lundi 28 juillet 2008

Quelle Voie Bouddhiste ?

Par Thich Tri Siêu Traduit du vietnamien par Corinne Segers


Extrait de : Avant Propos

(...) A 23 ans, j’entrai à la pagode et me fis moine, me fixant secrètement pour objectif l’Eveil, la libération dans cette vie même, à l’exemple des patriarches d’autrefois. Ah, la naïveté touchante des premiers pas sur la Voie! (...) Voyageant d’un lieu à l’autre, ma vie de moine errant à la recherche de la Voie me fit découvrir bien des contradictions et des absurdités dans les communautés religieuses, (...)

Deux sortes d’individus peuplent ce monde : les premiers sont en quête permanente du sens de la vie et s’efforcent de comprendre; les seconds n’ont pas la moindre envie de réfléchir et sont parfaitement satisfaits de vivre comme des moutons, de travailler, de bien manger, de bien dormir et de s’amuser comme tout le monde en se conformant au style de vie à la mode.

Les premiers sont peu nombreux, ce sont des révolutionnaires, des visionnaires, des prophètes et des fondateurs de religions, des savants et des inventeurs…

Les seconds constituent la grande majorité, des riches milliardaires aux mendiants les plus pauvres, des dirigeants d’entreprises aux employés et aux ouvriers. Tous ces gens, avides et égoïstes, courent après l’argent, les plaisirs, la beauté et la gloire, sans jamais se demander pourquoi et dans quel but ils sont en vie.

Le Bouddha fut un révolutionnaire qui, insatisfait des doctrines brahmaniques qui prévalaient de son temps, partit en quête d’une nouvelle Voie. Son rejet du système de castes qui dominait la société indienne de l’époque est un des signes de son anticonformisme novateur.

L’histoire nous montre qu’une révolution succède toujours à une période où l’humanité s’assoupit et sombre dans l’obscurantisme. Mais ces révolutions successives n’échappent pas non plus à la loi de l’impermanence : elles réveillent l’homme, changent sa façon de penser et sa manière de vivre pour un temps, puis, petit à petit, elles se figent en structures qui enferment les générations suivantes dans un carcan de traditions conservatrices et dépassées.(...)


Eveil et Libération

La Voie du Bouddha est une voie d’Eveil, de Libération, mais s’éveiller à quoi? Libérer qui?
Les termes " éveil " et " libération " se traduisent en vietnamien par deux mots composés: " giac ngô " et " giai thoat " respectivement.

" Giac " signifie savoir, mais que sommes-nous sensés savoir?
" Ngô " signifie reconnaître, mais qu’est-ce donc qui est reconnu dans l’Eveil?
" Giai " signifie ouvrir, mais qu’ouvrons-nous?
" Thoat " signifie échapper aux entraves, mais quelles sont ces entraves et qui lient-elles?

Ces mots que nous utilisons par habitude, nous sommes-nous jamais arrêtés sur leur véritable signification?

(...) ce que le Bouddha a réalisé n’est autre que les " Quatre Nobles Vérités " (...). Si vous les connaissez déjà, que voulez-vous comprendre de plus?

Les Quatre Nobles Vérités sont la doctrine de base du Bouddhisme que nous connaissons presque tous. Avons-nous pour autant réalisé l’Eveil? Non, bien sûr, me répondrez-vous. Dans ce cas, que nous manque-t-il donc de plus pour y parvenir?

(...)Le Bouddha nous a enseigné tout ce qu’il savait dans les soutras , il ne nous a rien caché. Il devrait donc nous suffir de suivre ces enseignements et de les pratiquer correctement pour devenir nous-mêmes des Bouddhas. Hélas, l’étude des soutras n’est pas chose facile. Nous voilà confrontés aux Soutras du Theravada, à ceux du Mahayana, aux enseignements exotériques du Soutrayana et aux enseignements ésotériques des Tantras, aux enseignements de la voie progressive, à ceux de la voie immédiate, etc.

(...) la plupart des gens étudient et récitent les " grands " soutras, (...) Mais récitent-ils les soutras pour accumuler des mérites ou pour réaliser l’Eveil? Et s’éveiller à quoi? Accumuler des mérites pour qui? Pour notre " moi " égoïste et confus? Ou pour tous les êtres sensibles? Et qui sont ces " êtres sensibles "? Le savons-nous ou ne nous préoccupons-nous que notre moi, ce qui est à moi, ma femme, ma maison, mon temple, mes fidèles?

Pourtant, cela n’est pas encore trop grave. Il y a pire. Il y a ceux qui, plus sages et plus intelligents, vont écouter les maîtres qui expliquent les soutras. Ils collectionnent les cassettes de ce maître-ci ou de ce maître-là, puis, convaincus d’avoir compris le sens des grands soutras, ils ne regardent plus les autres qu’avec mépris.

Le Bouddha nous a pourtant mis en garde, précisant que ses enseignements n’étaient qu’un moyen et non la vérité elle-même, qu’ils étaient comparables au doigt qui montre la lune mais qui n’est pas la lune. A quoi rime donc l’orgueil que certains tirent de leur présumée connaissance supérieure des soutras et leur mépris des autres? Est-ce qu’étudier et réciter les soutras de la sorte mène à l’Eveil et à la Libération ou à développer encore davantage d’ignorance et d’émotions négatives?

A quoi s’éveille-t-on? L’objet que vous poursuivez dépendra entièrement de votre niveau, de vos acquis et de vos aspirations. (...)

(...)Mais que vous suiviez le Zen, le tantrisme ou la Terre Pure, que voulez-vous réaliser? La doctrine bouddhiste est infiniment vaste et ne se limite pas à des termes comme " nature de Bouddha ", " visage originel ", " Zen ", " Terre Pure ", " tantrisme ". Il en va de même de l’Eveil ou, pour être plus précis, de l’objet de l’Eveil qui est, lui aussi, infiniment vaste. Pour le connaître, il ne faut pas nécessairement entrer au monastère et se faire moine! Peut-on trouver l’Eveil dans tel ou tel soutra? Ou devons-nous le chercher directement dans la vie de tous les jours?

Je suis sûr que vous avez déjà rencontré de ces gens qui fréquentent les temples depuis tant d’années, qui connaissent et ont récité un nombre impressionnant de soutras et qui pourtant se comportent encore plus mal que bien des gens qui ne connaissent rien au Bouddhisme.

Si c’est l’Eveil que vous cherchez, essayez de déterminer et de définir l’objet de votre quête. A quoi voulez-vous vous éveiller? Ce que vous cherchez va-t-il vous permettre de mieux vivre avec les gens qui vous entourent, dans l’harmonie, la paix et le bonheur? (...)


Parlons maintenant de la libération.

Supposons que quelqu’un me capture, me lie pieds et mains et m’enferme à double tour. Ensuite, j’essaye de me débarrasser de mes liens et de m’enfuir de ma cellule. Lorsque je suis parvenu à m’échapper, je peux dire que je me suis libéré.

Les soutras comparent les trois mondes à une maison en feu où l’on ne peut nulle part trouver le repos et la paix. Notre seule issue est de pratiquer pour nous échapper. Mais si nous y regardons de plus près, qui nous a capturés? Qui nous a enchaînés? De quoi sont faits les liens qui nous entravent? Où sommes-nous enfermés?

(...) En résumé, nous sommes les artisans de notre propre souffrance, il n’y a personne d’autre qui nous fasse souffrir.

Les ennemis du Bouddha l’insultèrent et usèrent de tous les moyens possibles pour lui nuire, sans parvenir à altérer sa sérénité heureuse. La pluie, le soleil, les louanges ou les blâmes ne sont que des circonstances extérieures. Si nous ne maîtrisons pas notre esprit et nous laissons emporter par des émotions qui nous font souffrir, c’est notre propre faute et non celle des autres.

Alors pourquoi pleurer lorsque nous entendons certains nous critiquer et médire de nous dans le monastère? Qu’avons-nous fait de la leçon sur la libération? Si d’autres s’empoisonnent l’esprit de mauvaises pensées et se salissent la bouche de méchantes paroles, ce n’est que le résultat de leur ignorance. En quoi cela nous concerne-t-il donc? Pourquoi nous sentir si malheureux? N’est-ce pas notre ego qui se sent blessé?

Et si nous partions à la chasse ? Si nous partions chasser cet ego…

Source : Quelle voie Bouddhiste (Lire le Texte intégral)

dimanche 27 juillet 2008

En nous est la lumière du Dhamma

Par TinhÝ

"Et la lumière fut, et dieu vit que cela était bon….". (genése ch1)″ la lumière du dhamma n’est pas celle d’une révélation divine, on pourrait la croire révélée par le Bouddha, ce qui reviendrait à peu près au même…

Tant que les choses nous viennent de l’extérieur elles ne sont pas vraiment le Dhamma… Nous nous reposons sur quelqu’un d’autre, par fainéantise nous croyons dans le dire de l’autre mais nous n’expérimentons pas… Ce n’est pas le Dhamma. Cette vérité qui vient d’ailleurs n’est pas libératrice, elle ne nous libère pas de la naissance, la vieillesse et la mort… La naissance et la mort sont miennes, personne d’autre que moi ne mourra à ma place…. personne d’autre que moi ne portera les conséquences de mes actes… personne d’autre que moi ne peut manger, marcher, respirer etc… à ma place…

La vérité sur les choses telles qu’elles sont, ne sont pas à l’extérieur de nous… ce n’est pas à l’extérieur de nous que vivent et meurent nos cellules….

Le Bouddha nous enseigne une voie, et cette voie est en nous même… C’est cela la ” révélation ” : ne cherchez pas à l’extérieur de vous ce qui est en vous… en vous même, vous trouverez l’impermanence, l’absence de soi et la cessation… la lumière du Dhamma est en nous….

Ce n’est pas une petite flamme divine, une petite lumière dans notre coeur… La lumière du Dhamma est la vision de la pure réalité… elle ne réside nulle part, elle est action, vision, concentration, sagesse, attention, vigilance, courage…. L’enseignement du Bouddha est cherchez en vous même votre Voie… Libérez vous des idées toutes faites, de vos croyances, de vos habitudes… Soyez conscients de vos constructions mentales, voyez leur vanité, leur prétention à la vérité… voyez leur aveuglement… ne mettez pas votre refuge dans vos pensées où vos opinions…

” Le Béni du Ciel souvent donnait conseil aux bhikkhus ainsi : “Telle et telle est la vertu ; telle et telle est la concentration ; et telle et telle est la sagesse.

