Par Thich Tri Siêu Traduit du vietnamien par Corinne Segers
Extrait de : Avant Propos
(...) A 23 ans, j’entrai à la pagode et me fis moine, me fixant secrètement pour objectif l’Eveil, la libération dans cette vie même, à l’exemple des patriarches d’autrefois. Ah, la naïveté touchante des premiers pas sur la Voie! (...) Voyageant d’un lieu à l’autre, ma vie de moine errant à la recherche de la Voie me fit découvrir bien des contradictions et des absurdités dans les communautés religieuses, (...)
Deux sortes d’individus peuplent ce monde : les premiers sont en quête permanente du sens de la vie et s’efforcent de comprendre; les seconds n’ont pas la moindre envie de réfléchir et sont parfaitement satisfaits de vivre comme des moutons, de travailler, de bien manger, de bien dormir et de s’amuser comme tout le monde en se conformant au style de vie à la mode.
Les premiers sont peu nombreux, ce sont des révolutionnaires, des visionnaires, des prophètes et des fondateurs de religions, des savants et des inventeurs…
Les seconds constituent la grande majorité, des riches milliardaires aux mendiants les plus pauvres, des dirigeants d’entreprises aux employés et aux ouvriers. Tous ces gens, avides et égoïstes, courent après l’argent, les plaisirs, la beauté et la gloire, sans jamais se demander pourquoi et dans quel but ils sont en vie.
Le Bouddha fut un révolutionnaire qui, insatisfait des doctrines brahmaniques qui prévalaient de son temps, partit en quête d’une nouvelle Voie. Son rejet du système de castes qui dominait la société indienne de l’époque est un des signes de son anticonformisme novateur.
L’histoire nous montre qu’une révolution succède toujours à une période où l’humanité s’assoupit et sombre dans l’obscurantisme. Mais ces révolutions successives n’échappent pas non plus à la loi de l’impermanence : elles réveillent l’homme, changent sa façon de penser et sa manière de vivre pour un temps, puis, petit à petit, elles se figent en structures qui enferment les générations suivantes dans un carcan de traditions conservatrices et dépassées.(...)
Eveil et Libération
La Voie du Bouddha est une voie d’Eveil, de Libération, mais s’éveiller à quoi? Libérer qui?
Les termes " éveil " et " libération " se traduisent en vietnamien par deux mots composés: " giac ngô " et " giai thoat " respectivement.
" Giac " signifie savoir, mais que sommes-nous sensés savoir?
" Ngô " signifie reconnaître, mais qu’est-ce donc qui est reconnu dans l’Eveil?
" Giai " signifie ouvrir, mais qu’ouvrons-nous?
" Thoat " signifie échapper aux entraves, mais quelles sont ces entraves et qui lient-elles?
Ces mots que nous utilisons par habitude, nous sommes-nous jamais arrêtés sur leur véritable signification?
(...) ce que le Bouddha a réalisé n’est autre que les " Quatre Nobles Vérités " (...). Si vous les connaissez déjà, que voulez-vous comprendre de plus?
Les Quatre Nobles Vérités sont la doctrine de base du Bouddhisme que nous connaissons presque tous. Avons-nous pour autant réalisé l’Eveil? Non, bien sûr, me répondrez-vous. Dans ce cas, que nous manque-t-il donc de plus pour y parvenir?
(...)Le Bouddha nous a enseigné tout ce qu’il savait dans les soutras , il ne nous a rien caché. Il devrait donc nous suffir de suivre ces enseignements et de les pratiquer correctement pour devenir nous-mêmes des Bouddhas. Hélas, l’étude des soutras n’est pas chose facile. Nous voilà confrontés aux Soutras du Theravada, à ceux du Mahayana, aux enseignements exotériques du Soutrayana et aux enseignements ésotériques des Tantras, aux enseignements de la voie progressive, à ceux de la voie immédiate, etc.
(...) la plupart des gens étudient et récitent les " grands " soutras, (...) Mais récitent-ils les soutras pour accumuler des mérites ou pour réaliser l’Eveil? Et s’éveiller à quoi? Accumuler des mérites pour qui? Pour notre " moi " égoïste et confus? Ou pour tous les êtres sensibles? Et qui sont ces " êtres sensibles "? Le savons-nous ou ne nous préoccupons-nous que notre moi, ce qui est à moi, ma femme, ma maison, mon temple, mes fidèles?
