit appelée aussi état de Bouddha ou état d’éveil. Nous sommes en tant qu’être humain dans la connaissance fondamentale, où se manifeste la compassion, la bienveillance, la foi au sens propre de confiance et non croyance mentale, religieuse ou philosophique. Selon les pratiques bouddhistes avancées, cette expérience peut nous conduire au-delà de l’individualité et nous met en relation avec la nature profonde de l’univers. Si l’esprit n’est pas reconnu dans sa nature de pureté, de lumière et de clarté, il devient Potentiel doté de la faculté de perception. Il prend alors le nom de conscience fondamentale, appelée aussi conscience base de tout. Cette conscience fondamentale, faculté principale de l’esprit, en émergeant, libère des empreintes karmiques en latence. Le cycle "infernal" (dans le sens d’enfermement) commence. Nous nous individualisons sur la base de ces empreintes (racines qui vont déterminer plus tard notre caractère, qualités, dons, défauts...). La conscience fondamentale devient conscience individuelle pour exister en tant que moi-je. Cette conscience individuelle, au centre des expériences, se divise à son tour en autant de consciences qu’il est nécessaire pour appréhender la réalité-objet extérieure à travers les sens. Il existe donc 6 consciences sensorielles, 5 correspondant aux 5 sens, et la 6ème en relation au sens intérieur, le mental (voir paragraphe ci-dessus). Nous sommes à cet instant bien loin de la simple faculté de la perception de l’esprit, de l’énergie primordiale ou même de la conscience de soi, trop occupés à gérer les émotions perturbatrices qui se manifestent.

Comment retrouver le chemin de l’esprit ?

Aujourd’hui la pratique de l’esprit devient une réalité objective tout comme l’était à la fin du XIX siècle la découverte du psychisme. Faire une expérience ou une recherche spirituelle correspond à la capacité dans notre vie à observer notre fonctionnement mental, à faire l’expérience de l’esprit et de nos différents états de conscience. Faire l’expérience de l’esprit nous demande de réorienter notre faculté de conscience (dont les qualités essentielles sont présence, vigilance, attention) au delà de nos identifications à nos empreintes karmiques, nos émotions, nos ressentis, nos pensées, notre intellect...et d’essayer de reconnaître l’esprit dans sa nature de clarté, de lumière et d’approcher la non-dualité à différents niveaux. Cette expérience n’est pas aisée et demande de la détermination, du courage, de la persévérance, et comme point de départ d’y trouver un intérêt personnel (aussi contradictoire que cela puisse paraître). De plus, elle se heurte à la production de pensées. La pensée, formation mentale produite par le psychisme, est l’activité principale de l’humain qui lui permet de se définir comme tel et de continuer son existence, correctement si possible. Elle prend souvent le dessus sur les autres formes de l’esprit. C’est elle qui gouverne tant que nous ne dépassons pas la barrière mentale conceptuelle. De plus quand nous pensons, nous ne pouvons pas être dans la conscience fondamentale. Retrouver le chemin de l’esprit passe donc par l’arrêt de toutes formes d’action et de création extérieure : actes physiques, paroles et pensées.

Pour atteindre cet objectif, différentes étapes sont nécessaires : détente mentale et physique, appréhension de la sensation corporelle, ralentissement du processus mental des pensées au profit du contact avec le ressenti pour que nous puissions nous connecter à des étages plus naturels et subtils de nous-mêmes (voir à cet effet les articles sur l’autothérapie dans Samsara n°2 et sur la méditation dans Samsara n°11). Notons au passage que, pour la tradition occidentale, la pratique énergétique du rêve (voir le Samsara n°9) est une voie privilégiée et fournit un point d’entrée pour réaliser l’expérience de l’esprit et de la conscience. Ces pratiques méditatives, individuelles et progressives, nous apportent au fil des étapes un rééquilibrage de notre fonctionnement mental. Elles nous guérissent de maux physiques et psychologiques auxquels nous nous étions identifiés et nous relient à l’ensemble des êtres et la Nature de façon directe et stable. Nous nous dirigeons alors vers une expérience d’unité et de compassion.

Conclusion

Nous avons établi la théorie au service de la pratique. La pratique de la théorie, quant à elle, n’a pour but que de nous aider à ressentir notre vie de façon plus saine et naturelle. Dans ce sens, c’est une expérience scientifique qui développe non point une dépendance, mais des qualités d’autonomie et qui n’entraîne pas de dommages à l’extérieur et de dispersions intellectuelles. Du même coup, nous rétablissons dans leur complémentarité les deux natures du psychisme : l’intellect tourné vers l’activité conceptuelle, et le mental sensoriel/ressenti tourné vers l’intuition, la pratique et la saveur personnelle qui en découle. A l’image de la société bouddhiste tibétaine où les connaissances participent au même but, à savoir celui de dépasser la souffrance dans un souci de bien pour tous les êtres (animaux compris), nous réunissons également bon nombre de disciplines, séparées depuis des siècles en Occident (philosophie, psychologie, médecine, religion, psychothérapie, sciences exactes...).

Enfin, deux mots n’ont pas été intégrés dans le tableau, ni expliqués dans l’article : le soi et l’âme. Pourquoi ? Parce que le soi n’existe pas en tant qu’entité. Composé d’un ensemble de 5 éléments (skandhas ou agrégats), le soi ne se définit qu’en fonction de différents états de conscience ; à un certain niveau de méditation nous pouvons le dépasser. Quant à l’âme, terme trop lourd de sens à la fin du XX siècle, lié à la religion et à la foi dans le sens de croyance, il désigne un concept global flou, utile à son époque mais qui n’a plus de résonance aujourd’hui. Ce mot est donc à employer avec précaution dans une société rationnelle et scientifique, sous peine que les voies de l’esprit restent impénétrables encore pour des siècles...

Luc Marianni à Argenteuil, le 6 septembre 1999

source :buddhaline




5- Notre foi dans la science - par Tenzin Gyatso, le XIVe Dalaï Lama:


LA SCIENCE m'a toujours fasciné. Lorsque j'étais enfant, au Tibet, j'étais mu par une grande curiosité quant au fonctionnement des choses. Quand j'avais un jouet, je commençais par jouer un peu avec, puis je le démontais afin de voir comment il était construit. Plus tard, j'ai réservé le même sort à un projecteur cinématographique ainsi qu'à une voiture de collection.

A une époque, j'ai été particulièrement fasciné par un vieux téléscope avec lequel j'avais l'habitude d'observer le ciel. Un soir, alors que je regardais la lune, je me suis rendu compte que sa surface était parsemée d'ombres. J'ai réuni mes deux principaux professeurs dans le but de leur montrer cela, car une telle vision était contraire à la version traditionnelle de la cosmologie que l'on m'avait enseignée et selon laquelle la lune était un corps céleste émettant sa propre lumière.

