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samedi 26 janvier 2008

lokavidū; "celui qui connaît le monde"






Un enseignement de Ajahn Sumedho, donné au Centre de Méditation de Beatenberg - Suisse- Juin 2001- Traduit par Jeanne Schut

Rappel : sa Biographie : ICI




Les mots ont le pouvoir de nous toucher de différentes façons.

Il nous arrive souvent de nous sentir heureux ou abattus selon ce que les gens disent de nous. Que l’on chante nos louanges, et nous voilà heureux, que l’on nous critique et nous voilà furieux
ou déprimés. Les mots, l’intonation de la voix, toute la sphère sensorielle dans laquelle nous baignons a cet effet sur nous.

Le fait d’être né dans un corps humain en tant qu’entité consciente dans cet univers est une expérience sensorielle permanente. Cette sensibilité est parfois très pénible parce qu’il arrive que nous ne la comprenions pas, donc nous l’interprétons mal et, bien sûr, elle fait peur.

Nous passons énormément de temps à nous désensibiliser ou à créer autour de nous un monde de sécurité illusoire qui nous donne l’impression d’être à l’abri.

La société fait de son mieux pour isoler les étrangers, les gens bizarres, les fous, les lépreux et autres inadaptés, de façon à créer l’illusion que tout va bien.

Dans le Dhamma, par contre, nous n’essayons pas de nous illusionner sur nous-mêmes ou sur le monde dans lequel nous vivons mais de connaître vraiment le monde tel qu’il est.


L’un des qualificatifs utilisés pour décrire le Bouddha est lokavidū, « celui qui connaît le monde ».

Dans ce contexte, il ne s’agit pas d’un monde qu’un dieu aurait créé il y a quelques milliards d’années comme on le conçoit généralement, mais du monde que nous créons nous-mêmes.

En effet, quand on considère l’immédiateté de l’instant, il devient évident que c’est nous qui créons le monde dans lequel nous vivons.

Je vous propose cela comme sujet de réflexion, pas comme un dogme qu’il vous faudrait adopter mais comme une autre façon de considérer et de comprendre ce que vous faites dans le présent. Je dis que, en cet instant, vous vous créez vous-même ainsi que le monde dont vous faites l’expérience, à travers vos peurs, vos désirs et vos habitudes.

Pour transcender cela nous avons l’Attention, la présence consciente. Pas pour créer un monde meilleur ou pour nous mettre d’accord sur le monde que nous allons créer — ce qui est d’ailleurs impossible — ou pour nous débarrasser du monde et le réduire à néant, mais pour connaître le monde.

Loka signifie monde et vidū celui qui connaît, celui qui voit — Celui qui Voit le Monde.


Le monde dont je parle n’est rien d’autre que ce que vous croyez être

Vos peurs, vos désirs, vos habitudes, vos idées et vos opinions. C’est cela, le monde que vous créez. (...)
Quand on regarde les choses sous cet angle, on voit qu’il n’y a ni "Angleterre" ni "Suisse" ni rien de ce genre. Les choses sont ce qu’elles sont et c’est tout. Mais l’être humain crée ces idées autour des choses. Ensuite nous en venons à désigner une région en lui donnant un nom et puis nous y croyons comme à une réalité. Mais quand nous examinons tout cela, nous constatons qu’il n’y a là rien de réel.


Les conditionnements culturels.

C’est la même chose pour ce qui nous concerne. Quand nous grandissons, nous sommes conditionnés par nos parents, notre culture. Nous avons une idée de qui nous sommes et de ce que nous devrions être. Les images ou les attentes que les parents ont pour leurs garçons ou leurs filles, tout cela est projeté sur nous dès la naissance. Le sentiment d’être suisse ou américain est quelque chose que nous acquérons. Nous acquérons aussi l’idée de comment les garçons ou les filles devraient se comporter, comment les choses devraient être. Tout cela nous est inculqué tout de suite après la naissance.
Quand nous prenons vie dans un corps humain, il y a rupa, le corps, et nama, l’esprit. C’est naturel, c’est le Dhamma, l’aspect naturel des choses ; ce n’est pas culturel, ce n’est pas quelque chose qui a été ajouté par la société — et nous en prenons conscience : c’est ainsi. En grandissant nous nous approprions une image de nous mêmes avec le nom, l’identification à une famille, une classe sociale, une race, un groupe ethnique ou une tribu … Tout cela nous vient après la naissance. Ce sont des conditionnements culturels. De même, ce que nous pensons de nous-mêmes — que nous méritons ou pas d’être aimés, que nous sommes intelligents ou stupides — tout cela est acquis, ce n’est pas « naturel », pas Dhamma.


