samedi 14 novembre 2009

CE QUI EST par Ajahn Sumedho

Cet enseignement, extrait des deux premiers entretiens donnés par le Vénérable Ajahn Sumedho à la communauté monastique d’Amaravati, pendant la Retraite d’hiver de 1988, a été traduit par mon ami Hervé Panchaud 


Hervé a traduit de nombreux textes et enseignements pour le site le dhamma de la Forêt




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C’est aujourd’hui la pleine lune de janvier et le commencement de notre retraite d’hiver. Nous allons pouvoir passer toute la nuit en méditation assise pour commémorer la beauté de cet évènement. C’est une grande chance pour nous que d’avoir l’opportunité de consacrer ces deux mois à venir à la seule contemplation du Dhamma.

L’enseignement du Bouddha porte sur la compréhension des choses telles qu’elles sont, être en capacité de regarder, d’être « éveillé ». Cela implique de développer l’attention, la vision claire et la sagesse, et de suivre l’Octuple Sentier – tout ce qui constitue bhavana.

Quand nous observons les choses comme elles sont, nous les « voyons » au lieu de les interpréter au travers du filtre de notre ego. L’obstacle le plus important auquel chacun d’entre nous doit faire face est cette croyance insidieuse en un « je suis » – l’attachement au soi. Cette croyance est à ce point ancrée en nous que nous sommes comme un poisson dans l’eau : l’eau fait tellement partie de la vie du poisson que celui-ci ne la remarque même plus. Le monde des sensations dans lequel nous baignons depuis notre naissance est ainsi pour nous : si nous ne prenons pas le temps de l’observer pour ce qu’il est vraiment, nous mourrons sans développer la moindre sagesse.

Mais la chance que nous avons d’être nés en tant qu’êtres humains nous offre le grand avantage d’être en capacité de réfléchir – nous pouvons réfléchir sur l’eau dans laquelle nous baignons, c’est-à-dire observer le monde des sens tel qu’il est vraiment. Nous n’essayons pas de nous en extraire. Nous ne cherchons pas non plus à rendre les choses encore plus compliquées en y ajoutant nos projections ; nous sommes simplement attentifs à ce qu’il est. Nous ne nous laissons pas tromper par les apparences, par nos peurs, nos désirs et toutes les choses que notre esprit peut inventer à son propos.

C’est ce que nous voulons dire quand nous employons des expressions telles que : « C’est ainsi ». Si vous demandez à quelqu’un nageant dans l’eau : « Comment est l’eau ? », il y portera son attention et répondra : « Eh bien, elle est comme ça ; elle est comme elle est. » Vous pourrez alors préciser votre question : « Oui, mais comment est-elle exactement ? Est-elle froide, tiède ou chaude ? ... » Beaucoup de termes peuvent être employés pour décrire l’eau : elle peut être froide, tiède, chaude, agréable, désagréable … Mais, en réalité, elle est comme elle est, tout simplement. Le monde des sensations dans lequel nous baignons, tout au long de notre existence, est de même. Vous le trouvez comme ceci ou comme cela. Vous le ressentez. Parfois la sensation est agréable, parfois désagréable ; le plus souvent, elle n’est ni agréable, ni désagréable. Mais, dans tous les cas, elle est comme elle est, tout simplement. Les choses vont et viennent, elles changent ; il n’y a rien sur quoi s’appuyer qui soit vraiment stable. Le monde des sensations n’est qu’énergie, changement et mouvement, flux et reflux. La conscience sensorielle est ainsi.

Attention, nous ne jugeons pas ! Nous ne disons pas que c’est bien ou que c’est mal, que nous devrions apprécier ou rejeter les sensations : nous y prêtons simplement attention – comme pour l’eau. Le monde des sens est un monde que l’on ressent. Nous sommes nés dans ce monde et nous le ressentons. A partir du moment où le cordon ombilical est tranché, nous devenons des êtres physiquement indépendants ; nous ne sommes plus physiquement rattachés à personne. Nous ressentons la faim, nous ressentons le plaisir, la douleur, la chaleur et le froid. En grandissant, nous ressentons toutes sortes de choses. Nous ressentons avec les yeux, les oreilles, le nez, la langue, le corps, et avec l’esprit lui-même. Nous avons aussi la capacité de penser et nous souvenir, de percevoir et concevoir. Tout cela est sensation. Ce peut être amusant et merveilleux, mais ce peut aussi être déprimant, dur et pitoyable … ou neutre – ni agréable ni douloureux. Toutes ces impressions sensorielles sont donc « ce qui est ». Le plaisir est ainsi, la souffrance est ainsi, et la sensation neutre, où le plaisir et la souffrance sont absents, est ainsi.