Mais à travers mon télescope, il ne faisait pas de doute que la lune n'était qu'un rocher dénudé criblé de cratères. Si l'auteur de ce traité du IVème siècle écrivait aujourd'hui, je suis sûr que le chapitre qu'il consacrerait à la cosmologie serait bien différent.

Si la science vient à prouver qu'une croyance bouddhiste est erronée, alors le bouddhisme devra changer. A mon sens, science et bouddhisme ont en commun une quête de la vérité et un désir d'appréhender la réalité. En apprenant de la science au sujet d'aspects de la réalité où sa compréhension est peut-être plus avancée, je crois que le bouddhisme enrichit sa propre vision du monde.

Depuis maintenant de nombreuses années, seul mais aussi grâce au Mind and Life Institute que j'ai contribué à fonder, j'ai eu l'occasion de rencontrer des scientifiques afin de discuter de leur travail. Des scientifiques de renommée internationale m'ont généreusement initié à la physique de l'atome, à la cosmologie, la psychologie et la biologie.

Nos discussions sur les neurosciences se sont cependant avérées particulièrement importantes. De ces échanges a émergé une très dynamique initiative de recherche, une collaboration entre moines et spécialistes des neurosciences visant à explorer comment la méditation pourrait altérer le fonctionnement du cerveau.

L'objectif n'est pas ici de prouver que le bouddhisme est dans le vrai ou le faux - ni même d'amener les gens au bouddhisme - mais plutôt de sortir ces méthodes de leur contexte traditionnel, d'étudier leurs bénéfices potentiels et de faire partager leurs découvertes à quiconque pourrait en faire usage.

Après tout, s'il est possible de rapprocher des pratiques de ma propre tradition et des méthodes scientifiques, alors peut-être pouvons-nous encore apporter une petite contribution à la diminution de la souffrance humaine.

Cette collaboration a déjà porté ses fruits. Le Dr. Richard Davidson, spécialiste en neurosciences à l'Université du Wisconsin, a publié les résultats d'études basées sur des clichés du cerveau de lamas en train de méditer. Il a découvert qu'au cours de la méditation, les régions du cerveau que l'on pense liées à la sensation de bonheur étaient stimulées. Il a également trouvé que plus on est exercé à la pratique la méditation, plus cette stimulation est importante.

D'autres études sont en cours. A l'Université de Princeton, le Dr. Jonathan Cohen, lui aussi spécialiste du cerveau, étudie les effets de la méditation sur l'attention. A l'Université de l'Ecole de Médecine de San Francisco, le Dr. Margaret Kemeny étudie comment la méditation aide les enseignants à développer l'empathie.

Quels que soient les résultats de ces travaux, leur réalisation m'encourage beaucoup. Voyez-vous, beaucoup de gens considèrent encore que la science et la religion sont en opposition. Si je suis d'accord pour dire que certains concepts religieux sont en conflit avec les faits et les principes scientifiques, je pense aussi que des individus de ces deux univers peuvent avoir un dialogue intelligent, un dialogue qui aurait en fin de compte le pouvoir de créer une compréhension plus approfondie des défis auxquels nous sommes confrontés ensemble dans notre univers d'interdépendance.

L'un des mes premiers professeurs de science a été le psysicien allemand Carl von Weizsäcker, élève du théoricien quantique Warner Heisenberg. Le Dr. Weizsäcker a eu l'amabilité de me donner quelques cours particuliers sur des sujets scientifiques (j'avoue que, quand je l'écoutais, j'avais l'impression de saisir la complexité du raisonnement, mais lorsque les sessions étaient terminées, je n'avais le plus souvent pas retenu grand chose de ses explications).

J'ai été des plus impressionnés par l'évidente préoccupation du Dr. Weizsäcker tant pour les implications philosophiques de la physique quantique que pour les conséquences éthiques de la science en général. Il pensait que la science pouvait tirer profit de l'exploration de questions normalement laissées au domaine des sciences humaines.

Tenzin Gyatso, quatorzième dalaï lama, est l'auteur de "The Universe in a Single Atom: The Convergence of Science and Spirituality", paru en septembre 2005 aux éditions Morgan Road Books.

Traduction Claire Saint-André

source : vipassana.fr





6- Science ?


Quelques points communs
Si le Bouddhisme peut être défini comme une "science", c'est qu'il se présente comme un projet de recherche dont le domaine d'étude est l'esprit et les expériences de l'esprit.
Les notions transmises par la tradition ne sont pas à adopter "telles quelles", mais doivent être vérifiées par l'expérience personnelle. Elles ne sont pas une affirmation péremptoire d'une vérité objective, mais le compte-rendu d'une expérience de lucidité, qui est reproductible dans des conditions appropriées - ce qu'on appelle la "méditation".
La pratique correcte est ainsi semblable à un projet de recherche scientifique.
La réflexion permet de diriger la recherche et d'éviter de prendre des directions fausses.
La méditation permet de connaître le fonctionnement du "corps-esprit", sous ses différents aspects : vécu physique, verbal et mental. Elle constitue un "outil de recherche" de la nature de l'esprit et de ses modes de connaissance.
Les résultats de la recherche ne sont pas imposés comme vérité universelle, mais offerts à la réflexion et à l'expérimentation de toutes les personnes intéressées par le problème de la souffrance.
Quelques nuances
Le bouddhisme, cependant, ne tombe pas dans la croyance en l'existence d'une réalité "objective", que pourrait expérimenter un "sujet" observateur. La Voie qu'il propose doit mener au-delà de toute dualité "sujet-objet".
Si l'élite scientifique tient compte désormais de "l'influence subjective de l'observateur" sur les phénomènes qu'il observe, il faut noter cependant que cette évolution reste encore peu connue du grand public (ni même acceptée, parfois encore, par une partie non négligeable de la communauté scientifique) ; on continue souvent de considérer la science comme "objective".
On peut aussi se demander si une telle "prise en compte" de la subjectivité équivaut exactement au "projet de dépasser" toute forme de dualité...
Lorsqu'on évoque le bouddhisme comme "science de l'esprit", il faudra donc tenir compte de cette distinction essentielle.
Relations actuelles entre bouddhisme et sciences
Dans le domaine des sciences fondamentales comme la physique, les théories de la relativité et du vide quantique, le principe d'indétermination et, tout récemment, la théorie des "champs de probabilité" rejoignent certains fondements de l'enseignement du Bouddha.
Des échanges, de plus en plus nombreux, ont lieu entre des représentants de la tradition et des scientifiques. D'un côté comme de l'autre, on exprime un profond respect et l'on croit possible un enrichissement réciproque.
Le domaine des sciences cognitives - dont la vocation est très proche de la recherche bouddhiste - ont donné lieu à de très nombreux échanges et un dialogue positif est d'ores et déjà engagé.
La contribution du bouddhisme à ce dialogue vient surtout du savoir des écoles philosophiques du Mahâyâna (Madhyamaka, en particulier) et du savoir-faire de la tradition méditative et yogique
Lire tout l'article : UBE





7-Science et Bouddhisme, à la croisée des chemins, par TRINH XUAN Thuan, professeur d’Astronomie, Université de Virginie:


1- Un dialogue a-t-il une raison d’être ?