Toutes ces choses-là ne sont que des fabrications mentales

Si nous ne le voyons pas, si nous ne remettons pas ces choses-là en question, nous aurons tendance à fonctionner à partir de ces fabrications mentales, parfois durant toute notre vie.

Ce que nous faisons, en méditation, ce n’est pas essayer de nous débarrasser de nos idées pour en adopter d’autres — des idées bouddhistes, par exemple. Il ne s’agit pas de vous débarrasser de votre perception suisse ou de votre perception chrétienne des choses, il ne s’agit pas de substituer un type de perception par un autre, mais de transcender votre capacité de perception et de prendre du recul par rapport à elle pour cesser de fonctionner à partir de ces préjugés ou de ces habitudes acquises.

Il y a des gens qui ont une vie très dure dès la naissance, qui viennent au monde dans des circonstances très difficiles. Nous avons tous des problèmes différents dans la vie, que ce soit la pauvreté, une forme de handicap, les conditions économiques et politiques du pays où nous naissons …. et cela agit sur nous de telle sorte que, si nous ne nous éveillons pas à la véritable nature des choses, nous pouvons nous retrouver plus ou moins programmés par certaines perceptions et habitudes et réagir toute notre vie en fonction de cela .

Pourtant je suis sûr qu’en chacun de nous il y a le sentiment que quelque chose d’autre existe derrière cette programmation, une espèce d’intuition que la vie n’est pas simplement être bien programmé, avoir les bonnes pensées, appartenir au bon groupe — ou même essayer de perfectionner le monde et d’y intégrer nos idéaux.

J’ai grandi aux Etats-Unis, pays de culture très idéaliste. Nous sommes élevés avec des idées très arrêtées sur comment les choses devraient être. Nous avons un fort sentiment de liberté par exemple, de liberté personnelle, d’individualité, d’égalité des droits. Ce sont là des valeurs et des idéaux américains très puissants qui nous sont distillés à travers notre éducation, les opinions de nos parents, etc.



Contemplons la nature d’un idéal.

Avoir un idéal, c’est créer quelque chose à son plus haut niveau : nous imaginons la façon dont les choses devraient être si tout était parfait, à leur point culminant, là où tout est absolument juste, honnête, beau, vrai, absolument parfait. Prenons l’exemple de la liberté. L’idéal de la liberté pour un Américain revient à dire : « Etre libre est mon droit », d’où il découle : « Je peux faire ce que je veux et quiconque essaie de m’en empêcher, de m’arrêter ou de me limiter va à l’encontre de mon droit à la liberté. » A partir de là, il se peut que l’on se sente terriblement frustré, menacé ou furieux contre toutes les influences, les forces, qui empêcheront d’être libre, autrement dit de vivre son idéal.

Ou bien prenons l’exemple de l’égalité : tout le monde est pareil, nous sommes tous égaux — riche ou pauvre, homme ou femme, blanc ou noir — selon l’idéal, nous sommes tous égaux. C’est l’idéal de l’égalitarisme mais ce n’est pas la réalité. Au quotidien, dans la vraie vie, les Américains sont loin d’être égalitaires ...


Dans la méditation, nous observons les choses telles qu’elles sont, non telles qu’elles devraient être selon un idéal

Donc il y a l’idéal et puis la réalité de l’instant qui n’a rien d’idéal. Or, dans la méditation, nous observons les choses telles qu’elles sont, non telles qu’elles devraient être selon un idéal.

Les idéaux sont bien, ils sont beaux, ils sont parfaits. On peut imaginer un idéal qui soit parfait, sans faille, supérieur à tout … mais cela restera une idée, un idéal. C’est statique, sans vie, sans la souplesse, le mouvement, le changement dont nous faisons l’expérience dans la vie. On peut le figer, dire que la vie devrait se conformer à cette image parfaite — mais que se passe-t-il ensuite ? Nous devenons très critiques. Nous nous observons et nous constatons immédiatement : « Je ne suis pas une personne idéale. Il y a des tas de choses que je ne devrais pas penser ou ressentir. » Et puis nous regardons autour de nous et ne trouvons rien ni personne qui soit idéal, aucune société, aucun système politique ... Ah, si ! La démocratie !

Voilà ! C’est le système que l’on devrait appliquer partout ! Mais quand on regarde les démocraties de près, il est évident qu’elles sont loin de l’idéal que nous avons de la démocratie, n’est-ce pas ? Il y tellement de choses à redire, tellement d’inégalités, tellement de situations qui ne sont pas démocratiques — et qui devraient l’être !
Alors viennent l’indignation, la colère et la frustration contre le pays en question.