Afin de pouvoir mener une véritable réflexion sur ces choses, vous devez être vigilants et attentifs. Certaines personnes pensent que c’est à moi de leur dire ce qu’elles doivent ressentir : « Ajahn Sumedho, que suis-je censé ressentir maintenant ? » Mais on n’explique pas à autrui « ce qui est » ; nous devons êtres ouverts et réceptifs à ce qui est. Il n’est pas utile d’expliquer ce qui est à quelqu’un, quand celui-ci peut le découvrir par lui-même. Les deux mois à venir sont donc une occasion précieuse qui nous est offerte pour découvrir « ce qui est ». De nombreux êtres humains, semble-t-il, ne savent même pas qu’un tel développement de la sagesse est possible.

Qu’entendons-nous quand nous employons ce mot : sagesse ? De la naissance à la mort, les choses sont telles qu’elles sont. Il y aura toujours une certaine part de peine, d’insatisfaction, de désagrément et de laideur. Et, si nous ne sommes pas conscients que ces choses sont simplement comme elles sont, si nous ne les voyons pas comme des dhamma, nous aurons tendance à en faire un problème. Le temps qui s’écoule entre la naissance et la mort devient très « personnel », lourd de toutes sortes de peurs, de désirs et de complications.

Dans notre société, nous souffrons beaucoup de la solitude. Nous passons une grande partie de notre vie à tenter d’éviter cette solitude. « Parlons ! Echangeons ! Faisons des choses ensemble afin de ne pas être seuls. » Mais, à l’intérieur de ce corps humain, nous sommes irrémédiablement seuls. Nous pouvons faire semblant, nous pouvons chercher à nous divertir mutuellement mais c’est le mieux que nous puissions faire. Quand il s’agit de faire l’expérience réelle de la vie, nous sommes bien seuls ; et attendre que quelqu’un vienne nous libérer de notre solitude est trop demander.

Quand la naissance physique a lieu, voyez comment nous semblons soudain être des entités séparées. Bien sûr, nous ne sommes plus physiquement reliés à personne mais, en plus, du fait de notre attachement à ce corps, nous nous sentons isolés et vulnérables. Nous redoutons d’être seuls et nous inventons tout un monde dans lequel nous pouvons vivre. Nous y côtoyons des compagnons de toute sorte : des amis imaginaires, des amis réels, des ennemis – mais tous, vont et viennent, apparaissent et disparaissent. Tout naît et meurt dans notre propre esprit. Alors, nous commençons à réfléchir au fait que la naissance conditionne la mort. Naissance et mort ; commencement et fin.

Pendant cette retraite, je ne peux que vous encourager à pratiquer sur ce sujet : contempler ce qu’est la naissance. A cet instant, nous pouvons dire : « Ce corps est la conséquence de notre naissance. Ce corps est ainsi. Il y a de la conscience, il y a des sensations, il y a de l’intelligence, de la mémoire, des émotions. » Tout ceci peut être observé parce que ce sont là des objets de l’esprit ; ce sont des dhamma. Si nous nous attachons au corps en tant que sujet – ou à des opinions, des idées et des sentiments – comme étant « moi » ou « mien », alors nous connaîtrons la solitude et le désespoir, et il y aura toujours la menace de la séparation et de la fin. L’attachement à ce qui est mortel introduit peur et désir dans notre vie. Nous pouvons nous sentir anxieux et inquiets, même lorsque tout va à peu près bien. Tant que perdurera l’ignorance – avijja – quant à la vraie nature des choses, la peur dominera toujours la conscience.

Mais l’anxiété n’a pas de réalité ultime, c’est quelque chose que nous créons. Tout comme l’inquiétude. L’amour, la joie et tout ce qu’il y a de meilleur dans la vie, si nous nous y attachons, entraîneront avec eux leur contraire. C’est pourquoi, dans la pratique de la méditation, nous apprenons à accepter les sensations qui correspondent à ces sentiments. Quand nous acceptons les choses pour ce qu’elles sont, nous cessons de nous y attacher. Elles sont simplement ce qu’elles sont ; elles apparaissent et elles disparaissent, elles n’appartiennent pas à un moi.