En tant qu’astrophysicien étudiant la formation et l’évolution des galaxies, mon travail m’amène constamment à m’interroger sur les notions de réel, de matière, de temps et d’espace. En tant que vietnamien élevé dans la tradition bouddhiste, je ne peux m’empêcher de me demander comment le bouddhisme envisage ces mêmes concepts. Mais je n’étais pas certain qu’une démarche consistant à confronter la science et le bouddhisme puisse avoir un sens. Je connaissais surtout l’aspect pratique du bouddhisme qui aide à acquérir la connaissance de soi, à progresser spirituellement, et à devenir un être humain meilleur. Pour moi, le bouddhisme était avant tout une voie menant à l’Eveil, une voie contemplative au regard principalement tourné vers l’intérieur. De plus, la science et le bouddhisme utilisent des méthodes d’investigation du réel totalement différentes. En science, ce sont l’intellect et la raison qui tiennent le rôle principal. Divisant, catégorisant, analysant, comparant et mesurant, le scientifique exprime les lois de la nature dans le langage hautement élaboré des mathématiques. L’intuition n’est pas absente en science, mais elle n’est utile que si elle peut être formulée dans une structure mathématique cohérente. Par contre, l’intuition - l’expérience intérieure - joue le premier rôle dans la démarche contemplative. Elle n’essaie pas de fragmenter la réalité, mais tente de l’appréhender dans sa totalité. Le bouddhisme ne fait pas appel aux instruments de mesure et aux observations sophistiquées qui fournissent la base expérimentale de la science. Ses énoncés sont de nature plus qualitative que quantitative. Je redoutais que le bouddhisme n’ait que peu à dire sur la nature du monde phénoménal, car ce n’est pas sa préoccupation principale, alors que c’est fondamentalement celle de la science.

J’ai rencontré Matthieu Ricard pour la première fois lors de l’Université d’été à Andorre, en 1997. Matthieu était la personne idéale avec qui aborder ces questions. Non seulement il avait une formation scientifique, ayant reçu son doctorat en biologie moléculaire de l’Institut Pasteur, mais il connaissait bien la philosophie et les textes bouddhiques, étant devenu moine bouddhiste vivant au Népal depuis une trentaine d’années. Nous avons eu de passionnantes discussions au cours de longues randonnées dans le décor grandiose des montagnes pyrénéennes. Notre discussion a été mutuellement enrichissante. Elle a suscité de nouvelles interrogations, des points de vue inédits, des synthèses inattendues qui demandaient et demandent encore approfondissement et clarification. Je vais exposer ici les sujets principaux de nos discussions qui nous ont parfois réunis, parfois opposés. Un livre - L’infini dans la paume de la main (Press Pocket, 2002) — est né de ces échanges amicaux entre un astrophysicien né bouddhiste qui souhaite confronter ses connaissances scientifiques avec ses sources philosophiques, et un scientifique occidental qui est devenu moine bouddhiste et dont l’expérience personnelle l’a conduit à comparer deux approches de la réalité.

Au terme de nos conversations, je dois dire mon admiration accrue pour la manière dont le bouddhisme analyse le monde des phénomènes. Il l’a fait de façon profonde et originale. Mais le but ultime de la science et du bouddhisme n’est pas le même. La science s’arrête à l’étude et l’interprétation des phénomènes, alors que pour le bouddhisme, le but est thérapeutique. En comprenant la vraie nature du monde physique, nous pouvons nous libérer de la souffrance engendrée par notre attachement erroné à la réalité apparente du monde extérieur et progresser dans la voie de l’Eveil.

Ce n’est pas mon intention ici d’imprimer à la science des allures de mysticisme ni d’étayer le bouddhisme par les découvertes de la science. La science fonctionne parfaitement et atteint le but qu’elle s’est fixée sans aucun besoin d’un support philosophique du bouddhisme ou d’une autre religion. Le bouddhisme est la science de l’Eveil, et que ce soit la Terre qui tourne autour du Soleil ou le contraire ne change rien à l’affaire. Mais parce qu’ils représentent l’un comme l’autre une quête de la vérité, dont les critères sont l’authenticité, la rigueur et la logique, leurs manières respectives d’envisager le réel ne devraient pas déboucher sur une opposition irréductible, mais, au contraire, sur une harmonieuse complémentarité. Le physicien Werner Heisenberg a écrit : « Je considère que l’ambition de dépasser les contraires, incluant une synthèse qui embrasse la compréhension rationnelle et l’expérience mystique de l’unité, est le mythos, la quête, exprimée ou inexprimée, de notre époque. »


2-L’interdépendance

2.1 L’interdépendance des phénomènes dans le bouddhisme

L’interdépendance des phénomènes constitue un des principes fondamentaux du bouddhisme. Rien ne peut exister de façon autonome, et être sa propre cause. Un objet ne peut être défini qu’en termes d’autres objets et n’exister qu’en relation avec d’autres entités. Autrement dit, ceci surgit parce que cela est. L’interdépendance est essentiel à la manifestation des phénomènes. Selon le bouddhisme, la perception que nous avons du monde comme étant composé de phénomènes distincts issus de causes et de conditions isolées est appelée « vérité relative » ou « vérité trompeuse ». L ’expérience du quotidien nous induit à croire que les choses ont une réalité objective indépendante, comme si elles existaient de leur propre chef et possédaient une identité intrinsèque. Mais le bouddhisme maintient que ce mode d’appréhension des phénomènes n’est juste qu’une construction de notre esprit qui ne résiste pas à l’analyse. Il soutient que c’est uniquement en relation et en dépendance avec d’autres facteurs qu’un événement peut survenir. Une chose ne peut surgir que si elle est reliée, conditionnée et conditionnante. Une entité qui existerait indépendamment de toutes les autres devrait soit exister depuis toujours, soit ne pas exister du tout. Elle ne pourrait agir sur rien et rien ne pourrait agir sur elle.