Grand devient le fruit, grand est le gain de la concentration lorsqu’elle est pleinement développée par la conduite vertueuse ;

grand devient le fruit, grand est le gain de la sagesse lorsqu’elle est pleinement développée par la concentration ;

l’esprit qui est pleinement développé dans la sagesse est complètement libéré des pollutions de la luxure, du devenir, et de l’ignorance… ( Mahaparinibbana sutta)


Source : Vivre le Dhamma Aujourd'hui

L'Action juste



Ci après un nouvel extrait (scanné) du livre de Bhante Hénépola Gunaratana : Les huit marches vers le bonheur - Extrait du chapitre 4 (éd. Albin Michel, Paris, mai 2008)


L'ACTION JUSTE


L’éthique dans l’action

Traditionnellement, nous disons que la marche de l’Action juste consiste à s’abstenir de tuer, de voler et de l’inconduite sexuelle. Bien que les mêmes mots soient utilisés dans les cinq préceptes et dans la définition de l’Action juste. Le sens est un peu différent.

Dans l’optique des préceptes, il est très simple et direct: simplement, ne faites pas ces trois choses. Tuer, voler et l’inconduite sexuelle sont trois des pires actions que vous puissiez effectuer, et si vous les commettez, vous ne trouverez pas la paix. Par conséquent, nous prenons une forte, une puissante résolution et nous y tenons strictement.

Cependant, lorsque le Bouddha a défini l’Action juste comme s’abstenir de tuer, de voler et de l’inconduite sexuelle, il ne faisait que donner des exemples des outrages les plus flagrants que l’on puisse infliger aux autres. Par suite, ces abstentions devraient être comprises non de manière limitée, au sens du respect des règles, mais aussi comme de grandes lignes pour une conduite éthique supérieure.

Ainsi, dans l’un de ses enseignements où il pressait chacun d’agir avec compassion envers tous les êtres vivants, fait-il le commentaire suivant,

Tous les êtres vivants ont peur du bâton (de la violence)
Tous les êtres vivants ont peur de la mort.
Vous comparant vous-même aux autres,
Ne faites aucun mal ni n’entraînez un autre (à en faire) (Dh 129).

Il a expliqué que toute action physique faisant du tort à une autre personne - endommager des biens, les incendier, menacer d’une arme - est mauvaise, même si personne n’est tué.

Une fois, j’ai entendu parler d’un jeune homme qui détestait ses compagnons de chambre à l’université. Pour se venger, il les harcelait en abîmant secrètement leurs affaires personnelles. Par exemple, il trempait leurs serviettes dans les toilettes, il endommageait leurs ordinateurs ! Les tracasseries mesquines, les farces qui blessent sont également de mauvaises actions.

Il existe aussi un niveau plus élevé de l’action éthique. Par exemple, s’abstenir de tuer atteint son sens le plus élevé lorsque nous développons une attitude complètement non violente et souhaitons continuellement le bien de tous les autres êtres vivants.

Nous pratiquons l’Action juste non parce que nous voulons éviter d’enfreindre les règles du Bouddha ou par peur d’être punis; nous évitons les comportements cruels et blessants parce que nous nous rendons compte de leurs conséquences - qu’ils nous conduisent nous-mêmes et tous ceux qui nous entourent à une profonde souffrance, maintenant et à l’avenir. Nous pratiquons l’Action juste parce que nous voulons que notre vie soit utile et harmonieuse, ni destructrice ni conflictuelle, et car nous voulons avoir un esprit calme et heureux, non troublé par le regret ou les remords.

Quand il s’agit d’observer des principes de morale, notre esprit nous joue de nombreux tours. Certaines personnes se disent que les règles morales ne concernent pas les jeunes. « Je peux prendre du bon temps maintenant, disent-elles, et faire tout ce que je veux. Quand je serai plus vieux, je ferai le ménage dans mes actions. » Malheureusement, observer des principes moraux en fin de vie est comparable à gagner à la loterie sur son lit de mort. Si vous attendez trop longtemps, vous ne pourrez pas profiter des bienfaits apportés par une vie morale - libération des dépendances, relations saines, conscience claire et un esprit sans trouble. Il est préférable de profiter des effets salutaires de la moralité pendant que vous êtes jeune, en bonne santé et fort. Quand vous serez vieux, vous n’aurez pas besoin de principes moraux pour empêcher de mauvaises conduites !

Une autre ruse consiste à nous dire : « En quoi des principes moraux sont-ils bons pour moi ? Ma vie est bonne telle qu’elle est. » Si telle est votre réaction, vous feriez bien de regarder votre raisonnement de plus près. Si votre vie est si belle, pourquoi mentez-vous, volez-vous, buvez-vous ou tuez-vous ?

Enfreindre les règles morales devient vite une habitude dont il est difficile de se défaire. De plus, ces comportements ont inévitablement des conséquences négatives. Il n’y a pas moyen d’échapper à la loi de cause à effet. Dérogez aux principes moraux et vous risquez de perdre votre santé, vos biens, l’affection de ceux que vous aimez, et bien d’autres choses qui ont de la valeur pour vous. En plus, vous aurez à faire face aux soucis, à la culpabilité et même à davantage d’insatisfaction. Souvenez-vous, nous observons des principes de moralité pour nous rendre heureux, non pour être malheureux.

Même de petites actions immorales, apparemment insignifiantes, ont un certain effet. J’ai entendu parler d’un homme qui avait manqué une participation dans une affaire de plusieurs millions de dollars - simplement en tuant un insecte. C’était un homme d’affaires plein de bon sens, de talent, qui avait organisé une réunion avec un partenaire potentiel pour discuter d’une association. Alors qu’ils discutaient, un insecte vint se poser sur le bord du verre de bière de ce businessman. Avec un petit bâtonnet, il le fit tomber dans la bière. Quand l’insecte s’évertua à remonter le long du verre pour en sortir, l’homme le fit tomber de nouveau. Tout en discutant une affaire valant des millions de dollars, il s’amusait avec l’insecte, le repoussant dans la bière jusqu’à ce qu’il se noie.
L’associé potentiel m’a dit ultérieurement qu’après avoir vu ce jeu, il avait pensé : « Cet homme est des plus cruels. Peut-être ferait-il quelques vilenies simplement pour gagner de l’argent. Je ne veux pas faire des affaires avec lui. » Et il renonça à l’association.

Il se peut que vous vous demandiez pourquoi les principes de l’Action juste sont exprimés en termes négatifs - ne pas tuer, ne pas voler, etc. La raison en est très simple. Nous ne pouvons pas trouver la joie qui naît de la bonne conduite tant que nous n’avons pas abandonné la mauvaise.

Nous avons tendance à agir avec un esprit plein d’attachement, qui nous mène à toutes sortes de perversion. D’abord, nous devons nous opposer à cette tendance naturelle. Ensuite, nous pourrons nous rendre compte à quel point nous nous sentons à l’aise, détendus, libres et paisibles quand nous agissons selon l’éthique.

Il est impossible de cuisiner un délicieux repas dans un poêlon sale, ou de faire pousser un magnifique jardin dans une terre étouffée par les mauvaises herbes. En nous abstenant du négatif, nous créons les conditions nécessaires pour que le positif s’épanouisse.
Par exemple, en nous abstenant de tuer et de faire d’autres actes d’hostilité, nous créons l’atmosphère favorable à l’apparition de l’amitié-bienveillance et de la compassion dans nos rapports avec les autres.
De même, nous abstenir de voler - prendre ce qui n’est pas donné, qu’il s’agisse des biens de quelqu’un ou du crédit lié au travail ou aux idées d’autrui - donne naissance à son opposé, la générosité.

L’action morale fait passer notre focalisation sur l’intérêt personnel à l’intérêt envers ce qui est profitable à la fois pour nous et pour les autres. Lorsque nous sommes obsédés par nos propres désirs, nous sommes essentiellement motivés par la haine, l’avidité, la jalousie, les pulsions sexuelles, et autres préoccupations égoïstes. Nous n’avons alors ni maîtrise de nous-mêmes ni sagesse pour agir de manière juste. Mais lorsque nous nous abstenons de ce qui est nocif, notre brouillard mental s’éclaircit un peu, et nous commençons à voir que l’amitié-bienveillance, la compassion et la générosité nous apportent un bonheur vrai. Cette clarté d’esprit nous aide à faire des choix éthiques et à progresser sur le chemin du Bouddha.


S’abstenir de tuer

L’envie de nuire ou de blesser d’autres êtres vivants prend généralement sa source dans la haine ou la peur. Lorsque nous tuons délibérément des êtres vivants, même de petites créatures telles que des insectes, nous diminuons notre respect pour toute vie - et par suite pour nous-mêmes.

L’Attention nous aide à reconnaître nos propres aversions et à en assumer la responsabilité. Par l’examen de nos états mentaux, nous nous rendons compte que haine et peur induisent un cycle de cruauté et de violence, des actions qui font du mal aux autres et qui détruisent notre propre paix mentale. S’abstenir de tuer rend l’esprit paisible et le libère de la haine. Cette clarté nous aide à refréner les actions destructrices et à embrasser celles qui ont pour motif la générosité et la compassion.

Une de mes étudiantes m’a confié qu’elle avait été sujette à la peur et qu’elle éprouvait de la répulsion envers de petites créatures, comme les souris, les puces et les tiques. En raison de cette émotion, elle voulait les tuer. Sa pratique de l’Attention l’aidant à s’adoucir, elle prit la résolution de s’en abstenir. Il en résulta une diminution de ses sentiments de peur et de répugnance. Récemment, elle a même réussi à ramasser un grand cafard à mains nues et à le mettre en sécurité, hors de la maison.

Lorsque nous nous abstenons de tuer, notre respect pour la vie grandit, et nous commençons à agir avec compassion envers tous les êtres vivants. Cette même étudiante m’a dit avoir rendu visite à un ami qui vivait dans un centre de méditation. En arrivant, elle remarqua un piège à insectes suspendu au porche d’entrée de la maison où habitait le personnel du centre.