Mais qu’en est-il du point de vue de notre contexte culturel habituel ? Notre société a tendance à renforcer cette conception selon laquelle tout est « moi » ou « mien ». « Ce corps est moi ; je suis comme ceci ; je suis un homme ; je suis Américain ; j’ai 54 ans ; je suis moine, etc. » Mais tout cela n’est que convention, n’est-ce pas ? Il ne s’agit pas de nier que je suis tout ce que je viens d’énoncer, mais seulement d’observer comment nous avons tendance à compliquer les choses en croyant qu’il y a un « je » dans tout cela. Si nous nous attachons à ces conventions, la vie devient plus difficile qu’elle ne l’est en réalité ; elle devient comme une toile dans laquelle on s’empêtre. Tout devient si compliqué ; nous restons collés à tout ce que nous touchons. Et, plus nous vivons, plus nous nous compliquons l’existence. Or les peurs et les désirs viennent tous de cette croyance en l’existence d’un moi : « Je suis quelqu’un ». Finalement, cela nous conduit à l’angoisse et au désespoir ; la vie nous paraît beaucoup plus difficile et douloureuse qu’elle ne l’est en réalité.

Mais quand nous observons simplement la vie telle qu’elle est, tout est bien : les joies, la beauté, les plaisirs sont comme ils sont. La peine, l’insatisfaction, la maladie sont comme elles sont. Nous pouvons, à tout moment, suivre le mouvement et les changements de la vie. L’esprit de l’être éveillé est souple et il sait s’adapter. L’esprit de la personne ignorante est rigide et conditionné.

Tout ce sur quoi nous nous bloquons dans la rigidité tournera mal. Se percevoir de manière figée rend toujours la vie difficile. Quelle que soit la catégorie à laquelle nous nous identifions – homme ou femme, classe moyenne ou ouvrier, américain ou européen, bouddhiste et théravadin … – si nous nous y attachons, nous connaîtrons une forme ou une autre de complication, de frustration et de désespoir.

Pourtant, sur le plan conventionnel, nous pouvons être toutes ces choses – un homme, un Américain, un Bouddhiste, un Théravadin ; ce sont des concepts tout à fait appropriés pour communiquer – mais rien de plus que cela. C’est ce que nous nommons sammuttidhamma – la « réalité conventionnelle ». Quand je dis : « Je suis Ajahn Sumedho », ce n’est pas en référence à un moi, à une personne ; c’est une convention. Etre un moine bouddhiste n’est pas être une personne, c’est une convention ; être un homme ou une femme n’est pas être une personne, c’est une convention. Les conventions sont comme elles sont. Si nous nous y attachons par ignorance, nous en devenons prisonniers. C’est comme la toile dans laquelle on s’empêtre ! Nous sommes aveuglés et trompés par ces conventions.

Quand nous lâchons ces conventions, nous ne les rejetons pas pour autant. Je ne vais pas me suicider ou quitter la vie monastique ! Les conventions sont très bien telles qu’elles sont. Elles n’occasionnent pas de souffrance tant que l’esprit demeure attentif et les perçoit pour ce qu’elles sont : de simples conventions. Elles sont un moyen pratique et utile en temps et en lieu mais pas au-delà.

Par la compréhension de la « réalité ultime » (paramatthadhamma), nous parvenons à la liberté du Nibbana. Nous sommes libérés des illusions du désir et de la peur ; cette libération de l’entrave des conventions est  « l’au-delà de la mort ». Mais pour parvenir à cette réalisation, nous devons vraiment voir la nature de l’attachement. Qu’est-il en réalité ? Par quel processus naît cet attachement à un « moi » et comment cela engendre-t-il la souffrance ? Il ne s’agit pas de nier sa propre existence ; d’ailleurs l’attachement à l’idée de n’être personne, c’est encore être quelqu’un ! Ce n’est pas une question d’affirmation ou de dénégation, mais une question de compréhension, de vision intérieure. Et, pour cela, nous devons développer l’attention.