Le bouddhisme envisage donc le monde comme un vaste flux d’événements reliés les uns aux autres et participant tous les uns des autres. La façon dont nous percevons ce flux cristallise certains aspects de cette globalité de manière purement illusoire et nous fait croire qu’il s’agit d’entités autonomes dont nous sommes entièrement séparés. Le bouddhisme ne nie pas la vérité conventionnelle, celle que l’homme ordinaire voit ou que le savant détecte, ni ne conteste les lois de cause à effet, ou les lois physiques ou mathématiques. Il affirme simplement que, si on va au fond des chose, il y a une différence entre la façon dont le monde nous apparaît et sa nature ultime.

L’aspect le plus subtil de l’interdépendance concerne la relation entre la « base de désignation » et la « désignation » d’un phénomène. La localisation, la forme, la dimension, la couleur ou toute autre caractéristique apparente d’un phénomène sont des bases de désignation. Leur ensemble constitue la désignation de l’objet, une construction mentale qui attribue une existence autonome illusoire à cet objet. Dans notre expérience de tous les jours, ce n’est guère l’existence nominale d’un objet qui nous apparaît, mais sa désignation. Le bouddhisme ne dit pas que l’objet n’existe pas puisque nous en faisons l’expérience, évitant ainsi la position nihiliste qui lui est souvent attribuée à tort. Mais il affirme aussi que cette existence n’est pas autonome et est purement interdépendante, évitant ainsi la position réaliste matérialiste. Il adopte la Voie médiane selon laquelle un phénomène ne possède pas d’existence autonome, mais n’est pas néanmoins inexistant, et peut interagir et fonctionner selon les lois de la causalité.

2.2 La non-séparabilité en mécanique quantique

Un concept scientifique qui est étonnement proche du concept bouddhique d’interdépendance est celui de non-séparabilité en mécanique quantique, basé sur la célèbre expérience de pensée proposée par Einstein, Podolsky et Rosen (EPR) en 1935. En termes simplifiés, l’expérience est la suivante. Imaginons une particule qui se désintègre spontanément en deux photons A et B. Pour des raisons de symétrie, les deux photons partent dans des directions opposées. Si A part vers le nord, nous détectons B au sud. Jusque-là, apparemment, rien d’extraordinaire. Mais c’est oublier les bizarreries de la mécanique quantique : avant d’être capturé par le détecteur, A ne présentait pas un aspect de particule, mais celui d’une onde. Cette onde n’étant pas localisée, il existe une certaine probabilité pour que A se trouve dans n’importe quelle direction. C’est seulement quand il est capté que A se métamorphose en particule et « apprend » qu’il se dirige vers le nord. Mais si, avant d’être capturé, A ne « savait » pas à l’avance quelle direction il allait prendre, comment B aurait-il pu « deviner » à l’avance le comportement de A et régler le sien de façon à être capté au même instant dans la direction opposée ? Cela n’avait aucun sens, à moins d’admettre que A pouvait informer instantanément B de la direction qu’il avait prise. Mais aucun signal ne peut voyager plus vite que la lumière. « Dieu n’envoie pas de signaux télépathiques » disait Einstein. Celui-ci conclut donc que la mécanique quantique ne donnait pas une description complète de la réalité. Selon lui, il devait exister des « variables cachées » qui décrivaient les deux photons : A « savait » quelle direction il allait prendre et l’a « communiqué » à B avant de se séparer de ce dernier.

Et pourtant Einstein se trompait. En 1964, le physicien John Bell conçut un théorème mathématique connu sous le nom d’« inégalité de Bell » qui devait être vérifié expérimentalement s’il y avait des variables cachées. En 1982, le physicien Alain Aspect et son équipe à Orsay ont réalisé une série d’expériences sur des paires de photons, avec le résultat que l’inégalité de Bell était systématiquement violée. La mécanique quantique avait raison et Einstein avait tort. Dans l’expérience d’Aspect, les photons A et B étaient séparés de 12 mètres, et B « savait » instantanément ce que A faisait. Dans l’expérience la plus récente de Nicolas Gisin et de son équipe à Genève, les photons sont séparés de 10 kilomètres et les comportements de A et B sont toujours parfaitement corrélés. Cela est étrange seulement si nous supposons, comme Einstein, que la réalité est morcelée et localisée sur chacun des photons. Le paradoxe n’est plus si nous admettons que A et B font partie d’une réalité globale quelle que soit la distance qui les sépare, même s’ils se trouvaient à deux bouts de l’univers. A n’a pas besoin d’envoyer un signal à B car tous les deux font partie d’une même réalité. La mécanique élimine ainsi toute idée de localisation. Elle confère un caractère holistique à l’espace. Les notions d’ « ici » et de « là » n’ont plus de sens, car « ici » est identique à « là ». Les physiciens appellent cela la « non-séparabilité ».

2.3 Le pendule de Foucault et l’interdépendance du macrocosme

L’interdépendance des phénomènes ne se limite pas au monde atomique, mais caractérise l’univers tout entier. Une expérience de physique célèbre et fascinante, celle du pendule de Foucault, révèle cette interdépendance du macrocosme. Le physicien Léon Foucault s’est servi de son pendule pour démontrer la rotation de la Terre en 1851. Nous sommes tous familiers avec le comportement du pendule : son plan d’oscillation pivote au fil des heures. Si le pendule était aux pôles Nord ou Sud, le plan ferait un tour complet en exactement vingt-quatre heures. Foucault réalisa correctement que, en fait, c’était la Terre qui tournait alors que le plan d’oscillation du pendule restait fixe.

Mais une question reste : le plan du pendule reste fixe par rapport à quel repère ? Le pendule est attaché au plafond d’un bâtiment sur Terre. La Terre nous transporte à quelque 30 km/s autour du Soleil, qui lui-même tourne autour du centre de la Voie lactée à 230 km/s. Notre galaxie tombe à son tour vers la galaxie Andromède à 90 km/s. Le Groupe Local de galaxies, dont la Voie lactée et Andromède constituent les membres les plus massifs, tombe à 600 km/s vers l’amas de la Vierge et vers le superamas du Centaure, attiré par leur gravité. L’ensemble tombe à son tour vers le Grand Attracteur, un ensemble de quelques dizaines de milliers de galaxies. Tous ces groupements de galaxies sont relativement proches. Et pourtant le pendule de Foucault n’ajuste pas son comportement en fonction de cet environnement proche, mais en fonction des amas de galaxies les plus éloignés, c’est à dire de l’univers tout entier. Comment expliquer ce comportement ? La réponse n’est pas connue. Le physicien Ernst Mach y voyait une sorte d’omniprésence de la matière et de son influence. Selon lui, la masse d’un objet — ici le pendule de Foucault — qui détermine son mouvement, est le résultat de l’univers tout entier sur cet objet à travers une influence mystérieuse distincte de la gravité. De nouveau, nous retrouvons le concept bouddhiste de l’interdépendance. Chaque partie porte en elle la totalité, et de chaque partie dépend tout le reste.

