mardi 25 mars 2008

TIBET : TEMOIGNAGE D'UN MOINE TIBETAIN



Témoignage d’un moine tibétain du Sichuan

Les témoignages de Tibétains sont rares puisque les zones de tension sont interdites aux journalistes. Aujourd’huilachine a rencontré un jeune moine, originaire de la préfecture tibétaine de Ganzi dans le Sichuan. Il se trouve actuellement dans une grande métropole chinoise mais il a voulu garder l’anonymat le plus complet.


Comment vous obtenez des informations sur ce qu’il se passe chez vous ?

C’est très difficile, nos conversations sont surveillées et souvent coupées. J’arrive de temps en temps à appeler les miens. Même ici, il faut faire attention, la police nous a à l’oeil, et c’est pour ça que je dois garder l’anonymat, pour protéger les miens qui sont restés là-bas.


Quelle est la situation dans votre monastère ?

Le lendemain des émeutes de Lhassa, le samedi 15 mars, un moine de mon monastère a été arrêté par la police, après avoir téléphoné en Inde.

Rapidement, les 200 moines du monastère sont sortis en direction de la ville de Ganzi à quelques kilomètres, rejoints en chemin par une cinquantaine de villageois. Ils entendaient se rendre devant le bâtiment de la Sécurité Publique pour réclamer la libération de leur condisciple. À mi-chemin, ils ont été bloqués par une unité de l’armée. Elle comportait également un véhicule blindé surmonté d’une mitrailleuse. Les soldats étaient également armés. Ils ont tracé une ligne blanche sur le sol en précisant que toute personne qui franchirait cette ligne serait abattue sur le champ. Les moines ont protesté qu’ils ne manifestaient pas pour l’indépendance mais souhaitaient simplement réclamer la libération de leur ami arrêté sans raison. « Ce sont des ordres d’en haut. Nous avons ordre de tirer ».

Chez nous, on respecte profondément la parole des anciens, alors sur les conseils de vieux moines présents, ils ont rebroussé chemin vers la lamasserie, en précisant qu’ils reviendraient le lendemain réclamer pacifiquement le prisonnier.

Mais le lendemain, le monastère était cerné par les militaires, armes au poing et donc, depuis le 16 mars, personne n’a été autorisé à en sortir. Le moine a été relâché ultérieurement, je ne sais pas quand.


Y a-t-il eu des troubles dans la ville de Ganzi ?

Oui, mais très brièvement. Le lundi suivant, le 17, les habitants sont descendus manifester dans les rues. Sans sommation, l’armée a tiré au hasard dans la foule, tuant trois personnes : un vieux monsieur que je connais, un homme d’âge moyen et un autre très jeune. Effrayée, la foule s’est dispersée immédiatement.

La manifestation était composée uniquement d’habitants de Ganzi et des villages environnants, parce que les moines étaient déjà enfermés dans leur monastère. Actuellement, ils sont encore bloqués à l’intérieur, ce sont les familles des moines qui leur apportent des vivres.


Que s’est-il passé ensuite ?

Le jour suivant, les soldats sont arrivés en masse à Ganzi. Mon père a vu un convoi de 50 camions militaires arriver, ainsi que deux ou trois tanks. Ils se sont déployés dans les rues, il y a des check points à tous les carrefours, personne ne peut sortir de chez soi sans sa carte d’identité.

Il faut savoir que peu de Tibétains sont en possession de papiers d’identité, la police fait toujours traîner les choses pour nous les délivrer. Alors beaucoup de gens sont confinés chez eux, dans l’impossibilité de sortir dans la rue.

Quelques jours après, tous les habitants ont été convoqués pour une réunion politique. Les dirigeants de la ville étaient présents. Ils ont commencé par dire que nous étions libre de pratiquer notre religion. Puis, ils ont critiqué durement le Dalaï Lama, et ont réitéré l’interdiction de posséder la moindre image de Sa Sainteté. Ils ont également prévenu que la répression serait sévère si des troubles se reproduisaient.


Vous avez étudié plusieurs années en Inde, vous avez pu obtenir facilement un passeport ?