Des douzaines de guêpes, attirées par l’odeur sucrée du jus de pomme, étaient prises au piège. Une fois entrées par sa petite ouverture, elles ne pouvaient plus ressortir. Quand elles s’étaient épuisées à voler dans le petit espace, elles tombaient dans le jus de pomme au fond du piège et se noyaient lentement. L’étudiante en visite interrogea son ami à ce sujet. Il reconnut qu’un tel piège dans un centre de méditation était une chose honteuse, mais que la hiérarchie l’avait installé à cet endroit et qu’il ne pouvait rien y faire.
Bien qu’elle essayât d’ignorer le bourdonnement qui en provenait, la visiteuse ne pouvait chasser la souffrance des guêpes de son esprit. Elle eut rapidement le sentiment de devoir faire quelque chose pour donner à quelques-unes une chance de s’échapper. Elle prit un couteau, perça un petit trou au sommet du piège et y inséra le couteau pour que le piège reste ouvert. Quelques guêpes se hissèrent le long de la lame et parvinrent à s’échapper. Ensuite, elle ouvrit le trou un peu plus et quelques autres guêpes s’échappèrent. Finalement, elle se rendit compte qu’elle ne pouvait même pas supporter d’en laisser une seule mourir dans le piège. Bien que son intervention la rendît mal à l’aise, elle transporta le piège dans le champ voisin et le coupa complètement en deux, libérant toutes les guêpes encore en vie.
En agissant, elle émit le souhait: « Puissé je être libérée de mes attitudes et comportements négatifs de même que ces insectes sont libérés de ce piège. »

L’étudiante m’a dit que, depuis ce moment, elle n’avait plus eu peur des guêpes. Au printemps dernier, un nid de guêpes apparut sous le porche principal de la Bhavana Society. Des personnes qui l’empruntaient furent piquées, et l’endroit fut isolé avec des cordes. Pourtant, cette femme continua d’utiliser cette porte, enjambant le nid sans qu’il lui arrive aucun mal, jusqu’à ce qu’il soit enlevé. « Je serais très surprise si jamais une guêpe me piquait de nouveau, dit elle. Mais si je le suis, c’est pour la pauvre guêpe qui est dérangée et qui peut être blessée en me piquant que je m’inquiéterais le plus. »

Comme vous pouvez le voir à partir de l’expérience de cette étudiante, s’abstenir de tuer crée l’atmosphère favorable au développement de l’action compatissante dans notre vie. C’est merveilleux, et une grande aide pour progresser sur le chemin du Bouddha.

Mais il ne s’agit pas de devenir militant dans notre soutien de la non-violence ! L’Action juste nous demande de prendre nos propres décisions en matière de conduite morale, et non d’exiger que tout le monde suive notre exemple.


Prenez la controverse sur la consommation de viande.

Bien que je ne mange pas de viande moi-même, je n’insiste pas pour que tout le monde devienne végétarien. En regardant les choses sous un angle plus large, je me rends compte que même les végétariens ont une part indirecte dans le fait de tuer. Supposez qu’il y ait un village où vivent mille végétariens, et dans le village voisin un fermier qui cultive des légumes, des fruits et des céréales pour nourrir les mille végétariens. Quand il laboure la terre et élimine les insectes qui pourraient abîmer les légumes, le fermier tue de nombreux petits êtres. De nombreux autres sont tués par ses machines agricoles quand il fait ses récoltes. Les végétariens du village d’à côté se sentent très à l’aise. Bien que des créatures aient été tuées, ils ont une conscience claire quand ils mangent, car ils n’ont pas d’intention de tuer.

Par cet exemple, vous pouvez voir que manger des légumes et tuer des êtres pendant la culture sont deux choses distinctes. La même logique s’applique à la consommation de viande. Manger de la viande et tuer des animaux pour obtenir la viande sont deux choses distinctes. Parfois, le Bouddha lui-même mangeait la viande qui lui était offerte. Ceux qui mangent simplement la viande n’ont pas non plus l’intention de tuer.

Pour l’observation du précepte de s’abstenir de tuer, le Bouddha a défini le fait de tuer de manière très spécifique, comme étant l’acte de mettre fin à la vie intentionnellement. Dans les règles qu’il a établies pour les moines, il clarifie plus avant les conditions nécessaires pour un tel acte :

Il doit y avoir un être.
Vous devez savoir qu’il y a un être.
Vous devez avoir l’intention de tuer.
Vous devez prévoir d’utiliser une méthode pour le tuer.
Vous devez le tuer en utilisant seulement la méthode prévue.

Ceux qui mangent de la viande ne remplissent aucune de ces conditions. Ils savent qu’ils mangent de la viande et qu’elle provient d’un animal. Mais ils n’ont pas eu l’intention de le tuer, et ils n’ont pas participé à sa mise à mort.

S’il n’y a pas de viande disponible, on ne devrait pas aller chasser ou tuer des animaux pour manger. On devrait manger autre chose. Mais les gens ne devraient pas non plus devenir névrosés en cherchant à éviter tout ce qui contribue indirectement à tuer. Quand nous y réfléchissons, un certain degré de contribution indirecte au fait de tuer peut être trouvé dans la plupart des vies contemporaines. Conduire une voiture ou même marcher sur une pelouse tue des êtres. Divers médicaments que nous utilisons sont testés sur des animaux, les tuant, les estropiant ou les rendant malades. Bénéficier de ces médicaments n’est pas tuer. Le Bouddha a clairement dit que votre intention est ce qui compte réellement.

En ce qui concerne le progrès spirituel, il n’y a pas de différence entre végétariens et non-végétariens. Lorsque les végétariens se mettent en colère, sont avides ou troublés, ils se conduisent de la même façon que ceux qui mangent de la viande. Si vous voulez être végétarien, soyez-le, bien sûr. Les repas végétariens sont très sains. Personnellement, je demeure végétarien par compassion envers les animaux. Néanmoins, ne vous sentez pas obligé de vous abstenir de manger de la viande afin d’atteindre votre but de parvenir à la plus haute félicité.

Beaucoup de laïcs me demandent comment combattre les insectes dans leurs habitations et dans leurs jardins. Ils veulent être de bons bouddhistes et ne pas tuer, mais leurs fleurs vont dépérir et leurs maisons se détériorer s’ils ignorent les insectes. Je réponds que tuer des insectes, même pour une bonne raison, est toujours tuer.

Toutefois, tous les meurtres n’ont pas les mêmes conséquences karmiques. Tuer un insecte, en général, n’entrave pas autant notre progrès spirituel que s’il s’agit d’un animal, un chien par exemple. Et tuer un chien a moins d’impact sur l’esprit que tuer un être humain. Aucun acte n’est plus néfaste pour soi même que tuer ses parents ou un être illuminé. De tels actes empêcheraient le meurtrier d’atteindre l’Illumination en cette vie et conduiraient à la pire des renaissances. Tuer des insectes n’est pas aussi grave que cela. Comprenant qu’il y a des degrés différents de conséquences, nous faisons nos choix et en acceptons les effets.




vendredi 25 juillet 2008

Le bonheur, par Bhante Henepola GUNARATANA

Après avoir publié un enseignement de Buddhadasa Bhikkhu sur le Bonheur; Sukha en pali :
Le bonheur, par Buddhadasa Bhikkhu

voici un extrait scannés, du livre de Bhante Henepola GUNARATANA : " Les Huit marches vers le bonheur"
(Extrait de l'Introduction) éd. Albin Michel, Paris, mai 2008)

Ce livre est en quelque sorte, la suite de son livre précédant "Méditer au quotidien".



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Ce qu'est le Bonheur et ce qu'il n'est pas

Le désir d'être heureux est vieux comme le monde, et pourrant le bonheur nous échappe toujours. Que signifie être heureux ?

Nous recherchons souvent le plaisir des sens. Par exemple, manger quelque chose de bon, regarder une bonne comédie, en raison de l'agrément que nous en retirons. Mais y a-t-il un bonheur au-delà de cette satisfaction passagère apportée par une expérience plaisante?

Certaines personnes essayent d'accumuler un grand nombre d'expériences agréables et appellent cette façon de faire une vie heureuse. D'autres, ressentant les limites des satisfactions sensuelles, cherchent un bonheur de plus longue durée, dans le confort matériel, la vie de famille ou la sécurité. Mais ces sources de bonheur ont aussi leurs limites. (...)

Il semble que ce que nous croyons pouvoir nous rendre heureux soit en fait source de souffrance. Pourquoi ? Parce que rien ne dure. Les liens de la famille se brisent, les affaires tournent mal, les gens perdent leur travail, les enfants grandissent et s'en vont,(...)

C'est un paradoxe: plus nous possédons plus notre risque d 'être malheureux grandit. (...)

Les gens confondent le tournis de l'excitation créée par une nouvelle possession ou par une expérience agréable avec le bonheur. (...)

Les Sources du Bonheur

Le Bouddha a décrit plusieurs catégories de bonheur en les classant de la plus éphémère à la plus profonde.

Le Moindre Bonheur de l'Attachement

Le Bouddha a groupé dans la plus basse catégorie ce que la plupart d'entre nous appellent bonheur. Il a appelé cette catégorie le bonheur des plaisirs sensuels. Nous pourrions également dire le bonheur des conditions favorables ou le bonheur de l'attachement.

Tous les agréments passagers de la vie, provenant des gratifications sensuelles du plaisir physique et des satisfactions marérielles en font partie: bonheur de posséder des richesses de beaux vêtemenrs, une nouvelle automobile ou une agréable demeure; bonheur de voir de belles choses, d'écouter de belles musiques, de manger des mets savoureux, d 'avoir de plaisantes conversations; bonheur de peindre avec talent, de jouer du piano et toutes autres choses semblables; bonheur d'une vie familiale affectueuse.(...)


Un jour, le Bouddha a expliqué qu'en mûrrissant spirituellement, on en vient à comprendre qu'il y a plus dans la vie que le plaisir provenant des cinq sens. (...)

Le bonheur dans le monde dépasse néanmoins, les satisfactions sensuelles. Les joies de la lecture, d'un bon film, d'autres formes de stimulation mentale ou de divertissement en font partie. Il comprend aussi les saines joies de ce monde: aider les autres, pourvoir aux besoins d'une famille stable, élever des enfants, gagner honnêtement sa vie.

Pourquoi le Bouddha les rangeait-il alors dans la plus basse forme du bonheur? parce qu'ils dépendent de conditions favorables.. Bien que moins fugaces que les fugitifs plaisirs des sens, et potentiellement moins destructeurs à long terme, ils sont instables.(...)


Les Sources supérieures de Bonheur

L'une d'elles est le bonheur du renoncement, le bonheur spirituel venant de la recherche de ce qui est au-delà des plaisirs du monde. L'exemple classique est la joie qui naît de l'abandon de toutes préoccupations mondaines et de la recherche de la solitude dans un environnement paisible, pour se consacrer au développement de l'esprit. (...)

La générosité est une forme puissante de renoncement. Partager généreusement ce que nous possédons tout comme d'autres actes de même nature, nous rend heureux.Un sentiment de plaisir et de soulagement apparaît chaque fois que nous lâchons prise (...)