3- La vacuité : l’absence d’une réalité intrinsèque

La notion d’interdépendance nous amène directement à l’idée bouddhique de la « vacuité », qui ne signifie pas « néant » (le bouddhisme a été souvent accusé à tort de nihilisme), mais « absence d’existence propre ». Parce que tout est interdépendant, rien n’existe en soi ni n’est sa propre cause. L’idée d’une réalité solide et autonome n’est pas valide. De nouveau, la mécanique quantique tient des propos étonnement similaires. Selon Bohr et Heisenberg, nous ne pouvons plus parler d’atomes ou d’électrons en termes d’entités réelles possédant des propriétés bien définies, telles la vitesse ou la position. Nous devons les considérer comme formant un monde non plus de choses et de faits, mais de potentialités. La nature même de la matière et de la lumière devient un jeu de relations interdépendantes. Elle n’est plus intrinsèque, mais peut changer par l’interaction entre l’observateur et l’objet observé. Cette nature n’est plus unique, mais duelle. La lumière et la matière n’ont pas une existence intrinsèque parce qu’ils peuvent apparaître soit comme onde soit comme particule dépendant de l’appareil de mesure. Ces deux aspects sont complémentaires et indissociables l’un de l’autre. C’est ce que Bohr appelait le « principe de complémentarité ». Le phénomène que nous appelons « particule » prend la forme d’ondes quand on ne l’observe pas. Dès qu’il y a mesure ou observation, il reprend son aspect de particule. Parler d’une réalité intrinsèque pour une particule, d’une réalité existant sans qu’on l’observe, n’a pas de sens car on ne peut jamais l’appréhender. Le concept d’ « atome » n’est qu’un moyen commode pour relier en un schéma logique et cohérent diverses observations du monde des particules. Bohr parlait de l’impossibilité d’aller au-delà des faits et résultats des expériences et mesures : « Notre description de la nature n’a pas pour but de révéler l’essence réelle des phénomènes, mais simplement de découvrir autant que possible les relations entre les nombreux aspects de notre existence. » La mécanique quantique relativise radicalement la notion d’objet en la subordonnant à celle de mesure, c’est-à-dire à celle d’un événement. De plus, le flou quantique impose une limite fondamentale à la précision des mesures. Il existera toujours une incertitude soit dans la position, soit dans la vitesse d’une particule. La matière a perdu sa substance.

4-L’impermanence au cœur de la réalité

Pour le bouddhisme, l’interdépendance est intimement liée à l’impermanence des phénomènes. On distingue l’impermanence grossière - le changement des saisons, l’érosion des montagnes, le passage de la jeunesse à la vieillesse - et l’impermanence subtile : à chaque moment infinitésimal, tout ce qui semble exister se transforme. L’univers n’est pas fait d’entités solides et distinctes, mais est comme un vaste flux d’événements et de courants dynamiques tous interconnectés et interagissant continuellement. Ce concept de changement perpétuel et omniprésent rejoint ce que dit la cosmologie moderne. L’immuabilité aristotélicienne des cieux et l’univers statique de Newton ne sont plus. Tout bouge, tout change, tout est impermanent, du plus petit atome à l’univers entier en passant par les galaxies, les étoiles et les hommes.

Propulsé par une explosion primordiale, l’univers se dilate. Cette nature dynamique est décrite par les équations de la relativité. Avec la théorie du big bang, l’univers a acquis une histoire. Il a un commencement, un passé, un présent et un futur. Il mourra un jour dans un brasier infernal ou dans un froid glacial. Toutes les structures de l’univers - planètes, étoiles, galaxies ou amas de galaxies - sont en mouvement perpétuel et participent à un immense ballet cosmique : mouvement de rotation autour d’elles-mêmes, de révolution, d’éloignement ou d’approche les unes par rapport aux autres. Elles aussi ont une histoire : elles naissent, évoluent et meurent. Les étoiles suivent des cycles de vie et de mort qui se mesurent en millions, voire en milliards d’années.

Le monde atomique et subatomique n’est pas en reste. Là aussi, tout est impermanence. Les particules peuvent changer de nature : un quark peut changer de famille ou de « saveur », un proton peut devenir un neutron avec émission d’un positon et d’un neutrino. Dans des processus d’annihilation avec l’antimatière, la matière peut se muer en pure énergie. Le mouvement d’une particule peut se transformer en particule, ou vice versa. En d’autres termes, la propriété d’un objet peut se transformer en particule. Grâce au flou quantique de l’énergie, l’espace qui nous entoure est peuplé d’un nombre inimaginable de particules dites « virtuelles », à l’existence fantomatique et éphémère. Apparaissant et disparaissant dans des cycles de vie et de mort d’une durée infinitésimale, elles exemplifient l’impermanence au plus haut degré.

5- Existe-t-il un principe anthropique ?

Malgré les convergences remarquables décrites précédemment, il y a un domaine où le bouddhisme peut entrer en conflit avec la cosmologie moderne. Cela concerne le fait que l’univers a eu un début et qu’il a été réglé de façon extrêmement précise pour l’apparition de la vie et de la conscience.

5.1 Le fantôme de Copernic

Depuis le XVIe siècle, l’homme n’a cessé de rapetisser dans l’espace. En 1543, Copernic déloge la Terre de sa place centrale et la relègue au rang de simple planète tournant autour du Soleil. Depuis le fantôme de Copernic n’a pas cessé de nous hanter. Si notre planète n’occupait pas le centre du monde, notre astre devait sûrement l’occuper. Mais voilà que Harlow Shapley découvre que le Soleil n’est qu’une simple étoile de banlieue parmi la centaine de milliards d’autres qui composent notre galaxie. La Voie lactée n’est elle-même, on le sait maintenant, qu’une parmi les quelque cent milliards de galaxies de l’univers observable, dont le rayon s’étend à quinze milliards d’années-lumière. L’homme n’est qu’un grain de sable sur la vaste plage cosmique. Cette réduction de l’homme à l’insignifiant conduisit au cri d’angoisse de Pascal au XVIIe siècle : « Le silence éternel des espaces infinis m’effraie », auquel firent écho, trois siècles plus tard, le biologiste Jacques Monod : « L’homme est perdu dans l’immensité indifférente de l’univers où il a émergé par hasard », et le physicien Steven Weinberg : « Plus on comprend l’univers, plus il nous apparaît vide de sens ».