C’est la même chose pour nous. Ne sommes-nous pas souvent très critiques envers nous-mêmes parce que nous ne sommes jamais aussi bons que nous pensons devoir l’être ? Nous n’avons jamais assez de sagesse, de compassion, de gentillesse, de bienveillance, comparé à ce que nous devrions avoir si nous étions aussi parfaits que notre idéal.

Il est très important de réfléchir aux idéaux. Un idéal a une raison d’être. C’est une sorte d’étoile qui nous guide ; elle est très haute, parfaite et nous montre une direction.

C’est comme le Bouddhisme, ou le Bouddha en tant qu’idéal : le Bouddha est l’Eveillé, le Parfaitement Eveillé, Celui qui est toute compassion, etc. C’est un idéal, une haute et belle étoile qui nous donne une direction à suivre. Mais si on compare la vie quotidienne que l’on mène à un idéal, on aura toujours l’impression de ne pas pouvoir y arriver, ne jamais être assez bon, assez valeureux parce que les réalités de la vie ne permettent pas de connaître cette apothéose avant la mort.

(...)

Etre humain, c’est avoir un corps, des yeux, des oreilles, un nez, une langue. Un corps toujours plus ou moins irrité, d’une façon ou d’une autre, du fait de nos sens et de notre sensibilité à la chaleur, au froid, au plaisir, à la douleur, aux contacts qui s’imposent à nous par la vue, les sons, les odeurs, les goûts, le toucher ; et puis par notre mental avec ses pensées et cette mémoire qui retient tout, qui fait que nous nous souvenons des bons moments comme des mauvais.

(...)

Dans la méditation de l’ici et maintenant, certaines choses vont faire surface et remonter à la conscience

et c’est une bonne chose, ce n’est pas le signe d’une mauvaise méditation. Si des émotions désagréables ou des états d’esprit négatifs remontent au niveau du conscient, c’est parce que vous vous ouvrez véritablement. A ce moment-là, des souvenirs, des pensées, des émotions qui vous aviez refoulés ou niés resurgissent. C’est en leur permettant d’être pleinement conscients que vous pourrez les laisser partir, lâcher prise. Dans ce cas, le lâcher prise n’est pas un rejet, un déni ou un refoulement mais la capacité à vous libérer de l’habitude du refoulement et du déni.

C’est dans l’instant présent que nous pouvons accéder à cela. Même si vous comprenez la théorie et que vous en voyez intellectuellement le bien-fondé, c’est dans la dure réalité de l’instant qu’apparaissent la colère et le ressentiment. Voyez ces moments comme des occasions plutôt que comme une mauvaise méditation. C’est l’occasion de voir les choses clairement, telles qu’elles sont : c’est ainsi.

sati sampajañña: la conscience intuitive

(...) on s’ouvre, on accueille simplement, en acceptant les choses telles qu’elles sont, grâce à cette prise de conscience ou sati sampajañña, la conscience intuitive. Alors seulement on peut laisser les choses être ce qu’elles sont. On n’essaie pas de les changer ou de blâmer quelqu’un. Non, c’est ainsi et c’est tout. Ensuite on va observer que tout cela disparaît naturellement. Les choses apparaissent, se maintiennent un moment et puis disparaissent.

« Ce » qui est conscient de cette apparition et de cette disparition, de la présence et de l’absence des phénomènes, c’est Bouddho, la connaissance, la pure subjectivité en laquelle nous commençons à avoir confiance (...)

La personnalité apparaît dans le cadre de la conscience mais la conscience, elle, n’est pas personnelle, c’est une condition naturelle. Tout cet univers dans lequel nous vivons est une expérience de la conscience. Ce n’est pas masculin ou féminin, américain ou suisse, personne ne peut revendiquer la conscience. Bien sûr, on peut croire qu’elle nous appartient mais c’est une illusion que nous créons. Donc il ne s’agit pas d’y croire comme en quelque chose de personnel mais de commencer à reconnaître l’état naturel qui consiste à être conscient avant de devenir « quelqu’un ».

(...) Il faut aussi développer une certaine confiance en notre propre capacité à apprendre de l’instant. Nous avons tendance à préférer croire les Ecritures ou ce que disent les maîtres plutôt que notre propre vécu parce que l’image que nous avons de nous-mêmes est peu sûre.

Notre « personnalité » est si instable, si facilement perturbée par les événements, que nous ne pouvons pas la considérer comme un refuge — et c’est aussi vrai pour la personnalité de quiconque ! Par contre, ce à quoi nous pouvons nous fier, c’est à cette conscience, cette Attention au présent.