Supérieur au renoncement envers les choses matérielles est le bonheur de se libérer des irritants psychiques. Ce type de bonheur apparaît naturellement lorsque nous agissons mentalement pour lâcher rapidement la colère, le désir, l'attachement, la jalousie, l'orgueil, la confusion et les autres irritants psychiques, chaque fois qu'ils se manifestent.(...)

Supérieurs encore sont le plaisir et la félicité des différents niveaux de concentration profonde.
Dans ces états, aucune peine ne peut apparaître. Pourtant, aussi puissants et transcendants
soient-ils, ces états ont un grand inconvénient: le méditant est finalement obligé d'en sortir. Etant impermanents, même ces états de profonde concentration doivent prendre fin.


La plus haute source de Bonheur

Le bonheur le plus élevé est celui d'atteindre les différents niveaux d'illumination. À chaque stade, notre fardeau dans la vie s'allège, et nous ressentons un plus grand bonheur et une plus grande félicité.

L'illumination finale - la libération permanente de tous les états d'esprit négatifs - apporte une félicité ininterrompue et sublime.

Le Bouddha recommandait d'apprendre à laisser partir nos attachements aux formes inférieures de bonheur et de focaliser tous nos efforts sur la découverte de la plus haute forme possible: l'illumination.

Cependant, il exhortait également les gens à développer leur bonheur au maximum quel que soit le niveau où cela leur était possible.

À ceux d'entre nous qui ne peuvent voir au-delà des satisfactions fondées sur les plaisirs des sens, il apportait de sages conseils pour éviter les problèmes du monde et pour trouver un bonheur optimum, par exemple en cultivant les qualités qui conduisent au succès matériel ou à une vie familiale heureuse.(...)

À ceux qui sont intéressés par le but ultime de l'illumination complète, il enseignait comment atteindre ce but.

Mais quel que soit le type de bonheur que nous recherchons nous utilisons les huit marches du Chemin Octuple.(...)

mardi 22 juillet 2008

Le bonheur, par Buddhadasa Bhikkhu


Remarques préalables:
Dans le bouddhisme
, nous parlons très souvent de dukkha (la souffrance, l'insatisfaction..) mais rarement du Bonheur ( Sukha en pali)

L'enseignement de
Buddhadasa bikkhu que vous trouverez ci après, parle justement du "Bonheur" et de ces différentes significations.

Il y a deux sortes de "Bonheur", deux sortes de "sukha" : lokiya-sukha (Bonheur "Mondain") et lokuttara-sukha. ( lorsqu'il n'y a plus de "Soi" ni de "soif" - Nibbana est lokuttara-sukha)

Ainsi, si l'on peut considérer que la cessation de la souffrance conduit au "bonheur" il ne s'agit plus d'un bonheur "Mondain" lié à la soif mais au contraire, d'un "bonheur", d'un "Etat", lié à l'absence de soif.


Pour la plus part des personnes le bonheur c'est obtenir ce que l'on veut, ce que l'on aime. Mais dans ce cas, le bonheur est lié au désir, à la soif qui est la première cause de la souffrance.
Le Bonheur, dans cette optique, conduit inexorablement à la souffrance.

Pour reprendre les mots du vénérable Buddhadasa, Le bonheur Mondain est "duperie" et "confusion"



Kathy (Catherine)


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Entretien donné par le vénérable Buddhadasa le 7 mai 1986
Traduction française isara


Aujourd'hui, j'aimerais vous parler de quelque chose que, peut-être, la plupart d'entre vous ne comprennent pas de façon claire. Bien que vous soyez tous venus ici par intérêt pour le bouddhisme, vous pouvez avoir certaines compréhensions erronées. Pour cette raison, veuillez concentrer votre énergie mentale et rendre votre esprit totalement réceptif. Veuillez prêter une attention particulière à ce qui va être dit aujourd'hui.
Nous allons parler du bonheur (sukha).

Ce mot est ambigu, aussi bien en langue thaïe (kwamsoukh), qu'en langue palie (sukha), et même en anglais (happiness) ou en français, « bonheur ».

Dans toutes ces langues, ce mot a une variété de significations. Il est souvent difficile de comprendre à quoi les gens font référence quand ils parlent du « bonheur ». Parce que ce concept est très flou, il est nécessaire de parvenir à une bonne compréhension de cette notion ; c'est pourquoi nous allons parler, aujourd'hui, du bonheur.

Le bonheur qui peut être ressenti par les gens ordinaires dans leur vie quotidienne est une des conceptions du bonheur.
Puis, il existe une autre forme de bonheur, celle qui apparaît par la réalisation du but ultime de la vie. Ces deux conceptions sont bien différentes, mais nous les désignons indifféremment par le mot « bonheur ».

Généralement, nous mêlons ces deux conceptions, les mélangeons, prenant l'une pour l'autre, et nous ne savons presque jamais de quoi nous parlons exactement.


Distinction entre le bonheur lié à la soif et le bonheur lié à l'absence de soif

Voici un exemple pour montrer comment l'ambiguïté de ce terme peut causer la confusion.

Il est probable que vous soyez venus ici et que vous pratiquiez le Dhamma parce que vous recherchez le bonheur. Votre compréhension du bonheur, le bonheur que vous désirez, cependant, n'est peut-être pas le même bonheur que celui qui est le but véritable du bouddhisme et de la pratique du Dhamma.

Si la forme de sukha (de bonheur) que vous recherchez n'est pas cette forme de sukha qui naît de la pratique du Dhamma, nous craignons que vous soyez désappointés, voire même très déçus, ici. Il est nécessaire de développer une meilleure compréhension de ce sujet.

Afin de ne pas perdre de temps et de faciliter votre compréhension, nous allons vous donner un principe simple pour la compréhension du bonheur.

Le bonheur ordinaire que le commun des mortels recherche est celui qui est ressenti lorsqu'une soif particulière ou une envie est satisfaite.
C'est la signification ordinairement donnée au mot « bonheur ».

Dans le sens du Dhamma, cependant, le bonheur est présent quand il n'y a aucune soif, aucun désir du tout, quand nous sommes totalement libres de toute soif, de tout désir et de toute envie.

Pour bien saisir cette notion, faites bien attention à la distinction suivante : le bonheur lié à la satisfaction d'une soif et le bonheur lié à l'absence de soif.
Pouvez-vous voir la différence ? Pouvez-vous sentir la distinction entre le bonheur lié à la soif et le bonheur lié à l'absence de soif ?

A ce stade, nous allons vous expliquer les mots « lokiya » et « lokuttara », car ils peuvent nous aider à éclairer le sujet dont nous débattons aujourd'hui.

Lokiya signifie « qui se réfère aux sujets et aux préoccupations du monde ». Lokiya, c'est être dans le monde, sous le pouvoir et l'influence du monde. La traduction habituelle de ce mot est : « mondain(e) », « matériel(le) ». Lokuttara signifie « au-dessus du monde ». C'est être au-delà de l'influence du monde. On peut le traduire par « transcendant » ou « supra mondain ».

Maintenant, vous pourrez mieux comparer les deux formes de bonheur : lokiya-sukha (bonheur mondain) qui est prisonnier du pouvoir de ce que nous appelons « le monde », qui est soumis à ses conditions et à ses limites ; et lokuttara-sukha (le bonheur transcendant) qui est au-delà de toutes les influences du monde.
Voyez cette distinction et comprenez la signification de ces deux mots le plus clairement possible.
Nous devons étudier cela au plus près.

Lokiya veut dire « happé par le monde, entraîné dans le flot du monde », de sorte que ce sont l'influence et le pouvoir du monde qui nous dominent. Dans cet état, il n'y a pas de liberté spirituelle ; il y a une absence d'indépendance spirituelle.

Lokuttara signifie « libre de l'emprise du monde ». C'est la liberté spirituelle.

Aussi, il y a deux formes de bonheur : un bonheur qui n'est pas libre et un bonheur indépendant, un bonheur esclave et un bonheur de la liberté.


C'est à ce niveau que nous croyons que vous pouvez faire une erreur de compréhension. Si vous êtes venus ici à la recherche de lokiya-sukha, mais que vous étudiez le bouddhisme qui vous propose une forme différente de bonheur, vous allez être déçus. Vous n'allez pas trouver ce que vous désirez.

La pratique du Dhamma, qui inclut la pratique approfondie de la méditation, conduit à lokuttra-sukha et non à la forme mondaine du bonheur. Vous devez comprendre cela très clairement, dès le début. Si vous parvenez à différencier ces deux formes de sukha, alors vous verrez la finalité de Suan Mokkh et vous ne serez pas déçus d'être ici.

Maintenant, vous devez comprendre la différence entre ces deux formes de bonheur ; le bonheur qui provient d'avoir comblé la soif qui nous tiraillait et le bonheur dû à l'absence de soif. Comment ceux-ci diffèrent-ils ? Observez et vous verrez ces choses par vous-mêmes. Le bonheur « de la soif étanchée » et le bonheur « de la non-soif » : nous ne pouvons pas expliquer cela de manière plus brève et plus limpide


Le bonheur basé sur la satisfaction de notre soif est duperie et confusion

Quand nous observons plus attentivement, nous voyons que le bonheur basé sur la satisfaction de notre soif est sans espoir, qu'il ne peut jamais être complet, parce que cette soif ne peut jamais être vraiment étanchée. Les choses qui font naître cette soif changent en permanence, et de ce fait la soif ressurgit. La soif elle-même change et ne peut donc pas être étanchée. Cette situation est sans fin. Le monde d'aujourd'hui est englué dans cette forme de bonheur qui vient de ces désirs qui demandent à être satisfaits. Le monde moderne est piégé par ce problème sans fin.

Imaginez, si vous le pouvez, que vous soyez le seul propriétaire du monde, de l'univers, du cosmos tout entier. Maintenant que vous possédez tout ce qui existe, est-ce que votre soif est assouvie ? Peut-elle être assouvie ?
Veuillez étudier cela en profondeur, avec votre esprit et dans votre esprit.
Si vous obteniez tout ce que vous pouvez désirer, au point de posséder le monde entier, est-ce que votre soif cesserait, ou ressentiriez-vous la soif pour un deuxième monde ? Et ne voudriez-vous pas un troisième monde ?

Prenez bien conscience que la soif ne peut jamais être assouvie par nos tentatives de la satisfaire.