Avec l’attention, nous pouvons nous ouvrir à la globalité. Au début de cette retraite, nous nous ouvrons pour les deux mois de sa durée. Dès le premier jour, nous acceptons en pleine conscience toutes les possibilités qui pourront se présenter : la maladie comme la santé, le succès comme l’échec, le bonheur comme la souffrance, l’Eveil comme la totale désespérance. Nous ne nous disons pas : « Je ne veux avoir que ceci, je ne veux connaître que cela, je ne veux avoir que de belles expériences. Et puis je dois me préserver afin de vivre une retraite idyllique, être en parfaite sécurité et bien tranquille durant les deux mois à venir. » Un tel état d’esprit serait plutôt déprimant, non ? Au lieu de cela, nous devons nous ouvrir à tous les possibles, depuis le meilleur jusqu’au pire, et nous devons le faire en pleine conscience. Ce qui signifie : tout ce qui va se produire durant ces deux mois sera partie intégrante de notre retraite – c’est notre pratique. « Ce qui est » est le Dhamma pour nous tous : le bonheur et la souffrance, l’Eveil et le désespoir total, vraiment tout !

Si nous pratiquons de cette manière, le désespoir et l’angoisse peuvent nous mener au calme et à la paix. Quand j’étais en Thaïlande, je ressentais beaucoup de ces émotions négatives – solitude, ennui, anxiété, doute, inquiétude et désespoir. Mais, quand je les ai acceptées pour ce qu’elles étaient, elles ont cessé. Et que reste-t-il quand il n’y a plus de désespoir ?

Le Dhamma que nous étudions aujourd’hui est subtil. Pas subtil dans le sens d’« élevé » ou « érudit » ; il est, au contraire, si simple et si présent que nous ne le remarquons même pas. Comme l’eau pour le poisson : l’eau fait tellement partie de sa vie, que le poisson n’en a même pas conscience, même s’il y nage. La conscience sensorielle est ici et maintenant. Elle est ainsi. Elle n’est pas loin. Ce n’est pas vraiment difficile, il suffit simplement d’y prêter attention. Le chemin qui mène à la fin de la souffrance est le chemin de l’attention : présence consciente et attentive à ce qui est – sagesse.

Nous devons sans cesse ramener notre attention à ce qui est. Si vous avez de mauvaises pensées ou si vous vous sentez plein de ressentiment, amers ou irrités, observez ce que ces sentiments éveillent dans votre cœur. Si vous vous sentez frustrés et en colère pendant ce temps de méditation, ce n’est pas un problème parce que vous avez déjà ouvert la porte à cette possibilité. Cela fait partie de la pratique ; c’est ce qui est. Souvenez-vous que nous n’essayons pas de devenir des anges ou des saints, nous n’essayons pas de nous débarrasser de toutes nos impuretés et imperfections pour être parfaitement heureux. Le monde des humains est ainsi ! Il peut être imparfait et il peut être pur. Pureté et imperfection vont de pair. Connaître la pureté et l’impureté : voilà ce qu’est l’attention doublée de sagesse. Savoir que l’impureté est impermanente et non personnelle est sagesse. Mais, dès que nous la rendons personnelle, que nous nous y identifions – « Oh ! Je ne devrais pas avoir de pensées impures ! » – nous sommes à nouveau prisonniers du désespoir. Plus nous essayons de n’avoir que des pensées pures, plus les pensées impures vont surgir. En fonctionnant de cette façon, nous sommes certains d’être malheureux durant les deux mois à venir, c’est garanti ! Par ignorance, nous nous créons un monde qui ne peut être que déprimant.

Ainsi, à la lumière de l’attention ou de la présence consciente, toutes les formes d’abattement et de bonheur sont d’égale valeur : nous n’avons pas de préférence. Le bonheur est ainsi ; l’abattement est ainsi. Ils apparaissent puis disparaissent. Le bonheur est toujours le bonheur, ce n’est pas l’abattement. Et l’abattement est toujours l’abattement, ce n’est pas le bonheur. Mais ils sont ce qu’ils sont. Ils ne sont à personne et ils ne sont que cela : des sensations, des sentiments. Nous n’en souffrons pas. Nous les acceptons, nous en sommes conscients et nous les comprenons dans leur véritable nature : tout ce qui apparaît, disparaît. Aucun dhamma n’est « soi ».