Non, cela a été très difficile. Ils ne veulent pas délivrer de passeports aux moines. Alors pour avoir une chance d’en obtenir un, il faut se laisser pousser les cheveux et s’habiller en civil.

Parfois, ils nous demandent de fumer des cigarettes devant eux, pour être sûrs que nous ne sommes pas des moines…Ceux qui quittent le pays clandestinement, moines ou civils, prennent de gros risques.

Lorsque j’étais au Népal, il y a trois ans, je suis allé accueillir un groupe de fuyards à la frontière. Ils étaient partis à cent et ont été attaqués. On leur a tiré dessus comme des animaux et la moitié d’entre eux sont morts. Parmi les morts, il y avait aussi des vieux, des femmes et des enfants. Les survivants étaient très marqués en arrivant au Népal. Nous avons essayé de les réconforter, tout le monde pleurait…


Quels sont les contrôles exercés sur les moines et les monastères en règle générale ?

En ce moment, bien sûr, tous les téléphones sont écoutés. Mais en temps ordinaire nous sommes aussi très surveillés. La police entre et sort comme elle le souhaite.

Nous avons le droit d’organiser des cérémonies importantes, les Puja, mais à chaque fois, la police s’invite en grand nombre. Les Puja dédiés au Dalai Lama sont interdits. S’ils trouvent une photo de lui, nous sommes passibles d’une amende et ils confisquent la photo, quand ils ne la jettent pas dans les toilettes. C’est très blessant, car nous portons tous le Dalaï lama dans notre cœur.

Vous savez, dans le bouddhisme, chaque monastère reçoit régulièrement des « Bouddhas vivants » pour recueillir leur enseignement. Ils viennent de l’étranger ou d’autres localités du Tibet. C’est toujours très difficile de les faire venir. Pour y arriver, il faut verser de gros pots-de-vin aux autorités locales. En plus, les Bouddhas vivants doivent signer un papier disant qu’ils renient le Dalai Lama et sa clique….Mais Sa Sainteté a dit qu’il fallait signer, que ce n’était qu’une simagrée, l’important, c’est ce qu’on pense dans son cœur.

Je connais un vieux moine, il était parti étudier en Inde plusieurs années. À son retour cette année, il a été jeté en prison, sans explication et sa famille n’a pas été avertie. Ils ne l’ont relâché que très récemment, au bout de cinq mois et après versement de 1000 yuans (100 euros) à la police. Il en est ressorti tout sourire et a déclaré : « C’était une aubaine. J’ai enfin eu le temps de méditer autant que je le souhaitais ! »

D’autre part, nos demandes pour rénover ou agrandir les lieux de culte n’aboutissent jamais. Dans mon monastère, nous voulons créer un petit hôpital, car les conditions sanitaires de la population sont très précaires. Mais ils ne nous en délivrent pas l’autorisation.


La pression est forte, mais peut-on vraiment parler de génocide culturel au Tibet ?

L’anéantissement de la culture est bien réel et commence par l’école. Il est interdit d’envoyer les enfants étudier dans les monastères, sous peine d’amende sévère.

À l’école publique, on critique le Bouddhisme et les traditions tibétaines, et on ne parle que le chinois. En plus, l’école est payante, c’est très cher pour les populations pauvres de Ganzi. Vous vous rendez compte, il faut compter 600 yuans ( 60 euros) par semestre pour aller au collège public. Pour des paysans pauvres, c’est plus que leur revenu…Alors beaucoup d’enfants ne vont pas à l’école, c’est très grave.

Les Tibétains n’ont pas la parole dans la gestion des affaires locales car tous les cadres d’importance sont d’ethnie Han. Quant aux Tibétains qui décrochent un emploi gouvernemental, y compris les médecins et professeurs, ils doivent renier leur culture bouddhiste. Ils n’ont pas le droit d’avoir la moindre statue de bouddha ou le moindre tanka chez eux sous peine d’être licenciés. C’est quelque chose de très douloureux.

Source : Aujourd'hui la Chine

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