Prendre conscience de l’existence physique du corps

A cet instant, vous pouvez simplement prendre conscience de l’existence physique du corps : la posture, la présence de ce corps tel que vous en faites l’expérience — non en fonction de théories sur le corps, mais à partir d’une conscience directe : avoir un corps en position assise, c’est ainsi. Simplement en vous disant cela, vous vous ouvrez à l’expérience de l’assise et le corps apparaît soudain dans la conscience.

Quand vous le reconnaissez, vous pouvez percevoir certaines sensations : tensions, douleurs, picotements, sensations agréables, désagréables ou neutres … Votre Attention s’ouvre aux choses telles qu’elles sont, à la sensibilité de ce corps tel que vous le ressentez dans l’instant.

Et puis il y a la respiration. Développer la méditation sur l’inspiration et l’expiration — c’est l’ici et maintenant …


Observer l’état mental, la qualité du mental dans l’instant présent,

Et puis citta vipassanā : observer l’état mental, la qualité du mental dans l’instant présent, observer l’humeur, l’état émotionnel. Simplement observer. Il ne s’agit pas d’essayer d’y échapper mais de prendre conscience que vous pouvez regarder l’état émotionnel comme un objet. Cette conscience embrasse toute l’émotion que vous ressentez. Au lieu de l’analyser pour en rechercher la cause, vous la voyez comme une qualité énergétique. Cette énergie est là. C’est ainsi.


Et puis il y a le « son du silence ».

L’arrière-plan qui englobe tout, le sans-limites. Quand on médite sur le son du silence, on a un sentiment d’infinitude. Il n’a aucune frontière, il est partout, il pénètre tout, il est incommensurable.

Tout cela vous permet de cesser de vous positionner sur le plan personnel habituel : « Il faut que je pratique, je dois me débarrasser de tous mes défauts, je dois faire plus d’efforts pour aller plus loin et trouver l’Eveil un jour. » Cela, c’est le conditionnement habituel de l’esprit.

Mais quand vous percevez ce calme infini, cet incommensurable, cette immobilité du mental, vous commencez à voir que les idées erronées qui vous font fonctionner habituellement — « Je suis une personne qui doit pratiquer pour pouvoir devenir … » — sont une fabrication mentale, c’est le monde que vous créez à partir de votre vision conditionnée des choses.

Ce qui sait, ce qui perçoit la vérité, n’est pas personnel. Bien sûr, il ne s’agit pas non plus de dire : « Inutile de méditer, il n’y a ni passé ni futur, je suis déjà parfait. » Non, ce que nous faisons, c’est apprendre ce qui est naturel sans le transformer aussitôt en autosatisfaction ou en autocritique.


  • Lire "Le son du silence" d'Ajahn Sumedho : ICI


La tendance des Occidentaux est de s’appesantir sur leurs défauts.

(...)Ajahn Chah nous encourageait souvent à contempler nos propres qualités, même sur le plan personnel, parce que la tendance des Occidentaux est de s’appesantir sur leurs défauts.

Il est vrai que, dans nos cultures, dire quelque chose de bien sur soi, c’est se vanter. Cela ne se fait pas, c’est prétentieux, c’est orgueilleux. On n’est même pas censé avoir la moindre idée positive sur soi, au point que nous croyons qu’être honnête signifie reconnaître tous ses défauts.

(...)dans la tradition bouddhiste ceci est encouragé, non pas pour se vanter ou cultiver une bonne image de soi mais comme une réflexion honnête sur notre véritable nature.

Par exemple, pourquoi venir à une retraite de méditation ? Rester assis sans bouger pendant une semaine, s’engager à respecter les Huit Préceptes, ne pas pouvoir parler, se lever à 5h30 le matin … quand vous pourriez passer du bon temps ailleurs ! Pourquoi ? Parce qu’il y a quelque chose en nous qui aime ce qui est bon et qui a envie de se rapprocher de ce qui est authentique.
Nous sommes prêts à sacrifier confort et plaisir pour en avoir l’occasion. Sinon nous ne viendrions pas dans un endroit comme celui-ci ; il y a tellement d’autres possibilités en cette belle saison, tellement de choses plus drôles à faire !


Le but est de voir que nous ne sommes pas vraiment cela

Reconnaissons donc les bonnes choses qui sont en nous sans pour autant écarter les mauvaises. Le but est de voir que nous ne sommes pas vraiment cela : nous ne sommes ni bons ni mauvais. Ces choses-là apparaissent et cessent selon les circonstances mais notre véritable nature transcende cette dualité, cette perception du bon et du mauvais. Quand nous le voyons, nous entrons dans la sagesse, pañña, et le anattā dhamma.

(...)