Je vous offre cet enseignement comme sujet de méditation.


vendredi 13 novembre 2009

Introduction à la Méditation par Charles Genoud


INTRODUCTION A LA MEDITATION



La méditation peut être abordée sous deux aspects : d'une part la technique, de l'autre l'état d'esprit. La technique peut varier. Elle joue un rôle secondaire. L'état d'esprit joue le rôle principal. Si l'état d'esprit n'est pas compris, quelle que soit notre capacité technique, la pratique ne pourra pas s'approfondir. D'où l'importance pour moi de chercher à transmettre de la manière la plus claire possible l'état d'esprit de la méditation.


L'état d'esprit de la méditation.

Demandons-nous d'abord pourquoi nous sommes ici, réunis dans cette salle, prêts à passer de nombreuses heures à pratiquer la méditation. Demandons-nous quelle force nous a poussés, à venir jusqu'ici, parfois de loin, pour passer un week-end assis à méditer.

Il est certain que si nous avons fait cet effort, c'est parce que nous cherchons quelque chose. On ne vient pas sans motivation. Un effort est requis. Notre présence ici n'est donc pas due au hasard. Si nous sommes là, c'est bien parce que nous cherchons quelque chose. Une quête nous pousse à nous placer dans la situation où nous sommes maintenant, pour explorer la pratique de la méditation.


Mais, qu'est-ce alors qui nous a poussés à venir ici ? Nécessairement, c'est un manque. S'il n'y avait aucun manque, si notre satisfaction était parfaite, l'énergie qui nous a poussés à chercher serait absente. Il est donc possible d'affirmer : parce qu'il y a un manque, il y a une recherche, et la recherche vise à combler le manque.

Pensons maintenant à la vie quotidienne. Nous y accomplissons aussi de nombreuses activités pour combler des manques. Quelle que soit la manière, l'endroit où nous pensons pouvoir trouver ce qui nous manque : en améliorant notre situation professionnelle ou familiale, en changeant de voiture ou de logement, en trouvant une meilleure harmonie dans nos relations… quelle que soit la façon dont nous cherchons à obtenir satisfaction, le souhait de combler un manque est présent. Mais, dans notre vie quotidienne, le fait de croire que ce qui nous manque se trouve dans les objets, les personnes, les situations… traduit une certaine confusion.


Rendons-nous bien compte de ce qui se passe en nous : nous pensons qu'en obtenant telle ou telle chose, qu'en nous trouvant dans telle ou telle situation… nous pourrons finalement combler ce manque. Il est donc possible que ce que nous cherchons dans la vie quotidienne, ne soit pas tellement différent de ce que nous venons chercher dans la méditation. Peut-être est-ce, alors, la façon de chercher qui sera différente ?



Simone Weil disait que ce que nous cherchons dans les choses, les évènements, les relations, n'est pas faux ; mais que c'est l'endroit où nous cherchons qui est faux. En d'autres termes, imaginer que nous pourrons parvenir à la plénitude au moyen d'objets, de situations, de personnes… revient à croire que nous parviendrons de l'extérieur de nous-mêmes à combler un manque intérieur. C'est une erreur. Nous cherchons au mauvais endroit. Ce n'est pas la recherche de la plénitude qui est fausse, mais l'endroit où nous la cherchons.

Un swami indien disait, lui, que le fait que nous ne soyons jamais lassés de cette quête, que nous cherchions constamment la plénitude au moyen de nouveaux objets, de nouvelles situations, de nouvelles relations, que nous soyons constamment mus par cette quête, prouve que nous savons intimement que la plénitude existe. C'est la preuve, disait-il, que nous avons l'intuition profonde qu'elle peut être atteinte et qu'il est juste de la chercher. Mais une confusion sur la manière d'y parvenir peut exister. Dans ce cas, nous demandons aux objets, aux personnes, aux situations ce qu'elles ne peuvent pas nous procurer : il est impossible à quelque circonstance ou objet extérieur que ce soit, de procurer une plénitude d'ordre intérieur.