5.2 Le principe anthropique

Je ne pense pas que l’homme ait émergé par hasard dans un univers qui lui est totalement indifférent. Au contraire, tous deux sont en étroite symbiose : si l’univers est si vaste, c’est pour permettre notre présence. La cosmologie moderne a découvert que l’existence de l’être humain semble être inscrite dans les propriétés de chaque atome, étoile et galaxie de l’univers et dans chaque loi physique qui régit le cosmos. L’univers semble être parfaitement réglé pour l’apparition d’un observateur intelligent capable d’apprécier son organisation et son harmonie. Cet énoncé est appelé « principe anthropique », du grec « anthropos » qui veut dire « homme ». Deux remarques s’imposent. D’abord le qualificatif « anthropique » est mal choisi. Il sous-entend que l’univers tend vers l’homme exclusivement. En fait, les arguments anthropiques s’appliquent à toute forme d’intelligence dans l’univers. Deuxièmement, la définition que j’ai donnée ne concerne que la version dite « forte » du principe anthropique. Il existe aussi une version « faible » qui ne suppose pas une intention dans l’organisation de la Nature et qui dit : « Les propriétés de l’univers doivent être compatibles avec l’existence de l’homme. » C’est presque une tautologie, et je ne m’y attarderai plus.

Quel est le fondement scientifique du principe anthropique ? L’évolution de l’univers est déterminée par deux types d’informations : 1) ses conditions initiales telles son contenu en masse et énergie, son taux initial d’expansion, etc. et 2) une quinzaine de nombres dits « constantes physiques » tels que la constante de gravitation, la constante de Planck, la masse des particules élémentaires, la vitesse de la lumière, etc. Nous pouvons mesurer la valeur de ces constantes avec une très grande précision, mais nous ne disposons d’aucune théorie physique expliquant pourquoi ces constantes ont la valeur qu’elles ont plutôt qu’une autre. En construisant des modèles d’univers avec des conditions initiales et des constantes physiques différentes, les astrophysiciens se sont rendus compte qu’elles ont été réglées de manière extrêmement précise pour l’émergence de la vie et de la conscience. Si les conditions initiales et les constantes physiques étaient légèrement différentes, nous ne serions pas ici pour en parler. Considérons par exemple la densité initiale de matière dans l’univers. La matière exerce une force gravitationnelle attractive qui s’oppose à l’impulsion de l’explosion primordiale et ralentit l’expansion universelle. Si la densité initiale était trop élevée, l’univers s’effondrerait sur lui-même au bout d’un million d’années, d’un siècle ou même d’un an, dépendant de la valeur exacte de la densité. Ce laps de temps serait trop court pour que l’alchimie nucléaire des étoiles produise les éléments lourds, comme le carbone, nécessaires à la vie. Par contre, si la densité initiale de matière était insuffisante, la force de gravité serait trop faible pour que les étoiles se forment. Sans étoiles, adieu aux éléments lourds et à la vie ! Tout se joue sur un équilibre très délicat. La densité initiale de l’univers doit être réglée avec une précision de 10**-60. La précision stupéfiante de ce réglage est comparable à celle dont devrait être capable un archer pour planter une flèche dans une cible carrée d’un centimètre de côté qui serait placée aux confins de l’univers, à une distance de quinze milliards d’années-lumière ! La précision du réglage dépend de la constante ou de la condition initiale dont il s’agit, mais dans tous les cas, un changement infime entraînerait la stérilité de l’univers.

5.3 Hasard ou nécessité ?

Comment expliquer un réglage d’une si grande précision ? Il me semble que nous avons deux possibilités : la précision du réglage est le résultat soit du hasard soit de la nécessité. Dans l’hypothèse du hasard, il nous faut postuler une infinité d’univers parallèles en plus du nôtre (ces univers multiples forment un « multivers »). Chacun de ces univers aurait une combinaison différente de constantes physiques et conditions initiales. Mais seul le nôtre aurait la combinaison gagnante nécessaire pour l’émergence de la vie et de la conscience. Toutes les autres univers auraient une combinaison perdante et seraient stériles. Par contre, si nous rejetons l’hypothèse d’univers parallèles et adoptons celle d’un seul univers, le nôtre, alors nous devons postuler l’existence d’un principe créateur qui a ajusté l’évolution de l’univers dès son début.

Comment décider ? La science ne peut pas nous aider à choisir entre ces deux possibilités. En fait, il y a plusieurs scénarios scientifiques qui permettent l’existence d’univers multiples. Par exemple, pour contourner la description de la réalité en termes d’ondes de probabilités par la mécanique quantique, le physicien Hugh Everett a proposé que l’univers se divise en deux exemplaires chaque fois que s’offre une alternative ou un choix. Certains univers ne se distingueraient du nôtre que par la position d’un seul électron dans un seul atome. D’autres seraient radicalement différents. Ils auraient d’autres constantes physiques, d’autres conditions initiales et d’autres lois physiques. Un autre scénario de multivers est celui d’un univers cyclique avec une série infinie de big bang et de big crunch. Chaque fois que l’univers renaît de ses cendres pour repartir dans un nouveau big bang, il le fait avec une nouvelle combinaison de constantes physiques et de conditions initiales. Une troisième possibilité est la théorie de Andreï Linde dans laquelle chacune des innombrables fluctuations de la mousse quantique originelle donne naissance à un univers. Notre monde ne serait qu’une petite bulle dans un méta-univers composé d’une infinité d’autres bulles qui n’abriteraient pas de vie consciente, la combinaison de leurs constantes physiques et de leurs conditions initiales ne le permettant pas.