Lire d'autres enseignement de Ajahn Sumedho sur ce blog : ICI



samedi 8 décembre 2007

La conscience et le "Moi", selon le bouddhisme théravada

photo sparkle




Plan de ce message:

1) La conscience selon le Bouddhisme Théravada

2)
Enseignement de la nonne Indavati et Paroles du Bouddha dans le anattalakkhana sutta ( ou discours sur le "moi')




1) La conscience

Selon le Bouddhisme, ce qu'on appelle un "être", est composé d'esprit et de matière (nama-rupa).

La matière est simplement la manifestation de forces et de qualités qui sont dans un état de mouvement constant.
L'esprit n'est également qu'un assemblage complexe d'états mentaux fugitifs.

Chaque unité de conscience se compose de trois phases :
- phase génétique ou apparition (uppada),
- phase statique ou évolution (thiti),
- phase de cessation ou dissolution (bhanga).

Immédiatement après la cessation d'un moment pensée, survient l'apparition du moment pensée suivant. De même que la roue ne repose sur le sol que par un seul point, de même l'être ne vit que pendant un seul moment-pensée.

Il est toujours dans le présent, et cependant il est en train de glisser dans le passé irrévocable. Chaque moment de conscience de ce processus vital en perpétuelle évolution, en disparaissant, abandonne à son successeur toute son énergie et toutes ses impressions marquées de manière indélébile. Chacun des moments de conscience successifs se compose donc des potentialités de ses prédécesseurs et de quelque chose de plus.

Il y a ainsi un courant de conscience continu, semblable à un flux ininterrompu. La pensée qui suit n'est pas tout à fait la même que celle qui précède, puisque sa composition n'est pas identique, ni pourtant entièrement différente, puisqu'elle est la même continuité de l'énergie Kammique. Ici, il n'y a pas de similitude mais un processus identique.

A chaque moment il y a naissance, à chaque moment il y a mort. L'apparition d'un moment-pensée entraîne la disparition d'un autre moment-pensée et vice versa. Au cours d'une vie, il y a renaissance momentanée mais pas d'âme.

Il ne faut pas se méprendre en pensant que la conscience est coupée en morceaux joints les uns aux autres, comme dans un train ou une chaîne. Au contraire:
"elle s'écoule sans cesse comme une rivière recevant de ses ruisseaux tributaires de perception, un accroissement constant de flux, et dispensant continuellement au monde extérieur, la matière-pensée qu'elle est accumulées".

La naissance est la source. La rapidité de ce courant est telle qu'il n'existe guère de mesure adéquate pour la mesurer, même approximativement. Néanmoins, des commentateurs aiment à dire que la durée d'un moment pensée est moindre que la billionième partie d'un éclair.

Nous trouvons ici une juxtaposition d'états mentaux passagers de conscience, en opposition à une superposition d'états analogues, comme certaines personnes semblent le croire.
Aucun état de conscience, une fois disparu, ne revient et n'est absolument semblable à ce qu'il
était auparavant. Ces états ne demeurent jamais identiques pendant deux moments consécutifs.
Mais nous qui vivons dans le monde et dont la compréhension est obscurcie par le voile de l'illusion, nous prenons à tort cette continuité apparente pour quelque chose d'éternel, et étendons cette idée jusqu'à mettre dans cette conscience toujours changeante, une âme immuable, un atta, un "moi" supposé qui est à la fois acteur et récepteur de toutes les actions.

"Ce qu'on appelle "être" est semblable à un éclair constitué par une succession d'étincelles qui se suivent avec une telle rapidité que la rétine humaine est incapable de les percevoir séparément; de ce fait, les gens ignorants ne peuvent arriver à concevoir qu'elles sont une série d'étincelles séparées".


De la même manière, il n'existe aucune âme permanente résidant dans ce qu'il est convenu d'appeler un "être" qui en réalité, qu'une simple combinaison de cinq agrégats.

Lire : les 5 agrégats : ICI

Nous voyons dans l'océan une vaste étendue d'eau, mais les eaux de cet océan sont composées de gouttes innombrables. La plage est constituée par un nombre infini de particules de sable, mais elle apparaît comme une longue bande unie. Les vagues se soulèvent et se brisent sur le rivage, mais pas une seule vague, née de la haute mer, ne vient perdre son identité sur le rivage.
On ne peut pas dire que le parfum d'une fleur se trouve sur les pétales ou dans le pistil ou dans la couleur, car le parfum est dans toute la fleur.

De la même façon, un individu déterminé est la combinaison de ces cinq agrégats.


Le Bouddhisme ne nie pas totalement l'existence d'une personnalité dans un sens empirique, il veut seulement montrer qu'elle n'existe pas en réalité.

