mercredi 9 avril 2008

Journal d'un moine



Wat Paa - part 10 - : Le soir




Le filet d’eau qui coule sur mon crâne annonce la troisième partie de la journée. Rester vigilant, même durant la toilette. Veiller tout d’abord à utiliser l’eau avec parcimonie. La douche est sommaire : un grand réservoir en ciment, une écuelle en plastique et un trou dans le bas du mur pour l’évacuation de l’eau. L’endroit, sombre et humide, est le havre idéal pour nombre d’insectes et de petits animaux : geckos, petits serpents, grenouilles, moustiques (bien sûr !), mille-pattes dont la morsure, douloureuse à l’extrême, peut vous paralyser la jambe un moment…

Les robes que j’ai lavées à midi sont sèches : il est agréable de les endosser après avoir porté les autres qui sont humides de sueur. J’ai encore le temps avant d’aller faire tinter la cloche à cinq heures.

Au wat paa, l’office commence une heure plus tôt, par rapport aux autres wats des environs, afin de permettre de faire une heure de méditation formelle ensuite.

Les trois mae chee participent à l’office du soir. J’éprouve une tendresse particulière pour ces trois femmes dont la plus jeune a soixante seize ans. Menue, décharnées, édentées, la vie n’a pas épargné ces trois vieilles qui se sont retrouvées sans rien, pas même un toit, à l’âge où elle n’avaient plus la force suffisante pour gagner de quoi se nourrir.




Ici, en Thaïlande, les anciens sont pris en charge par les enfants et petits enfants. Trois générations vivent sous un même toit. Ces trois vieilles n’ont pas eu cette opportunité, pas d’enfants, ou bien morts avant l’heure, ou bien partis à la ville, ou bien eux-mêmes dans une galère ; et pas de neveux ou de nièce compatissants… Pour elles, le wat est un refuge, un endroit où dormir et pouvoir bénéficier des offrandes apportées à Luang Por. C’est aussi l’occasion de chanter les offices, de faire « tham boun » (faire des mérites) pour obtenir une vie meilleure après celle-ci.

En leur présence, Luang Por peine à garder son calme. Il ne peut s’empêcher de les accabler de reproches, même si lui aussi a de la tendresse pour ces mae chee. Pour moi, conduire l’office est un parcours du combattant : l’une chante à contretemps, l’autre va trop vite et la troisième est soit un ton au-dessus, soit un ton au-dessous ! Il faut les excuser : toutes trois sont dures d’oreille ! Moi, j’essaie de me caler sur celle que j’entends le mieux…

Devant cette cacophonie ineffable, Luang Por perd patience : il allume l’ampli, saisit le micro et prend la direction de la manœuvre. Grâce aux haut-parleurs, nos voix discordantes sont couvertes !
Il m’arrive souvent de sourire en pensant à cette pitoyable sangha que nous formons ! Je suis triste pour Luang Por qui a bâti ce lieu pour redonner vigueur à l’enseignement originelle dans la tradition des moines de la forêt et qui n’a pour disciples que trois vieilles femmes et un moine « farang »…

L’office du soir est plus long que celui du matin. Luang Por ajoute la récitation de nombreux suttas afin de bien les garder en mémoire. Soixante ans sous la robe, je me demande combien de fois il a pu réciter toute la liturgie.

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1 commentaire:

Anonyme a dit…

Merci Kathy de relayer ce récit.

Celui-ci peut permettre de mieux faire connaissance avec la vie quotidienne dans un wat, sans pour autant tomber dans l'idéalisation de la vie monastique.

Aussi loin que nous puissions partir, nous partons toujours avec nous-même dans nos bagages.

Par contre, il n'est pas nécessaire d'aller au fond d'une forêt, pour se retrouver avec soi-même.

Amitiés,
hervé