Malgré cela, le monde d'aujourd'hui continue à développer le type d'éducation et d'évolution qui ne cherche qu'à produire des objets toujours plus attrayants et satisfaisants. La technologie et la science moderne sont esclaves de la soif. Notre monde tombe dans ce trou profond qu'est l'incessante production d'objets toujours plus séduisants pour essayer de satisfaire notre soif. Mais où allez-vous trouver le bonheur dans un tel monde ?


Le bonheur mondain des êtres vivants ordinaires évolue de phase en phase, c'est perpétuel et sans fin...

Je voudrais faire quelques comparaisons pour illustrer comment le bonheur mondain des êtres vivants ordinaires évolue de phase en phase.

Le nouveau-né est heureux quand il est bercé dans les bras de sa mère dont il peut téter le sein. Cela satisfait le petit enfant jusqu'à ce qu'il grandisse et devienne un peu plus âgé. Alors les bras et le lait maternels ne lui suffisent plus. Il apprend à apprécier d'autres nourritures et d'autres plaisirs. Maintenant, son bonheur dépend des crèmes glacées, des bonbons et de la nourriture industrielle, des jouets et de l'exploration de la maison.

Puis il grandit encore et ces jeux-là ne lui suffisent plus : suivant le cas, il voudra jouer au football ou à la poupée. Ces enfants deviennent ensuite trop grands pour le ballon et la poupée ; leur intérêt et leur bonheur d'adolescents tournent autour des affaires du sexe.

Toutes les formes de satisfaction précédentes n'ont alors plus aucun intérêt. Une fois qu'ils sont devenus des jeunes gens, ne vous attendez pas à ce qu'ils se satisfassent de leurs bonheurs anciens. Maintenant, ils ne pensent plus qu'au sexe et aux rendez-vous galants.

Finalement, l'être humain se marie, devient une épouse ou un mari et met tous ses désirs et ses espoirs dans la construction d'un foyer, dans l'accumulation d'argent et de possessions matérielles. Alors, il n'y a aucune chance qu'il se contente de ses petits bonheurs d'enfant (à moins d'être resté un gamin attardé !).

L'être humain change ainsi, d'une étape à l'autre, et le bonheur aussi change, étape après étape. C'est perpétuel et sans fin.

La soif se développe, étape après étape, jusqu'à la mort. Au-delà, certains croient qu'il y a renaissance en tant que deva (être céleste, comme un ange) : et, là encore, la soif est présente ; soif céleste pour le bonheur des deva. C'est sans fin. Même au ciel avec les dieux ou dans le royaume de Dieu - si de telles choses existent -, la soif ne cesse pas.

Dans le bouddhisme, tout ceci est considéré comme des exemples de bonheurs mondains ne menant qu'à la duperie et à la confusion.


En finir avec la soif : La voie qui mène au-delà du monde et des bonheurs mondains


(...) dans l'enseignement du bouddhisme : nibbana, ou le bonheur qui est au-delà du monde, la soif est terminée. (...)Désirer sans fin des choses toujours meilleures n'est pas l'objectif du bouddhisme. Le bouddhisme ne suit pas cette voie, le bouddhisme suit la voie qui mène au-delà du monde et des bonheurs mondains.

Quant à cette chose que nous nommons « le monde », dans la description qu'en fait le bouddhisme, il est divisé en de nombreux niveaux, royaumes ou sphères.

Il y a le monde des êtres humains ordinaires, avec lequel nous sommes familiers, et ses formes humaines de sukha. Au-dessus, il y a les nombreux royaumes célestes, là où les deva sont censés vivre. Tout d'abord, il y a les sphères sensuelles, le Kamavacara, pour ceux qui ont des désirs sensuels. Ceux-ci sont supposés être « bons », du moins meilleurs que le royaume des humains.

Ensuite, il y a les sphères des Brahma, elles-mêmes divisées en deux catégories : celles dépendants de la forme (la matière) et celles indépendantes de la forme. Celles-ci sont meilleures que les royaumes ordinaires de l'existence, mais les êtres qui y vivent ne sont pas encore libérés de la soif. Il n'y a plus de soif pour les plaisirs sensuels dans le « rupavacara », les sphères physiques, mais les « êtres » qui sont là ont encore soif d'une existence matérielle. Les «êtres» de l'arupavacara, les sphères non matérielles, connaissent la soif, eux aussi. Ils ont soif de choses non matérielles, et non de choses matérielles.

Dans chacun de ces niveaux mondains, la soif persiste. Les envies du « soi » ne cessent pas. Il y a toujours des choses que le « soi » désire. Ces états de bonheur hautement raffinés ne parviennent absolument pas à transcender le monde. Même le plus élevé des royaumes des Brahma est prisonnier du monde, piégé par le pouvoir et l'influence du désir.

Comment parviendrons-nous à en finir avec la soif ? Nous devons la circonvenir et la détruire. Nous n'avons pas besoin de la soif. Nous devons emprunter cet autre chemin, celui de la « non-soif ». L'essence de ce chemin est l'absence du sentiment de soi, de « je », de « mien ». Ce point est crucial. Quelle connaissance devons-nous avoir, que devons-nous réaliser pour mettre fin à cette illusion de soi ?

Il est nécessaire de comprendre cette connexion entre la fin de la soif et la cessation de l'illusion du « soi ».

Dans toutes les situations mondaines, il y a toujours un soi, un « je » qui a soif et qui tente d'étancher sa soif. Même si ce « soi » est au niveau céleste le plus élevé où la soif est la plus subtile qui soit, il y a cependant un soi assoiffé cherchant à satisfaire sa soif. La soif persiste tant qu'un soi cherche à satisfaire ses désirs sans jamais y parvenir vraiment. En examinant tous ces niveaux de désirs et de bonheur, nous voyons que le problème de la soif est insoluble. Pourquoi ? Parce que le « soi » n'est pas solutionné.


Notre "soi" passe son temps à courir après le «Bien» ou le «Meilleur», mais «Le meilleur» ne va jamais seul. Il ne peut aller où que ce soit sans son compagnon, «le pire»

lokiya-sukha

Parvenus à ce stade, vous devez vous familiariser avec ce que nous appelons « le bien » ou « le meilleur ». Vous avez tous votre propre idée sur ce qu'est « le meilleur » et vous estimez que vous méritez d'obtenir ce « meilleur ».
Poussés par votre soif, vous courez uniquement après « le meilleur »! Quelle que soit la chose que vous identifiez comme « la meilleure » - que ce soit une journée à la plage ou cinq minutes de répit dans le tumulte de votre esprit - voilà à quoi votre soif s'accroche.

(...)Nous désirons une forme de « meilleur », mais aussitôt que nous l'atteignons, notre soif cherche après un « meilleur encore meilleur ».

C'est sans fin tant qu'il y a un « soi » qui veut le meilleur. Le meilleur n'est pas un point final ; nous ne pouvons pas le choisir pour but ultime. Nous parlons sans cesse du « meilleur » ou du « summum bonum », mais les significations que nous lui donnons sont très différentes :
le meilleur des enfants, des adolescents, des adultes et des plus anciens, le meilleur du monde ou de la religion.

Pourtant, chacune de ces conceptions du « meilleur » nous rend plus assoiffés encore - assoiffés de manière raffinée, profonde et subtile. Nous ne pouvons jamais nous arrêter et nous reposer dans un de ces « meilleurs », parce qu'ils sont tous lokiya-sukha.

« Le meilleur » ne va jamais seul. Il ne peut aller où que ce soit sans son compagnon, « le pire ». En voulant nous agripper au « meilleur », nous devons aussi supporter le pire. Ainsi, notre obsession à vouloir obtenir le meilleur entraîne la perpétuation de notre soif. Il n'y a qu'une voie pour en sortir. Si nous continuons à chercher sukha dans ce monde, jamais nous ne le trouverons.


La soif doit cesser, même la soif pour le meilleur

Nous devons aller dans l'autre direction, nous tourner vers lokuttara-sukha. La soif doit cesser, même la soif pour le meilleur. Le mal est une forme de perturbation. Le bien en est une autre forme. Pour être vraiment libre de toute souffrance, l'esprit doit se situer au-dessus du bien et du mal, au-dessus du meilleur et du pire - c'est-à-dire qu'il doit demeurer dans la vacuité. C'est l'opposé du bonheur mondain.

C'est lokuttara-sukha, le bonheur transcendant libre de tout soi avide. Il n'y a pas d'autre voie pour échapper à dukkha que d'aller du mal vers le bien, puis du bien vers la vacuité. Dans la vacuité, la soif cesse et vient le bonheur véritable.

(...)

Quand il n'y a pas la connaissance du bien et du mal, nous ne nous y attachons pas, nous sommes libres, exempts de dukkha. Une fois que nous rencontrons le bien et le mal, nous nous attachons à eux et alors, nous devons subir dukkha.(...)

Nous identifions certaines choses au bien et nous nous y attachons. Nous identifions certaines choses au mal et nous voulons nous en défaire. (...)

Le bouddhisme n'est pas concerné par le royaume de lokiya-sukha (le bonheur mondain), du bien, du mieux et du meilleur. La solution proposée par le bouddhisme est d'être au-delà du bien et du mal, dans la vacuité.


Transcender à la fois le bien et le mal et réaliser la Vacuité

Veuillez comprendre que « le meilleur » n'est pas ce qu'il y a de plus élevé, de plus pur.

(...) Dans le bouddhisme, l'objectif est de transcender à la fois le bien et le mal, et réaliser ainsi la vacuité - l'absence de « je », de « mien », de « moi-même ». Si nous ne connaissons pas le bien et le mal, nous ne pouvons nous y attacher, et ainsi il n'y a pas de dukkha. Ou, si nous connaissons le bien et le mal, mais que nous ne nous y attachons pas, alors il n'y a pas non plus de dukkha. Ainsi, le plus haut degré pour l'humanité se situe au-delà du bien.

Au-delà du bien, il n'y a rien pour attiser la soif et personne qui ait soif. La soif cesse. Le « je » qui connaît la soif, et tous ses désirs disparaissent dans la vacuité - l'absence de soi et d'âme.

Cette vacuité est le but de la pratique du Dhamma. Elle est la voie qui transcende le cycle sans fin de la soif et du bonheur mondains. C'est le Suprême, l'aboutissement du bouddhisme.

Ce qu'il faut observer, c'est qu'il est impossible de s'attacher au bien et au mal quand il n'y a pas la connaissance du bien et du mal. Et, quand il n'y a pas d'attachement, il n'y a pas de dukkha, pas de problème. Par contre, une fois que le fruit de l'arbre de la connaissance du bien et du mal a été consommé, il y a connaissance du bien et du mal.