Le terme philosophique bouddhique pour désigner un individu est santati - un flux ou une continuité de phénomènes psychophysiques, qui est conditionné par le Kamma, n'est pas limité uniquement à la vie présente.
Ayant sa source dans le passé sans commencement et sa continuation dans le futur sans fin, il est le substitut bouddhique du "soi" permanent ou de l'âme immortelle des autres religions.

Cette doctrine du non-soi, de la non-âme (anatta) est l'une des caractéristiques essentielles du Bouddhisme.

Lire anatta: ICI

Comment la re-naissance est-elle possible sans qu'il existe une âme à renaître?
A vrai dire, rien ne renaît. Quand la vie cesse, l'énergie Kammique se re-matérialise dans une nouvelle enveloppe physique. "invisible, elle disparaît et se re-manifeste visiblement lorsque des conditions appropriées se présentent. Ici, se montrant sous la forme d'un moucheron ou d'un ver, ailleurs faisant connaître sa présence magnifique et éblouissante en tant que Deva ou Archange. Quand l'une de ses manifestations matérielles meurt, elle meurt aussi, pour se révéler de nouveau sous un autre nom ou une autre apparence, à la première occasion favorable". (Bhikkhu Silacara)


Selon le Bouddhisme, la naissance est simplement la manifestation dans un être, des cinq agrégats. De même que l'apparition d'un état physique est conditionnée par un état physique antérieur qui en est la cause, de même la manifestation des phénomènes psycho-physiques est conditionnée par des causes antérieures à la naissance.

Le processus actuel de "devenir" est le résultat d'un désir de "devenir" dans la vie précédente, et l'actuel désir instinctif de "devenir" conditionnera la vie dans une naissance future.
De même qu'un processus de vie est possible sans qu'il y ait une entité permanente pour passer d'un moment-pensée à un autre, de même une succession de processus de vie est possible sans que quelque chose transmigre d'une vie à une autre.

Lorsque l'enveloppe physique périt, la conscience ne meurt que pour donner immédiatement naissance à une nouvelle conscience dans une nouvelle vie. Cette conscience renouvelée hérite de toutes les expériences passées. La continuité du flux est ininterrompue dans le temps et il n'y a pas de rupture dans le courant de la conscience.

De la même manière, lorsqu'un être meurt, sa force Kammique renaît dans un autre être, et cet être nouveau est conditionné par le kamma de l'être qui l'a précédé. Le nouvel être n'est absolument pas le même que le précédent, puisque les agrégats qui le composent ne sont pas identiques; ni entièrement différent, puisqu'il fait partie du même courant d'énergie Kammique. Il y a seulement une continuité du flux vital, et rien d'autre.


source : abhidhamma.free


Lire aussi Le kamma : ICI et : la renaissance dans le Samsara: LA



2) Enseignement de la nonne Indavati et Paroles du Bouddha:


Lorsque le Bouddha parle d’un "moi", c'est uniquement dans un sens conventionnel.

Le Bouddha ne nie pas l’individualité ; il est trop réaliste pour cela, car il est évident que chacun de nous possède une personnalité distincte qu’on appelle aussi le moi dans nos sociétés

Pour comprendre ce que le Bouddha a voulu dire, il faut réaliser qu’il a deux points de vue différents de la réalité, qu’il regarde le monde tour à tour par l’une ou l’autre lorgnette et enseigne en conséquence.Il est important de ne pas confondre ces deux points de vue, car sinon la confusion s’ensuit.
Le Bouddhisme distingue entre la réalité ultime, paramattha et la réalité conventionnelle, paññatti.

Lire : les 4 paramattha : les 4 vérités ultimes: ICI


Du point de vue de la réalité conventionnelle, on ne voit que la forme des choses.

La réalité ultime, elle, contemple toutes choses selon ses composants.


Bouddha donne l’exemple suivant :
quand nous allons chez le boucher et que nous voyons des morceaux de boeuf, nous ne voyons que de la viande et pas le boeuf. Quand le boeuf est vivant et entier, tous les morceaux assemblés donnent une certaine forme que nous appelons boeuf (point de vue conventionnel). Seulement une fois qu’il a été abattu et décomposé en morceaux, ce n’est plus un boeuf, mais de la viande (point de vue ultime).
C’est pourquoi on dit alors que le boeuf n’existe pas.
Dans le même sens, Une personne est composée de matière et d'esprit.


Par la méditation vipassana,
nous essayons d’être conscient à chaque instant des unités réelles qui composent notre être comme la matière et les instants de conscience afin de développer la sagesse qui nous permet de voir qu’en fait, le monde est imparfait, instable, rempli de frustrations et est en dehors de notre contrôle.



Que veut dire le Bouddha quand il enseigne, seul face aux autres religions qu’il n’y a pas de moi ?