Je ne souscris pas à l’idée d’univers multiples. Qu’ils soient inaccessibles à l’observation, et donc invérifiables, fait violence à ma conception de la science. Sans vérification expérimentale, la science a tôt fait de s’enliser dans la métaphysique. D’autre part, le rasoir d’Occam suggère qu’une explication simple d’un phénomène a plus de chances d’être vraie qu’une explication compliquée. Pourquoi, dans ce cas, créer une infinité d’univers infertiles juste pour en avoir un qui soit conscient de lui-même ? Dans mon travail d’astronome, j’ai l’immense chance d’aller à des observatoires pour contempler le cosmos. Je suis toujours émerveillé par son organisation, sa beauté et son harmonie. Cela est difficile pour moi d’attribuer toute cette splendeur au pur hasard. Si nous rejetons l’idée d’univers multiples et acceptons celle d’un univers unique, le nôtre, alors il me semble que nous devons parier, tel Pascal, sur l’existence d’un principe créateur responsable du réglage extrêmement précis de l’univers. Pour moi, ce principe n’est pas un Dieu personnifié, mais un principe panthéiste omniprésent dans la Nature, semblable à celui dont parlaient Einstein et Spinoza. Einstein l’a décrit ainsi : « Il est certain que la conviction, apparentée au sentiment religieux, que le monde est rationnel, ou au moins intelligible, est à la base de tout travail scientifique un peu élaboré. Cette conviction constitue ma conception de Dieu. C’est celle de Spinoza. »

5.4 Le bouddhisme n’accepte pas le concept d’un principe créateur

Le pari pascalien d’un principe créateur que je viens d’énoncer est contraire à l’optique bouddhique. Le bouddhisme considère que les propriétés de l’univers n’ont pas besoin d’être réglées pour que la conscience apparaisse. Selon lui, les flots de conscience et l’univers matériel coexistent depuis toujours dans un univers sans début. Leur ajustement mutuel et leur interdépendance est la condition même de leur coexistence. J’admets que le concept d’interdépendance offre une explication pour le réglage si précis de l’univers. Mais il est moins évident que ce concept puisse répondre à la question existentielle de Leibniz : « Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? Car le rien est plus simple et plus facile que quelque chose. De plus, à supposer que des choses doivent exister, il faut qu’on puisse rendre compte du pourquoi elles doivent exister ainsi et non autrement. » J’ajouterai : » Pourquoi les lois physiques sont-elles ce qu’elles sont et non autres ? » Ainsi nous pourrions très bien imaginer vivre dans un univers décrit seulement par les lois de Newton. Or ce n’est pas le cas. Ce sont les lois de la mécanique quantique et de la relativité qui rendent compte de l’univers connu.

L’optique bouddhique soulève d’autres questions. S’il n’y a pas de créateur, l’univers ne peut être créé. Il n’a donc ni commencement ni fin. Le seul univers compatible avec le point de vue bouddhique est donc un univers cyclique, avec une série sans fin de big bang et de big crunch. Scientifiquement, le fait que l’univers va un jour s’effondrer sur lui-même, donnant lieu à un big crunch, est néanmoins loin d’être établi. Cela dépend de la quantité totale de matière invisible et d’énergie « noire » dans l’univers. Les dernières observations astronomiques semblent indiquer un univers plat dont l’expansion ne s’arrêtera qu’après un temps infini, ce qui semblerait, en l’état actuel de nos connaissances, exclure un univers cyclique. Quant au concept de flots de conscience coexistant avec l’univers dès les premières fractions de seconde du big bang, la science est encore très loin de pouvoir le vérifier. Certains neurobiologistes pensent qu’il est nul besoin d’un continuum de conscience coexistant avec la matière, que le premier peut émerger de la deuxième, une fois que celle-ci ait passé un certain seuil de complexité.

6- Science et spiritualité : deux fenêtres pour contempler la réalité

Il existe donc une convergence et une résonance certaines entre les deux visions, bouddhiste et scientifique, du réel. Le concept d’interdépendance qui est au cœur du bouddhisme évoque de manière étonnante la globalité du monde mise en évidence par l’expérience EPR à l’échelle atomique et subatomique, et par le pendule de Foucault à l’échelle du cosmos. Le concept bouddhique de la vacuité trouve son pendant scientifique dans la nature duale de la lumière et de la matière en mécanique quantique. Parce qu’un photon est soit onde soit particule dépendant de la façon dont on l’observe, il ne peut pas avoir d’existence intrinsèque. Le concept bouddhique de l’impermanence fait écho au concept d’un univers en évolution constante. Rien n’est statique, tout bouge, tout change, tout se transforme, du plus petit atome aux structures les plus grandes de l’univers. L’univers lui-même a acquis une histoire.

J’ai aussi mentionné certains concepts où il peut y avoir désaccord entre la science et le bouddhisme. Le bouddhisme rejette l’idée d’un commencement de l’univers et donc d’un principe créateur. Pour lui, la conscience est distincte de la matière, coexistant dans un univers sans début.

Les manières respectives d’envisager le réel du bouddhisme et de la science ont débouché, non pas sur une contradiction aiguë, mais sur une convergence harmonieuse. Bien que leurs méthodes d’investigation soient radicalement différentes - la science repose sur l’expérimentation et les théories alors que la contemplation joue le rôle principal dans le bouddhisme — tous les deux sont des fenêtres donnant sur la réalité, et ils sont chacun valides dans leurs domaines respectifs. La science nous donne accès à la connaissance « conventionnelle ». Son but est d’étudier le monde des phénomènes. La science est neutre. Elle ne s’occupe pas de morale ni d’éthique. Ses applications techniques peuvent nous faire du bien ou du mal. Par contre, la contemplation a pour but notre transformation intérieure afin que nous soyons capables d’aider les autres. La science utilise des instruments toujours plus perfectionnés. Dans l’approche contemplative, l’esprit est le seul instrument. Le contemplatif examine le fonctionnement des pensées et tente de comprendre comment ses pensées s’enchaînent pour finalement l’enchaîner. Il observe les mécanismes du bonheur et de la souffrance et essaie d’identifier les processus mentaux qui lui apportent paix intérieure et satisfaction profonde afin de les développer, et ceux qui, au contraire, détruisent sa sérénité afin de les éliminer. La science nous apporte des informations, mais n’a rien à voir avec notre progrès spirituel et notre transformation intérieure. Par contre, l’approche contemplative doit provoquer en nous une transformation personnelle profonde dans la façon dont nous percevons le monde et agissons sur lui. Le bouddhiste, en réalisant que les objets n’ont pas d’existence intrinsèque, diminue son attachement à ces objets, ce qui diminue sa souffrance. Le scientifique, avec la même réalisation, se contente de la considérer comme un progrès intellectuel, sans remettre en cause ni sa vision profonde du monde, ni sa manière de vivre.

Confronté à des problèmes éthiques ou moraux urgents, comme en génétique, le scientifique a besoin de la spiritualité pour l’aider à ne pas oublier son humanité. Einstein l’a exprimé admirablement : » La religion du futur sera une religion cosmique. Elle devra transcender l’idée d’un Dieu existant en personne et éviter le dogme et la théologie. Couvrant aussi bien le naturel que le spirituel, elle devra se baser sur un sens religieux né de l’expérience de toutes les choses, naturelles et spirituelles, considérées comme un ensemble sensé…Le bouddhisme répond à cette description…S’il existe une religion qui pourrait être en accord avec les impératifs de la science moderne, c’est le bouddhisme. »

Trinh Xuan Thuan
Source: LA ou ICI




8-Paroles saintes et doctrines scientifiques:



Quelles ont été les paroles du Bouddha ? Nous savons que ses discours, ses sermons, ses enseignements ont été immédiatement recueillis et transmis de mémoire. C'était à l'époque l'unique moyen pour pérenniser un texte, comme le furent, d'ailleurs, tous les textes et recueils anciens.