Que se passe-t-il alors ? Si nous manquons de sagesse (pañña) pour savoir que nous ne devons pas nous attacher au bien et au mal, nous allons nous attacher au bien et au mal des gens ordinaires. Alors surviennent dukkha et son cortège de tous les problèmes de la vie (...)


Le bien et le mal sont anicca, dukkha et anatta.

Quand il y a une connaissance juste du bien et du mal, il n'y a pas d'attachement. Alors, il n'y a pas de mort, (...) notre devoir est d'apprendre à ne pas nous attacher au bien et au mal. Nous ne devons pas nous y attacher ! Veuillez avoir la sagesse de comprendre ceci.

Ne vous attachez pas au bien et au mal. Apprenez à les connaître afin de ne jamais vous y attacher. C'est le cœur du bouddhisme (...) Si vous comprenez cela, vous aurez la clé du véritable bonheur né de la libération de la soif.

Vous pouvez voir que si vous vous attachez au bien, vous avez soif de bien. Si vous avez quelque chose de mieux, votre soif se dirigera vers ce qui est mieux. Si vous avez ce qui est le meilleur, alors vous avez soif du meilleur. Peu importe de quel « meilleur » il s'agit, il attisera la soif pareillement. Nous avons soif du meilleur et, inévitablement, cette soif est le problème qui mène à dukkha. Peu importe l'intensité de la soif, elle causera une forme du dukkha. Une soif grossière nous affecte de façon brutale, mais même la soif la plus subtile - si légère qu'elle ne peut être vue ou comprise - nous blessera d'une manière subtile que nous ne pourrons même pas voir. S'il y a soif, il y aura dukkha. La vie sera troublée et perturbée, rendant impossibles la paix et le bonheur parfaits.


C'est pourquoi le bouddhisme enseigne la vacuité (suññata) - l'absence de « je », de «mien» - qui transcende le meilleur. Si nous avons cette connaissance de l'au-delà du meilleur, de la vacuité qui n'est ni le bien, ni le mal, il n'y a pas de problème.

Dans suññata, il n'y a pas de soif. Même la plus subtile forme de soif disparaît. Là, dukkha cesse et il ne reste que la véritable paix spirituelle. C'est le but ultime. Tant que subsiste la plus petite soif, le but ultime ne peut être atteint. Dès que toute soif a été éteinte, et avec elle tous les problèmes et toutes les formes de dukkha, la véritable émancipation devient évidente.

L'émancipation dans le bouddhisme, c'est cette liberté de toute soif, qui naît de la réalisation de suññata (la vacuité). Je vous prie d'étudier cela jusqu'à ce que votre vie soit complètement libérée de toute soif.


Qu'est ce que la "Soif" : Il y a la soif "physique" et la soif "mentale", seule la seconde est cause de "souffrance"

Revenons un peu en arrière et regardons d'un peu plus près ce que nous nommons « la soif ».

Nous devons savoir qu'il y a deux types de soif.

-En premier, il y a la soif physique, matérielle, qui est un processus naturel de la vie. Le corps ressent instinctivement des soifs concernant les besoins naturels : vêtements, nourriture, logement, remèdes, exercice. Cette forme de soif n'est pas un problème. Elle n'entraîne pas de dukkha et peut être satisfaite sans causer de dukkha.

- Puis, il y a la seconde sorte de soif, que nous appelons « la soif mentale ». C'est la soif des pensées nées de l'attachement.

La soif physique n'a pas d'importance et ne cause pas de problème. Même les animaux ressentent cette soif physique, et ils essaient de l'apaiser en fonction de ce qu'ils trouvent pour se désaltérer.

La soif mentale, cependant, qui est inexorablement liée à l'ignorance (avijja) et à l'attachement (upadanna), détruit la sérénité et le calme de l'esprit - qui sont le vrai bonheur et la paix - en apportant dukkha.

Notre problème à nous, êtres humains, c'est que notre esprit s'est développé bien plus que celui des animaux. La conscience animale n'a pas appris comment transformer la soif physique en soif mentale. Ils ne s'attachent pas à leurs soifs instinctives comme nous le faisons - aussi sont-ils libres de dukkha, causée par la soif, l'avidité (tanha) et l'attachement (upadana).

L'esprit humain est plus évolué et donc souffre d'une forme de soif plus évoluée. A travers l'attachement, l'esprit humain connaît la soif spirituelle.

Nous devons faire la différence entre ces deux formes de soifs.

La soif physique peut être étanchée facilement. Un jour de labeur peut suffire à satisfaire nos besoins corporels pour plusieurs jours. Avec la conscience et la sagesse, la soif physique n'est pas un problème. Elle n'est pas bêtement transformée en dukkha. Quand la soif apparaît, il s'agit juste de voir que c'est « tathata » (l'ainsité), « c'est ainsi » et c'est tout.

Le corps possède un système nerveux. Quand il vient à manquer de quelque chose qui lui est nécessaire, cela suscite une certaine tension que nous appelons « soif ». Il n'y a que cela - l'ainsité. Il ne faut pas la transformer en une soif spirituelle en nous y attachant, en disant : « ma soif », « je suis celui qui a soif ». Ce serait très dangereux, car ceci provoquerait beaucoup de dukkha. Quand le corps a soif, qu'il a faim, il faut se rassasier calmement et en pleine conscience. Ainsi la soif physique ne vient pas perturber l'esprit.

La soif est seulement un problème mental. L'esprit humain, supérieurement développé, transforme la soif en une soif mentale du fait de l'attachement.

Il y a des phénomènes mentaux - tanha (l'avidité) et upadanna (l'attachement) - qui ne nous laissent pas en paix. Même si nous étions milliardaires avec des maisons pleines de tous les biens de consommation et les poches pleines d'argent, nous serions toujours mentalement assoiffés.


Plus nous consommons, plus grande est notre soif

Quoi que nous fassions pour satisfaire notre soif mentale, elle se développera, prendra de l'ampleur et viendra nous perturber encore davantage. Même les milliardaires ressentent cette soif spirituelle.

Alors, que pouvons-nous faire pour résoudre ce problème ? Il y a une loi du Dhamma selon laquelle mettre fin à cette soif insensée restaure la paix de l'esprit, le bonheur serein et la libération de toute perturbation.

La soif physique ne doit pas nous tracasser. Il est facile d'en prendre soin, de trouver quelque chose pour l'étancher. La soif mentale, cependant, est un problème tout autre. Plus nous buvons et plus nous avons soif. C'est le problème qui nous happe ; nous sommes agités, agacés, tiraillés par cette forme de soif.

Quand rien ne vient perturber l'esprit, alors nous connaissons la vraie félicité. Cela pourra vous paraître étonnant, mais le vrai bonheur c'est l'absence de toute perturbation.

Nous sommes sûrs que chacun de vous est tracassé par des espérances et des souhaits. Vous êtes venus ici, avec vos espoirs et vos attentes. Ces espoirs, ces souhaits et ces attentes sont autant de nouvelles soifs mentale ; aussi, soyez-y très attentifs. Ne les laissez pas devenir un danger ! Trouvez le moyen de calmer vos attentes et vos espoirs. Vivez dans sati-pañña (la présence attentive doublée de sagesse) ; ne vivez pas dans l'espérance.

Habituellement, nous apprenons aux enfants à formuler des souhaits - « faire un vœu », « vivre un impossible rêve ». Mais ce n'est pas une bonne chose. Pourquoi leur apprenons-nous à vivre dans la soif ? C'est semer le tourment en eux au point de leur causer des douleurs physiques, des maladies et la mort. Il sera plus profitable de leur apprendre à vivre sans la soif spirituelle.

Vivez avec sati-pañña, faites ce qui doit être fait, mais n'espérez pas, ne rêvez pas, n'attendez rien. Les espoirs ne sont rien de plus que des soifs mentales spirituelles. Apprenez aux enfants à ne pas s'attacher. S'il n'y avait aucune soif, ni physique, ni spirituelle, quel bonheur cela serait ! Il n'y a pas de bonheur plus grand. Vous comprenez ?


VIVEKA - Les bénéfices de la cessation de la soif : Etre "seul" et "libre"

Pour conclure, nous voudrions vous parler des bénéfices de la cessation de la soif. Pour ce faire, nous allons vous demander d'apprendre un mot pali de plus.

Ecoutez attentivement et retenez ceci, car c'est un des mots les plus importants ; Viveka en pali, vivek en langue thaïe.

Viveka peut être traduit par « la plus grande des solitudes », « l'unicité parfaite », « la complète solitude ».

Parce que beaucoup de gens n'ont pas correctement saisi la signification de ce terme, celui-ci ne vous est pas très familier.

D'abord, retenez que viveka a trois niveaux de compréhension.

1)Viveka physique (kaya-viveka), quand rien ne vient perturber le niveau de la vie physique.

2)Viveka mental (citta-viveka), quand aucune émotion ne vient perturber l'esprit, quand l'esprit n'est plus dérangé par des choses comme la convoitise sexuelle, la haine, la frustration, l'envie, la sentimentalité et l'amour. Ce viveka mental peut être expérimenté même au beau milieu d'une foule bruyante ; il n'est pas dépendant de la solitude physique.

3) Viveka spirituel (upadhi-viveka), quand aucune sensation, aucune pensée d'attachement à un « je », un « mien », une « âme » ou « moi-même » ne vient perturber l'esprit.

Si ces trois niveaux sont réunis, vous serez vraiment seuls et libres.

Etre simplement libéré des perturbations physiques, alors que les émotions continuent à agacer l'esprit, ce n'est pas viveka.

Beaucoup de « méditants » se précipitent dans les forêts ou au fond d'une grotte pour trouver la solitude, mais ils emportent avec eux leurs émotions. Ils ne pourront alors trouver ce qu'ils recherchent. Ils ne connaîtront pas le vrai bonheur.


Si les émotions ne viennent pas les perturber, mais qu'ils sont assaillis par des sentiments de « je », « moi » et « mien », ils ne connaîtront pas viveka non plus.

Il doit n'y avoir aucun sentiment de « je », « moi », « mien ». Alors, il n'y aura aucune soif d'aucune sorte, ni aucun espoir pour les perturber. C'est cela la solitude. L'esprit est parfaitement seul. C'est ce bonheur qui est le but du bouddhisme. C'est « vimutti » (l'émancipation) au plus haut niveau du bouddhisme.

L'objectif final du bouddhisme, la plus haute libération, ce n'est pas un esprit qui serait simplement heureux et calme. Le but ultime du bouddhisme, c'est la totale libération de tous les attachements, de tous les liens à « je », « moi », « mien ». Nous souhaitons que vous ayez connaissance de ces trois niveaux de viveka.