Idées fausses:
La vacuité ou le non-moi ne veulent pas dire que les choses autour de nous n’existent pas ou que nous n’existons pas.
Nous existons et le monde extérieur existe aussi, mais pas de la façon dont nous le pensons. Il existe sous forme d’unités de base qui apparaissent et disparaissent si rapidement qu’elles nous donnent l’illusion d’être permanentes (effet des images qui défilent à grande vitesse pour donner un film)
La compréhension du non-moi ne signifie pas non plus qu’on ne ressente plus aucune émotion, qu’on ne ressente que du vide, qu’on perçoive que le monde est sans signification.



Comment se traduit une réelle compréhension du non-moi dans la méditation?

Certains ont l’impression que le corps est une marionnette ou un robot, d’autres ont l’impression en s’observant, de regarder quelqu'un d’autre, en dehors d’eux (pare) ou que le corps et les pensées sont juste des phénomènes apparaissant d’eux-mêmes comme dans la nature, qu’ils ne nous appartiennent pas (anatta). D’autres ressentent que le corps ou les pensées sont vides de toute chose désirable (ritta) ou qu’elles sont inutiles (tuccha) parce qu’elles ne peuvent pas nous satisfaire. Ou bien on ressent le corps ou les pensées comme vides c’est à dire qu’elles ne forment pas un support, qu’elles n’ont pas de substance, parce que les unités qui les composent sont tellement éphémères (suñña)

Mais avant d’arriver à cela, quelles perceptions du moi y a-t-il chez quelqu'un qui ne pratique pas?

Les êtres encore ignorants des 4 nobles vérités pensent que :
· le corps est identique au moi ou
· le moi possède un corps ou
· le corps est à l'intérieur du moi ou
· le moi est à l'intérieur du corps.


1°) le corps est identique au moi:

C'est la conception de la majorité des gens, de ceux qui n'ont pas tenté une démarche spirituelle. Quand ils disent : “ je marche, je m'assois, je dors, je mange, je fais ce que je veux ” ils parlent du corps qui fait des mouvements, mais ils l’identifient à leur moi. Quand le corps marche, ils disent : “ je marche ” . Cela veut dire que pour eux le corps est identique au moi.


2°) le moi possède un corps:

C'est la vue de gens qui ont déjà eu une démarche spirituelle et qui pensent que le moi est une sorte d'unité mentale, une sorte de force invisible qui utilise un corps, qui possède un corps, et qui change de corps d'une vie à l'autre.

Selon le Bouddha, ceci est encore une fausse vue, car dans ce cas on identifie le mental au moi. On pense : celui qui est conscient, celui qui est témoin, celui qui observe c'est le moi, c'est moi. Selon le Bouddha la conscience est simplement la conscience. Elle n'est pas personnelle, elle ne nous appartient pas.


3°) le corps est à l'intérieur du moi:

Toujours une idée fausse:
C'est la vue que le moi est une chose mentale qui se diffuse dans le monde entier, et pénètre toute chose. Le corps est contenu dans ce moi comme le sont les autres choses de notre environnement. Le moi serait une sorte de conscience (universelle). Certains iront jusqu’à dire que cette conscience universelle, qui englobe le petit moi, est identique au Divin et même au nibbaana.

Dans (samyutta 22:47) le Bouddha répond que même une sorte de conscience universelle serait encore incluse dans les cinq agrégats et donc elle ne peut pas être le moi.
De plus, il a enseigné que le nibbana est également impersonnel et qu’il ne peut pas constituer le « grand moi » ou le divin (sabbe dhammaa anattaa = tout ce qui existe est impersonnel)


4°) le moi est à l'intérieur du corps

C'est la vue que l'âme, le moi sont localisés dans un endroit du corps comme par exemple le cerveau, le coeur, le centre spirituel, un chakra etc.
Les chrétiens disent que Dieu est en nous et les persans disent que nous sommes une étincelle du divin.

Le Bouddha lui, enseigne qu’en dehors des constituants du corps et du mental, il n’y a rien de supplémentaire qui correspondrait au moi. Si on reprend l’exemple de la vache, une fois
découpée, chez le boucher, son corps est réduit en morceaux. Notre esprit lui aussi peut être analysé en composantes, chacune impersonnelle. Si on décomposait maintenant un être en toutes ces unités matérielles et mentales, il ne resterait plus rien que l’on pourrait appeler le “moi’’. Même la conscience est considérée comme une simple composante. Elle est loin d’être éternelle, car en l’espace d’un éclair, elle apparaît et disparaît des millions de fois.



Résumé:

Le Bouddha dit : “Ceux qui conçoivent le moi comme chose ou idée pensent tous qu’il correspond à un ou plusieurs des agrégats.”