Ce n'est qu'à l'époque du roi Ashoka Maurya (qui régna entre 274 et 232 avant J.-C.) que l'on procéda à un regroupement écrit de l'immense patrimoine littéraire bouddhique. Il est certain que celui qui voudrait connaître les textes canoniques bouddhiques (d'après les originaux ou d'après les traductions relativement fidèles qui en ont été faites) serait tout d'abord déconcerté : une qualité presque récurrente - exception faite de quelques livres qui proposent plutôt des aphorismes ou des quatrains est la répétitivité continuelle des phrases et des concepts qui laisse le lecteur ordinaire interdit, si ce n'est même agacé. Les phrases sont précisément répétées, parfois avec l'unique variante d'un ou deux termes à chaque alinéa, souvent sur une dizaine de pages. Ce style particulier est probablement dû au fait que les textes étaient psalmodiés rythmiquement tout au long de la nuit : une espèce de très long mantra hypnagogique.
En somme, nombre de ces textes, débarrassés des répétitions continuelles et allitératives, se réduiraient au maximum à leur dixième.


En tout état de cause, les textes du Bouddha parlent non seulement de l'enseignement de base et des instructions pour la "vie sainte du moine", mais aussi de science, de la constitution matérielle de l'Univers, avec des anticipations surprenantes des concepts premiers sur lesquels repose la valeur de la physique d'aujourd'hui.


Nous lisons, par exemple, dans le Suttapitaka... ces passages incroyablement actuels sur la matière et sur l'atome :


"Tout est énergie ou manifestation d'énergie. Nulle énergie ne se perd. nulle énergie ne se crée... Tous les points de l'Univers sont mus par un courant continu : la plus infime parcelle de l'atome, les unités énergétiques des éléments, les systèmes planétaires... Les atomes se répètent et leur répétition sans fin crée les univers ; et l'Univers est une combinaison d'univers en miniature... L'Univers est une machine infinie composée de sphères immenses qui tournent en systèmes planétaires. Ces sphères sont constituées par des répétitions d'atomes : apparemment des sphères plus petites qui tournent au sein des atomes comme dans un système solaire, à une vitesse constante... Les particules constituées' par des charges électriques composent les atomes ; les atomes composent les matières ; les cellules composent les univers... Le principe qui meut les univers et les êtres est l'énergie, le phénomène physique le plus actif. L'énergie se déplace en vagues, de substance en substance. Rien ne peut se développer sans elle... Les éléments principaux sont des éléments qui se trouvent sur toutes les planètes. Ils sont quatre et au moins une partie d'entre eux se trouve toujours dans toutes les substances... La nature et la variété des substances sont déterminées par la quantité des particules d'éléments qui en constituent l'atome spécifique. L'agglomérat des atomes dans le vide constitue la matière... Il existe de grandes planètes et de petites planètes. Certaines sont plus grandes que la Terre, elles existent depuis bien plus longtemps et elle sont constituées de substances plus lourdes et qui ne sont plus soumises à un mouvement d'expansion... L'atome est une partie infinitésimale. Il contient nécessairement au moins une unité pour chacune des substances... II n'est pas besoin de diviser cette unité, mais si l'atonie était rompu, les unités se disperseraient selon un fractionnement ordonné. L'unité ainsi isolée se chargerait d'énergie en raison de sa fuite fulgurante, en se multipliant à une vitesse fantastique et en développant une force terrible dotée de 176 470 000 000-de rotations au millionième de seconde. Les unités se dispersent depuis les niasses dans tout l'Univers en créant un flux constant d'énergie... Quand l'atome est subdivisé dans les quatre parties qui le composent, les unités énergétiques divisées de l'atome deviennent chacune une force d'action... Outre les forces de charge composant l'atome, il en existe de plus subtiles, constituant les unités...."


Il peut paraître extraordinaire que le Bouddha ait parlé d'atome et de scission nucléaire il y a 2 500 ans. Mais ce n'est pas tout. Il a également dit : "II existe un non-né, non-devenu, non-fait, non-composé ; et si cela n'existait pas, il n'y aurait pas de possibilité d'échapper à ce qui est né, devenu, fait, compose “ .


Par la même loi de l'Univers en équilibre, ce qui est dans ce monde correspond à ce qui n'est pas dans un antimonde : le Bouddha est parvenu à pressentir l'existence de l'antimatière, théorie qui n'a été que récemment avancée par la physique occidentale et qui, actuellement en phase de développement, est considérée comme très importante pour les études scientifiques qui en dériveront.


Cette théorie, empiriquement religieuse mais scientifique en substance, fut suivie par d'autres, éclairées par la physique d'aujourd'hui bien plus que ne l'ont fait les lourds commentaires des siècles passés :


"De même qu'un chariot n'existe pas en lui-même - dit le Bouddha - mais est composé de divers éléments, ainsi rien n'existe en soi et par soi, mais tout est en rapport : l'Univers entier est en corrélation".


Cette "théorie de la relativité" embrasse tout. l'âme elle-même est soumise à un changement continuel d'états. Notre connaissance subjective est soumise à ce que, de façon imprécise, perçoivent les sens ; le salut dépend de la voie que chacun de nous peut se tracer seul : "Comme un singe en fuite dans la forêt saisit une branche puis la lâche immédiatement après pour en saisir une autre, et puis en attrape encore une autre, ainsi ce que vous appelez esprit, pensée, connaissance se forme et se dissout continuellement." Et encore : "Celui qui saisit la dépendance causale saisit la vérité... et celui qui a compris, juge le sable et l'or de valeur égale. Le ciel et la paume de sa main sont, à ses yeux, identiques."

source : Extrait du livre "Bouddha l'Eveillé" : ICI




9- En savoir plus : liens vers d'autres articles


  • - Bouddhisme et science : LA
  • - Conférence: Le Credo Philosophique d’une Bouddhiste européenne: (format PDF) ICI
  • - Méditer développerait le cerveau: ICI
  • -La science conduit-elle à la transcendance? : ICI et le dossier : science et spiritualité : LA

  • -Bouddhisme et science :perspectives communes ou malentendu ?: ICI


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