Si vous êtes capables de pratiquer la pleine conscience de la respiration complètement et correctement, au travers de ses seize stades ou étapes, alors vous découvrirez ces trois niveaux de viveka. Vous découvrirez le bonheur de ne plus jamais être tourmenté à nouveau par la soif.

Mais si vous n'aimez pas cette forme de bonheur, si vous lui préférez le bonheur de répondre à la soif, de combler vos désirs, vous n'apprendrez rien, ici, qui puisse vous être utile. Cela ne vous sera d'aucune aide, car le but du bouddhisme est d'éliminer cette forme de bonheur et de plaisir qui dépend des choses pour étancher sa soif. Nous, nous voulons que cela cesse. Nous avons besoin de cette forme de viveka qui n'est jamais perturbée par la soif.

C'est ce que nous craignons que vous ayez, peut-être, mal compris. Si vous ne comprenez pas la conception bouddhiste du bonheur, vous risquez d'attendre quelque chose que le bouddhisme ne peut pas vous offrir. Aussi, vous serez déçus. Vous perdrez votre temps, ici.
Si vous voulez le bonheur qui vient de la satisfaction de la soif, nous n'avons rien pour vous ici.

Mais si vous voulez le bonheur né de l'absence de toute soif, nous avons des choses à partager - et c'est ce que nous venons de faire.

Nous espérons que vous rencontrerez le succès dans votre pratique et dans le développement de la pleine conscience de la respiration. Alors, vous recevrez le véritable bonheur né de l'absence totale de soif.
Merci d'être venus à Suan Mokkh ; puissiez vous en retirer tout le bienfait possible.

Buddhadasa Bhikkhu
Traduit du thaï par Santikaro Bhikkhu-
Traduction française par isara. (Texte intégral)
Remarque : les sous titres (en violet) ne sont pas dans le texte initial.

  • Lire d'autres enseignements de ce moine : sur ce blog: ICI et sur le site Karuna LA






dimanche 20 juillet 2008

Paticcasamuppada: De l'origine conditionnée de tous les phénomènes


...Paticcasamuppada est comme les Quatre Noble Vérités, dans ce sens que, si personne ne les comprend, l'éveil du Bouddha n'aura servi à rien...

..nul n'est né et nul ne mourra pour recevoir les conséquences de ses actions passées (kamma), contrairement à ce qui est dit dans la théorie éternaliste..

Etre ici et maintenant, c'est l’interdépendance de la voie du milieu et de la vérité ultime. Cette loi va de pair avec le Noble Octuple Sentier..

..enseigner paticcasamuppāda comme s'il existait un « moi » qui perdurerait sur plusieurs vies, est contraire au principe même d’interdépendance, contraire aux enseignements du Bouddha..

Si certains préfèrent, malgré tout, parler de « cette vie-ci » et de « la prochaine vie », c’est acceptable dans la mesure où ils donnent au mot « vie » un sens d’immédiateté. (...)
Une telle « prochaine vie » est potentiellement bien plus enrichissante que celle qui consisterait à sortir du ventre d’une autre mère et que l'on ne pourrait ni voir ni situer
(...)
Interpréter le mot «naissance» comme dans le langage de la vérité relative — c’est-à-dire sortir du ventre d’une mère — fera obstacle à notre compréhension de l'enseignement...


Ci après des extraits d'un enseignements de Buddhadasa Bhikkhu portant sur L'origine Conditionnée de tous les phénomènes ou l'interdépendance = PATICCASAMUPPADA AU QUOTIDIEN

Remarques : certains d'entre vous seront peut-être un peu décontenancé par les propos de Bhikkhu Buddhadasa.  Certains passages peuvent vous sembler en contradiction avec ce que l'on vous a enseigné, ou ce que vous avez compris ou lu.   Mais comme le souligne lui même le vénérable Bouddhasasa, le langage utilisé est celui de la "Vérité absolue". (ou encore vérité ultime) Or, nous avons l'habitude de penser en "Vérité relative"(ou "vérité conditionnée"). Essayons d'oublier pour un instant,  tout ce que nous avons entendu ou cru comprendre afin de lire cet enseignement avec un esprit nouveau, avec un esprit qui ne juge pas, un esprit réceptif.

Seule la pratique peut nous permettre de comprendre l'interdépendance de toute chose. 


L'origine Conditionnée de tous les phénomènes

L’étude de la loi concernant l’origine conditionnée de tous les phénomènes, que nous nommerons ici « loi d’interdépendance » ou paticcasamuppāda, est importante et nécessaire aux disciples du Bouddha, comme le montre le passage suivant des écritures du Canon pāli (extrait du Sangiti sutta)

« Il existe deux doctrines (dhamma) enseignées par l’Eveillé, Celui qui Sait, qui s’est libéré de toutes les souillures et a trouvé le parfait éveil par lui-même. Tous les bhikkhus (moines) devraient approfondir l’étude de ces deux doctrines, il ne doit y avoir aucun désaccord ou division à leur sujet. Ainsi la Vie Sainte (ou religieuse ) pourra-t-elle se poursuivre longtemps dans la stabilité. Ces deux doctrines seront propagées pour le plus grand profit de l’humanité, pour le bien du monde, pour aider les grands êtres et tous les êtres humains. Quelles sont ces doctrines ? Il s’agit de : la compréhension juste des bases sensorielles (ayatana-kusalata) et de la compréhension de l’interdépendance (paticcasamuppāda-kusalata). » (...)

La loi d’interdépendance est un sujet extrêmement profond. On peut dire qu’il s’agit là du cœur ou de l’essence même du bouddhisme. C’est pourquoi elle engendre inévitablement des problèmes, lesquels deviennent à leur tour un danger pour le bouddhisme, dans la mesure où les disciples du Bouddha ne peuvent retirer aucun bénéfice de cet enseignement s’il leur est mal transmis.(...)

pour l’étudier correctement nous devons être prêts à y investir toutes nos capacités intellectuelles (...)Cette connaissance n’a rien à faire avec la connaissance d’une philosophie ou d’un langage particulier (...)
(...)pour répandre son enseignement, le Bouddha utilisait deux types de langage :
- le langage de la vérité relative, pour enseigner la vertu morale à ceux qui sont encore empêtrés dans des visions éternalistes — ceux qui s’accrochent à l’idée qu’ils sont quelqu’un et possèdent des choses ;
- mais aussi le langage de la vérité absolue, pour pouvoir enseigner à ceux qui n’ont
« plus qu’un peu de poussière dans les yeux », pour leur permettre de comprendre la réalité absolue (paramattha-dhamma). L’enseignement de la réalité absolue a pour but de libérer les humains de leur chère théorie éternaliste.

C’est ainsi que l’on retrouve, dans les paroles du Bouddha, deux modes d’expression différents. Or, la question de l’interdépendance relevant de la vérité ultime, elle ne pouvait être traitée qu’en termes de vérité ultime. (...)

L’interdépendance est donc réellement un sujet difficile à aborder.(...)

(...)quand le Bouddha enseigne la vérité ultime, il parle des êtres sensibles, des individus... comme n’ayant pas de réalité propre : il n’existe en fait qu’une série d’événements interdépendants qui apparaissent puis disparaissent.

Chacun de ces événements s'appelle paticca-samuppanna-dhamma (événements qui apparaissent du fait de la loi des causes et effets) et on les appelle paticcasamuppāda quand ils sont reliés entre eux.(...)

A aucun moment, dans ce cycle, il n'est possible de parler de « quelqu'un » ou d'un « soi », pas même dans l'instant présent. Ainsi nul n'est né et nul ne mourra pour recevoir les conséquences de ses actions passées (kamma), contrairement à ce qui est dit dans la théorie éternaliste.
Mais il n'y a pas non plus de mort qui soit une disparition totale, comme dans la théorie nihiliste...
Etre ici et maintenant, c'est l’interdépendance de la voie du milieu et de la vérité ultime. Cette loi va de pair avec le Noble Octuple Sentier — la voie du milieu que l'on peut même appliquer dans les questions de morale.(...)

enseigner paticcasamuppāda comme s'il existait un « moi » qui perdurerait sur plusieurs vies, est contraire au principe même d’interdépendance, contraire aux enseignements du Bouddha, qui visent précisément à éliminer cette sensation de soi, à dépasser complètement ce sentiment d'être « quelqu'un ».
L'interdépendance n'est donc absolument pas concernée par les questions de morale, lesquelles sont liées à une théorie éternaliste basée sur l'existence d'un soi. (...)

En tout état de cause, nous pouvons dire que l’on trouve aujourd’hui deux interprétations de paticcasamuppāda :
- la première est erronée ou mal expliquée, de sorte qu'il est impossible de la mettre en pratique: cette théorie inexacte a été enseignée pendant un millier d'années.
- La seconde, correctement transmise, est expliquée selon les intentions du Bouddha, on peut la pratiquer ici et maintenant et en voir les résultats immédiatement.

Cette seconde interprétation de la loi d’interdépendance nous apprend à être attentifs à tout contact entre les sens et les objets des sens, à ne pas laisser les sensations et les émotions se développer et éveiller la soif du désir (...)

l'attention doit être présente pour contrôler les sensations lorsqu'il y a contact entre les sens et un objet. Il ne faut pas permettre au désir et à l'attachement d'apparaître.(...)

La pratique de l'interdépendance est la voie du milieu de la vérité ultime.(...)

L'interdépendance se situe entre l'idée d'existence d'un moi et celle d'absence totale de moi. Elle a son propre principe : « Parce qu'il y a ceci, il y a cela ; parce que ceci n'est pas, cela n'est pas ». C'est ce principe qui fait que le bouddhisme n'est ni éternaliste ni nihiliste.(...)

Si nous étudions de près les écritures du Canon pāli, c'est-à-dire les enseignements donnés par le Bouddha lui-même, nous constatons qu'ils sont nettement divisés en deux : d'une part, les questions ayant trait à la vertu morale, destinées à ceux qui sont encore attachés à une vision éternaliste du monde et, d’autre part, les questions sur la vérité ultime dont le but est de supprimer aussi bien le point de vue éternaliste que le point de vue nihiliste. (...)

l'étude de l'interdépendance implique une référence indispensable aux écritures originelles en pāli. (...)Ne vous inclinez pas systématiquement devant des écrits tardifs, comme le Visuddhimagga. (...) Nous devons rester vigilants, selon les instructions laissées par le Bouddha lui-même dans le Kālāma Sutta et selon le principe de mahāpadesa tel qu'il est donné dans le Mahāparinibbāna Sutta : « Tout ce qui n'est pas en accord avec la majeure partie du Dhamma-Vinaya (l'enseignement et la discipline) doit être considéré comme ayant été mal perçu, mal retenu, mal expliqué ou mal enseigné » Ce principe de mahāpadesa nous protége des œuvres postérieures qui auraient pu glissé dans l'éternalisme. (...)