- En clair, tous ceux qui conçoivent l’existence d’un moi pensent qu’il est identique soit au corps, soit aux sensations et sentiments, soit à la perception, soit à l’intention, soit à la conscience.
- Ou bien, ils pensent que le moi possède le corps, les sensations, la perception, les intentions ou la conscience.
- Ou bien ils pensent que le corps, les sensations, la perception, les intentions ou la conscience sont à l’intérieur du moi.
- Ou bien encore, ils pensent que le moi est contenu dans le corps, les sensations, la perception, les intentions ou la conscience.

En dehors de cela, il ne peut pas y avoir de conception du moi. Toutes les idées du moi sont incluses ici. Or elles se rapportent toutes aux 5 agrégats (le corps, les sensations et sentiments, la perception, l’intention et la conscience)


Par de simples arguments, le Bouddha nous montre dans le discours qui s'appelle:
anattalakkhana sutta
(lire ce sutta en entier : ICI) :

Que le moi ne peut pas être dans aucun de ces cinq agrégats:

Si la forme (le corps) était le soi, ô moines, elle ne serait pas sujette aux changements et l'on aurait la possibilité de dire : que mon corps devienne ainsi; que mon corps ne devienne pas ainsi.”

C’est à dire que si le corps nous appartenait vraiment, nous devrions être capables de le contrôler, de prolonger les plaisirs à volonté et de chasser les peines ou les maladies, voire la mort.

Or nous ne pouvons pas maîtriser notre corps à ce point. Il est conditionné par notre kamma, nos pensées, le climat et la nourriture et évolue selon ces causes productrices. Car le corps n’est pas apparu une fois pour toutes. Il est reconstitué à chaque instant, car à chaque instant les unités de matière qui le composent se désintègrent.

Ce sont les 4 causes citées ci-dessus qui le façonnent et non pas notre contrôle ou notre volonté. C’est pour cela qu’on dit que le corps est impersonnel, qu’il n’est pas moi.


De même, les sensations et sentiments, perceptions, pensées et la conscience obéissent à leurs propres lois et non pas à nos ordres :

Choisissez-vous d’avoir une pensée ou celle-ci s’impose-t-elle à vous ?
Vous décidez par exemple : je vais m’asseoir pour méditer et vais me concentrer pendant 30 minutes sur une image visualisée.

Pouvez vous le faire ou l’esprit vous joue-t-il des tours en vagabondant ailleurs dès la première minute ? De même, quand vous avez des pensées nobles qui vous font plaisir, pouvez-vous les faire durer ou disparaissent-elles en un instant ?

C’est cela que le Bouddha appelle le non-moi. Si ces pensées étaient vraiment les nôtres, elles devraient se plier à notre volonté.

Quelque fois, quand vous êtes stressé ou fatigué, vous souhaitez peut être ne plus rien voir, ne plus rien entendre, mais pouvez-vous le faire ? Nous devons Nous devons subir ; nous n’avons pas le contrôle sur le monde de nos perceptions:

"Si la conscience était le soi, ô moines, elle ne serait pas sujette aux changements et on aurait la possibilité de dire à propos de la conscience : Que ma conscience soit ainsi ; que ma conscience ne soit pas ainsi"

Puis le Bouddha argumente : “Qu’en pensez-vous, ô moines ? Le corps (mais aussi les sensations et sentiments, les perceptions, les pensées et la conscience) est-il permanent ou impermanent?
Les moines répondent : “Impermanent, ô Bienheureux.’’



L’argument du Bouddha est :

si aussi bien notre corps que nos pensées, nos émotions, notre conscience etc. sont impermanents, pénibles et décevants et en dehors de notre contrôle, comment pouvons nous vouloir ou considérer qu’ils soient “moi’’, “mon essence’’ ? Au contraire, nous commençons à nous en détacher, parce que nous les trouvons insatisfaisants.

Au début de la pratique, il y avait la recherche du moi que l’on a trouvé nul part ; puis, lassé, on se détourne de tout ce qu’on croyait essentiel et là seulement on parvient à l’Eveil :

“Considérant les choses ainsi, ô moines, le disciple sage réprouve et est lassé du corps, réprouve et est lassé de la sensation, réprouve et est lassé de la perception, réprouve et est lassé de l’intention, réprouve et est lassé de la conscience. Lorsqu'il les réprouve et en est lassé, il est sans désir. Lorsqu'il est ainsi sans désir, il en est libéré. Lorsqu'il est libéré la connaissance vient: "Voici la libération" et il sait : "Toute naissance nouvelle est anéantie, la Conduite pure est vécue, ce qui devait être fait est achevé, il n'y a plus rien qui demeure à accomplir, il n'y a plus (pour moi) de devenir"