Pourtant, cela n’est pas encore trop grave. Il y a pire. Il y a ceux qui, plus sages et plus intelligents, vont écouter les maîtres qui expliquent les soutras. Ils collectionnent les cassettes de ce maître-ci ou de ce maître-là, puis, convaincus d’avoir compris le sens des grands soutras, ils ne regardent plus les autres qu’avec mépris.
Le Bouddha nous a pourtant mis en garde, précisant que ses enseignements n’étaient qu’un moyen et non la vérité elle-même, qu’ils étaient comparables au doigt qui montre la lune mais qui n’est pas la lune. A quoi rime donc l’orgueil que certains tirent de leur présumée connaissance supérieure des soutras et leur mépris des autres? Est-ce qu’étudier et réciter les soutras de la sorte mène à l’Eveil et à la Libération ou à développer encore davantage d’ignorance et d’émotions négatives?
A quoi s’éveille-t-on? L’objet que vous poursuivez dépendra entièrement de votre niveau, de vos acquis et de vos aspirations. (...)
(...)Mais que vous suiviez le Zen, le tantrisme ou la Terre Pure, que voulez-vous réaliser? La doctrine bouddhiste est infiniment vaste et ne se limite pas à des termes comme " nature de Bouddha ", " visage originel ", " Zen ", " Terre Pure ", " tantrisme ". Il en va de même de l’Eveil ou, pour être plus précis, de l’objet de l’Eveil qui est, lui aussi, infiniment vaste. Pour le connaître, il ne faut pas nécessairement entrer au monastère et se faire moine! Peut-on trouver l’Eveil dans tel ou tel soutra? Ou devons-nous le chercher directement dans la vie de tous les jours?
Je suis sûr que vous avez déjà rencontré de ces gens qui fréquentent les temples depuis tant d’années, qui connaissent et ont récité un nombre impressionnant de soutras et qui pourtant se comportent encore plus mal que bien des gens qui ne connaissent rien au Bouddhisme.
Si c’est l’Eveil que vous cherchez, essayez de déterminer et de définir l’objet de votre quête. A quoi voulez-vous vous éveiller? Ce que vous cherchez va-t-il vous permettre de mieux vivre avec les gens qui vous entourent, dans l’harmonie, la paix et le bonheur? (...)
Parlons maintenant de la libération.
Supposons que quelqu’un me capture, me lie pieds et mains et m’enferme à double tour. Ensuite, j’essaye de me débarrasser de mes liens et de m’enfuir de ma cellule. Lorsque je suis parvenu à m’échapper, je peux dire que je me suis libéré.
Les soutras comparent les trois mondes à une maison en feu où l’on ne peut nulle part trouver le repos et la paix. Notre seule issue est de pratiquer pour nous échapper. Mais si nous y regardons de plus près, qui nous a capturés? Qui nous a enchaînés? De quoi sont faits les liens qui nous entravent? Où sommes-nous enfermés?
(...) En résumé, nous sommes les artisans de notre propre souffrance, il n’y a personne d’autre qui nous fasse souffrir.
Les ennemis du Bouddha l’insultèrent et usèrent de tous les moyens possibles pour lui nuire, sans parvenir à altérer sa sérénité heureuse. La pluie, le soleil, les louanges ou les blâmes ne sont que des circonstances extérieures. Si nous ne maîtrisons pas notre esprit et nous laissons emporter par des émotions qui nous font souffrir, c’est notre propre faute et non celle des autres.
Alors pourquoi pleurer lorsque nous entendons certains nous critiquer et médire de nous dans le monastère? Qu’avons-nous fait de la leçon sur la libération? Si d’autres s’empoisonnent l’esprit de mauvaises pensées et se salissent la bouche de méchantes paroles, ce n’est que le résultat de leur ignorance. En quoi cela nous concerne-t-il donc? Pourquoi nous sentir si malheureux? N’est-ce pas notre ego qui se sent blessé?
Et si nous partions à la chasse ? Si nous partions chasser cet ego…
Source : Quelle voie Bouddhiste (Lire le Texte intégral)
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