Voici à présent les principes qui relèvent de l'interdépendance

1) À chaque fois qu'il y a contact sensoriel sans sagesse, s'ensuit le devenir (bhava) et la naissance (jāti). En d'autres termes : quand seule l'ignorance est présente à l’instant d’un contact avec les sens, la loi d'interdépendance se met en mouvement.

2) Dans le langage de paticcasamuppāda, les mots « individu », « soi », « nous » ou « ils » sont inexistants. Il n'y a aucune « personne » qui souffre, se libère de la souffrance ou évolue dans un tourbillon de renaissances (...)

3) Dans le langage de paticcasamuppāda, le mot « bonheur » n'apparaît pas. Seuls apparaissent les mots « souffrance » et « cessation » ou « extinction » complète de la souffrance... la loi d'interdépendance n'a pas pour but de parler du bonheur — lequel est, par contre, la pierre d'achoppement de l'éternalisme. Dans le langage de la vérité relative, on peut considérer que l'absence de souffrance est le bonheur ; ainsi, il est dit que « le nirvana est le plus grand des bonheurs »

4) Le type de « conscience de renaissance » (patisandhi viññāna) — qui sous-entend un moi — n'apparaît pas dans le langage du paticcasamuppāda. Le mot viññāna se réfère aux six formes de consciences sensorielles qui naissent au contact des six sens. (...)

5) Dans le processus d'interdépendance, il n'existe que paticca-samuppanna-dhamma, c'est-à-dire des événements dont l'apparition, très brève, dépend d'autres événements et qui donnent à leur tour naissance à d'autres événements. C'est ce conditionnement mutuel des choses que l'on appelle interdépendance (...)

6) En termes de karma, paticcasamuppāda tend à montrer un karma qui n'est ni blanc ni noir, qui n'est ni le karma des bonnes actions ni celui des mauvaises actions (...)

7) ) Sanditthiko est un principe fondamental du bouddhisme, c'est le « ici et maintenant »(...) Chacun des onze maillons de la chaîne d'interdépendance doit absolument se situer dans le présent pour rester cohérent avec les principes enseignés par le Bouddha

8) Les nombreux suttas qui abordent la question de paticcasamuppāda en parlent de plusieurs manières (...) Il y a, par exemple,
(a) l’enchaînement normal (anuloma) : depuis l'ignorance jusqu'à la souffrance ;
(b) l’enchaînement inversé (patiloma) : de la souffrance à l'ignorance ;
(c) la voie de la cessation : que l'on peut suivre dans un sens ou dans l'autre ;
(d) la voie qui commence avec les bases des sens pour donner naissance à la conscience sensorielle, au contact et à la sensation — dans ce processus l'ignorance n'est pas mentionnée ;
(e) la voie qui commence avec la sensation et se termine avec la souffrance ;
(f) et enfin, la voie probablement la plus étrange, qui regroupe la voie de l'apparition de la souffrance et celle de la cessation. (...)

Si nous étudions soigneusement tous les discours qui traitent de l'interdépendance, il apparaît absolument inutile que l'application de cette théorie s'étende sur trois vies (en termes de vérité relative)....

9) Paticcasamuppada ne concerne que des événements soudains et momentanés (khanikā-vassa)... Nous pouvons observer cela tous les jours : quand l’avidité, la colère ou l'illusion apparaissent, le « moi » prend aussitôt « naissance ». Si certains préfèrent, malgré tout, parler de « cette vie-ci » et de « la prochaine vie », c’est acceptable dans la mesure où ils donnent au mot « vie » un sens d’immédiateté. (...)

Interpréter le mot «naissance» comme dans le langage de la vérité relative — c’est-à-dire sortir du ventre d’une mère — fera obstacle à notre compréhension de l'enseignement.

Nous devrions plutôt nous réjouir que cette « prochaine vie », c’est-à-dire la prochaine occasion d’un contact sensoriel, soit à notre portée et à notre disposition, pour en faire ce que bon nous semblera. Une telle « prochaine vie » est potentiellement bien plus enrichissante que celle qui consisterait à sortir du ventre d’une autre mère et que l'on ne pourrait ni voir ni situer (...)

10) Se contenter de palabrer sur paticcasamuppāda n'est que de la philosophie dans le pire sens du terme, c'est inutile et sans valeur. Ce qu’il faut, c’est pratiquer les enseignements de l’interdépendance en empêchant l'apparition de la souffrance grâce à une parfaite vigilance au niveau des six portes des sens,(...)

En quelques mots, disons que paticcasamuppāda est une question très concrète qui mène tout droit à la cessation de la souffrance. La souffrance intervient parce que, une fois la « souillure » (kilesa) apparue, la roue fait un tour complet du cycle d'interdépendance.(...)

La soif du désir et l'attachement engendrent à leur tour le devenir et la naissance, naissance de la notion de « moi », de « je » ou de « mien », d’une « personne » qui goûtera aux fruits de la souffrance sous forme de problèmes surgis du fait de la naissance, de la vieillesse et de la mort : le chagrin, les lamentations, la douleur, la peine et le malheur ou, comme on les appelle encore, les cinq agrégats du désir (pañcūpādāna-khandha) , synonymes de souffrance (...)

En un cycle d'interdépendance, il semble qu'il y ait donc deux autres naissances mais il n'est pas nécessaire, pour cela, de mourir, d'être enfermé dans un cercueil puis de renaître. Ce type de mort relèverait du corps et du langage de la vérité relative, pas de paticcasamuppāda tel qu'enseigné par le Bouddha. (...)

les agrégats n'apparaissent que lorsque les onze conditions de paticcasamuppāda sont en jeu, selon le principe de cause à effet : « C'est parce qu'il y a ceci que cela apparaît ; parce que ceci n'est pas, cela n'est pas non plus ». (...)

cette explication du non-soi par la loi d’interdépendance est nécessaire pour éviter qu’une simple explication des cinq agrégats comme étant dépourvus de « soi » ne conduise à certaines déviations ridicules (...)

Dans l'ordre de la cessation de la souffrance dans la loi d'interdépendance, nous trouvons le véritable Bouddha, le véritable Dhamma et le véritable Sangha. Ils sont sanditthiko (immanents, ici et maintenant) et paccatam veditabbo viññuhi (ce que l’on découvre par soi-même, par l'expérience directe). Ils sont présents et vivants tous les trois, bien plus réels que dans le triple joyau que les éternalistes chantent sans prêter attention aux mots qu'ils prononcent, se contentant de les articuler, les privant de leur sens. (...)

« Cette vie » signifie le cycle d'interdépendance ; « la prochaine vie » signifie le prochain cycle d'interdépendance et ainsi de suite.

Considérer les choses ainsi, c'est voir cette vie et la suivante d'une manière plus juste que la façon dont la comprennent les éternalistes, lesquels la définissent en termes de naissance physique, depuis le ventre d’une mère jusqu'au cercueil — définition qui tient au langage de la vérité relative et non à celui que le Bouddha utilise lorsqu'il enseigne paticcasamuppāda. (...)

Une bonne compréhension de cela est ce qu’un enseignant de paticcasamuppāda peut vous offrir de plus utile, pas le paticcasamuppāda des maîtres éternalistes, créé de toutes pièces sur le tard et incorrectement transmis jusqu'à ce jour (...)

De nombreux éléments permettent de comprendre que le langage de l'interdépendance (le langage du Dhamma le plus élevé) est différent du langage de la vérité relative, lequel est inévitablement assaisonné d’un soupçon d'éternalisme.

Paticcasamuppada est comme les Quatre Noble Vérités, dans ce sens que, si personne ne les comprend, l'éveil du Bouddha n'aura servi à rien. C'est encore plus vrai pour la loi d'interdépendance car elle est l’épanouissement de ces nobles vérités. Voilà pourquoi nous devons tellement en parler. (...)

La première chose à comprendre est que nous faisons tous l’expérience de l'interdépendance, pratiquement à chaque instant, même si nous n'en savons rien.


Qu'est-ce que paticcasamuppāda ?

C’est la démonstration détaillée de l'origine et de la cessation de la souffrance ; elle souligne l'interdépendance naturelle des facteurs qui mènent de l'origine à la cessation de la souffrance (...)

Pourquoi doit-on aborder le sujet de l'interdépendance ?

Il est indispensable d'étudier et de mettre en pratique cette théorie. De nos jours, très peu de gens connaissent paticcasamuppāda et, qui plus est, leur compréhension en est souvent fausse (...)


Dans quel but devons-nous étudier paticcasamuppāda ?

La réponse à cette question est : pour nous libérer des fausses idées selon lesquelles il existe des personnes qui sont nées et qui vivent selon leur karma. D'autre part, nous devons connaître l'interdépendance pour anéantir définitivement la souffrance et laisser la place à la vision juste. Si vous croyez encore que vous êtes une âme, votre compréhension est fausse et vous endurerez la souffrance sans parvenir à vous en libérer. Il est donc nécessaire de savoir ce qu'est réellement l'interdépendance.

De quelle manière peut-on se libérer de la souffrance ?

La réponse est la même. C'est-à-dire que la cessation de la souffrance est le résultat d'une pratique correcte, d'une vie ou d'un mode de vie correct. Vivre correctement, c'est vivre de telle sorte que l'ignorance soit anéantie par la sagesse et que la sottise soit anéantie par la connaissance. En d'autres termes, vivre correctement, c'est être présent à chaque instant et en particulier lorsqu'il y a contact entre les bases des sens et les objets des sens.

Je vous demande de bien comprendre que « vivre correctement » signifie vivre chaque instant avec un maximum d’attention, en particulier au moment des contacts sensoriels. Ainsi la stupidité n'aura plus de place et il deviendra possible d'éliminer l'ignorance. Il ne restera plus que sagesse et connaissance. Vivre de telle façon que la souffrance ne puisse plus apparaître, c'est vivre justement.


Source : Vous pouvez télécharger l'intégralité de cet enseignement ( 87 pages au format pdf ) grâce au blog Vimokkha - La Tradition des Moines de la Forêt : ICI 

*  suite à la publication de cet enseignement, une discussion s'est engagée sur le forum Bouddhiste  nangpa2 : ICI