La méditation, dans une certaine mesure, répond à notre aspiration de parvenir à la plénitude. Dans la tradition bouddhique, comme dans les autres traditions mystiques, elle permet d'aller plus loin, mais c'est une première étape. Dans la méditation, pour explorer cette dimension de nous-même, nous ne nous tournons plus vers l'extérieur, mais vers l'intérieur. C'est un renversement d'attitude essentiel : la plénitude ne pouvant jamais être obtenue en ajoutant quelque chose de l'extérieur, nous nous tournons maintenant vers l'intérieur. La plénitude est le fait de la plénitude de notre présence et non celle d'avoir. La plénitude est une dimension de l'être et non de l'avoir. Lorsque nous la concevons en termes d'avoir, notre démarche est évidemment vouée à l'échec. Mais si nous l'exprimons en terme d'être, nous nous rendons compte qu'il n'est pas possible d'ajouter à notre être quelque chose qui viendrait de l'extérieur.

Il y a donc renversement du mouvement. Ce n'est pas un mouvement vers l'extérieur, mais un mouvement vers l'intérieur. Cela signifie également que la plénitude de l'être, si elle est accessible, si nous pouvons l'atteindre sans rien ajouter de l'extérieur de nous-mêmes, est déjà et toujours complètement présente en sous. La plénitude n'est pas quelque chose que nous pouvons créer, organiser ou construire, elle est ce par quoi nous commençons, elle est notre être le plus intime. Dans la vie quotidienne, tout mouvement est, généralement, un mouvement qui nous sort de la plénitude, même si nous essayons sincèrement de trouver des satisfactions. Tous mouvements qui essayent d'acquérir, de recevoir, de garder, sont les mouvements mêmes qui nous font sortir de la plénitude.



Il y a quelque chose d'assez extraordinaire dans le fait que la plénitude soit ce par quoi nous commençons et que, lorsque nous la plaçons à l'inverse : ce vers quoi nous tendons, ce mouvement même nous en rende l'expérience impossible. Dans la méditation, cela veut dire qu'il ne s'agit pas de transformer, de manipuler : il ne s'agit pas d'adopter l'attitude qui, dans notre vie quotidienne, vise à transformer, à modifier, à obtenir, car c'est elle qui crée le sens du manque.

Il y a donc lieu, en méditation, de laisser tomber toute notre intelligence, toute cette intelligence qui permet de transformer le monde. Cette intelligence là est extraordinaire, très utile, mais elle est liée au temps, à l'accomplissement de quelque chose qui n'est pas présent. C'est donc bien un renversement d'attitude : ne plus chercher à accomplir ou à obtenir quelque chose qui ne serait pas là à cet instant même, mais rester dans l'instant présent. Et ce n'est que lorsque nous arrivons à faire cesser ces mouvements qui nous poussent vers le futur pour accomplir ou obtenir, ou qui nous tirent vers le passé pour retrouver - ce n'est que dans la mesure où nous n'adhérons plus à ces mouvements que nous pouvons rester dans l'instant présent. Là, il est possible d'être en intimité avec nous-même et de faire, dans cette intimité, l'expérience de la plénitude de notre être. Ainsi, le mouvement dans le temps nous sépare de la plénitude et le mouvement vers l'extérieur, dans l'espace, nous en sépare également.



Ces mouvements peuvent être grossiers, manifestes, dans le temps comme dans l'espace, mais ils peuvent aussi être beaucoup plus subtils. Dans la pratique méditative, il se peut que l'habitude de manipuler devienne très proche de l'attitude juste, mais qu'elle crée cependant une organisation dans laquelle existe encore ce lien à la temporalité qui, de nouveau, nous coupe de la plénitude que nous sommes, par laquelle nous commençons, et non vers laquelle nous tendons.

N'est-ce pas extraordinairement étrange que ce que nous cherchons avec tant d'acharnement, tant d'assiduité, soit ce par quoi nous commençons ? Mais, nous sommes tellement convaincus d'avoir à atteindre, à obtenir, que nous essayons constamment d'aller vers la plénitude et que ce mouvement nous en sépare !





La technique

Les techniques sont multiples. Elles ont toutes leur propre valeur, leur structure, leur intérêt.


Dans la pratique méditative, il s'agit de rester présent, de surseoir à nos mouvements vers l'extérieur, à nos mouvements dans le temps, pour rester dans l'instant présent. L'instruction suivante pourrait donc suffire : " Restons simplement dans l'instant présent ". Mais, nos habitudes sont tellement fortes qu'une instruction aussi vaste et aussi vague serait difficile à mettre en pratique pour beaucoup d'entre nous.



Afin d'ancrer notre présence dans une expérience stable, permettant peu à peu de faire cesser tous les mouvements vers l'extérieur et dans le temps, nous pouvons utiliser la présence au corps. Le corps a un certain poids, une certaine densité, une certaine température. Lorsque nous faisons l'expérience du poids, de la densité, de la température, nous sommes dans l'instant présent, car il est totalement impossible d'avoir une expérience sensorielle au passé ou au futur.

Explorez, si vous le voulez bien, cette affirmation avec moi. Faites simplement bouger votre main. Sentez le mouvement, la lourdeur de la main, celle de l'avant-bras, sa température… Est-il possible de faire ce mouvement au passé ? Est-il possible de le faire au futur ? Nécessairement, chaque expérience est au présent. Il est complètement impossible d'éprouver une expérience sensorielle dans le passé ou dans le futur. Ainsi, en ancrant notre méditation dans une expérience sensorielle assez simple, comme celle de la présence au corps, nous pouvons rester dans la qualité de l'instant présent.



On pourrait choisir tout autre type d'expérience sensorielle. Vous pourriez, par exemple, explorer les sons. Mais ils sont plus fluctuants. Par moments, ils peuvent surgir et être inaudibles, à d'autres. C'est pourquoi la présence au corps est une base d'ancrage très judicieuse. Le corps ne disparaît jamais. Il est là. Il n'y a pas de moment où, tout d'un coup, il aurait disparu. Je ne parle pas d'expériences méditatives dans lesquelles il serait perçu de manières différentes, mais du corps en tant que base d'expérience. Il est toujours présent.


Nous utilisons donc la présence au corps : sa densité, sa température, sa qualité vibratoire, pour ancrer notre présence. Il se peut que dans l'expérience sensorielle de la présence au corps se produisent des fluctuations dues, par exemple, au mouvement de la respiration : une plus grande densité par moment, une moins grande à d'autres, dans certaines zones corporelles. Il est également possible de leur être présent, d'être à chaque instant avec l'expérience qui surgit.

Aucune expérience sensorielle n'est extérieure à notre champ de méditation. Si, ayant choisi d'être présent aux sensations corporelles, j'entends le chant des oiseaux, ce n'est pas une distraction, ce n'est pas un obstacle à la méditation, c'est simplement une autre expérience dans l'instant présent : celle de l'audition du chant des oiseaux, comme ce pourrait être celle du son d'une cloche. Chaque expérience sensorielle n'est vécue que dans l'instant présent. Et, ce qui nous intéresse, n'est pas de faire l'inventaire des oiseaux qui se trouvent dans le parc, mais la qualité de présence dans chaque expérience sensorielle. C'est elle qui nous relie à nous-même, qui permet le développement de l'intimité. Non le fait de connaître le nom des oiseaux, mais celui d'être relié à l'expérience sensorielle d'entendre. Non l'inventaire des tensions que j'ai dans les épaules (c'est un autre travail), mais l'expérience de la qualité de présence dans les sensations corporelles.



Il s'agit donc pour nous, dans notre pratique, de rester à chaque instant en intimité avec nous-même, au moyen des expériences sensorielles. Cela signifie qu'il n'y a rien à changer, rien à manipuler. Dans l'instant présent il est impossible de changer quoi que ce soit. Pour changer quelque chose, transformer, la durée est nécessaire, il faut introduire le futur. Donc, rien à changer, rien à transformer, seulement se relier à chaque instant à l'expérience sensorielle qui surgit.


LIRE LA SUITE : Terre d'Eveil 






jeudi 12 novembre 2009

Merci à Charles Genoud pour son enseignement

Je voudrais juste dans ce message, dire un grand MERCI à Charles Genoud pour son enseignement sur la méditation.


Un enseignement simple et généreux, d'une grande efficacité.




Pour rappel : qui est Charles GENOUD : ICI 

et quelques enseignements AUDIO : LA

Sinon, à chaque fois que je participe à une nouvelle retraite j'ai le plaisir de rencontrer des lecteurs de ce blog. Le monde est petit 

L'association Terre d'Eveil envisage d'organiser en 2011,sous la "guidance" de Charles Genoud une retraite de un mois.


c'est rare de pouvoir suivre une retraite en silence d'une durée de 1 mois en France et si cette retraite se met en place, j'espère pouvoir y participer.




Que toutes les personnes puissent un jour connaître la joie de suivre une retraite de méditation en silence