mardi 12 février 2008

Journal d'un moine (suite):La marche méditative






isara nous raconte avec une grande simplicité et une grande honnêteté sa vie de moine, dans un monastère en Thaïlande à Wat Paa. Ci après, quelques extraits de son récit à propos, notamment, de la méditation en marchant ( lien pour lire le début de son récit à la fin du message)


Wat Paa (part 4) : Méditation

Luang Por attache une grande importance à la pratique de la méditation et le Wat Paa Mahanikhai est un centre de méditation réputé dans la province. Pourtant, exceptée la période du carême bouddhique, peu de moines séjournent au wat paa.

Trois fois l’an, le wat organise des séminaires de méditation pour les laïcs, mais force est de constater que l’assemblée est plutôt âgée et composée à quatre-vingt dix pour cent de femmes.

Luang Por peste souvent devant cette désaffection et contre ces monastères où les moines se contentent des offices chantés et délaissent la pratique de la méditation.

A mon arrivée, il m’a longuement interrogé sur les manières de pratiquer qui m’avaient été enseignées précédemment… Je n’avais, à ses dires, pas trop été déformé !

Luang Por pratique la méditation dans la tradition Kammatthana (tradition de la forêt), dans la lignée de Ajahn Mun.

Il aime varier les méthodes de méditation : méditation assise, méditation debout, méditation marchée. La méditation doit être un exercice de vigilance, et non une routine où l’esprit se laisse aller à l’engourdissement.

Il pratique la méditation assise selon l’Anapanasati en focalisant son attention sur le contact de l’air au niveau des narines.

Pour Jongrom= la méditation marchée; il se concentre sur le mantra « Bhud-do ».

Luang Por marche d’un pas plus rapide que le mien.
Il me recommande de marcher sur une courte distance afin d’avoir l’occasion de faire de nombreux demi-tour. Chaque demi-tour est une occasion de renforcer la concentration :

Il faut s’arrêter d’abord, revenir pieds joints, prendre une longue respiration et voir où est l’esprit : est-il dans la pleine conscience de la marche ou est-il en train de vagabonder ? Ramener l’esprit dans le corps ; avec le regard intérieur, procéder à un scan depuis le sommet de la tête jusqu’aux orteils en passant par la face avant du corps. Remonter de la plante des pieds jusqu’aux crâne en suivant l’arrière des jambes, des cuisses, les fesses, la colonne vertébrale et la nuque.

Ensuite, il faut être conscient de son intention de faire demi-tour ; cela ne doit pas être une action faite par habitude… Le demi-tour doit se faire en quatre temps : faire pivoter le pied droit d’un huitième de tour en gardant le talon au sol,« BUD… ». Amener le pied gauche près du pied droit, « DHO… »… Un huitième de tour à droite, « BUD… », le pied gauche rejoint le pied droit, « DHO.. ». Le pied droit pivote d’un huitième, « BUD… ». Le gauche suit, « DHO… ».Recommencer une quatrième fois, « BHU… », voilà le demi-tour exécuté, « DHO… ».

Là, pieds joints, refaire un nouveau scan du corps, de la tête vers la plante des pieds et retour. Respirer longuement, être conscient de sa volonté de marcher, répéter trois fois « intention de marcher… ».

Enfin lever le talon du pied droit pour amorcer le premier pas. Et surtout, savoir s’arrêter et revenir en position pieds joints, à chaque fois que l’on surprend l’esprit en train de batifoler.

En position debout, il médite sur les trente-deux parties du corps que nous nous remémorons deux fois par jour, à la fin de l’office.

C’est un exercice qui demande une longue expérience et Luang Por dit qu’il peut être aussi efficace de porter son attention sur les éléments externes du corps (cheveux, poils,dents, ongles des mains, des pieds et la peau). Savoir contempler ces éléments du corps humain, voir leur caractère éphémère, comment ils changent et vieillissent. Voir comment ils peuvent devenir sales et puants si on ne les lavent pas.

C’est le premier enseignement que tout nouveau moine reçoit le jour de son ordination, juste après avoir revêtu pour la première fois la robe de moine (...)

Autre méthode : la contemplation du squelette, voir son squelette depuis le sommet du crâne jusqu’au bout des orteils. Ou encore, percevoir les éléments air-terre-eau-feu qui constituent notre corps.

La méditation debout est un exercice qui permet de voir de l’intérieur le corps et les sensations du corps. Il faut procéder comme le fait un scanner depuis le sommet du crâne jusqu’au bout des orteils, aller et retour ; voir avec les yeux de l’intérieur le corps et toutes ses composantes.

Cependant, j’ai toujours la crainte de me laisser aller à la torpeur et de basculer en avant pour chuter lourdement, tête en avant. Ce risque est d’autant plus grand si tôt le matin.

C’est, je crois, les seuls enseignements sur la pratique que Luang Por m’ait donné.

Depuis, il se contente de répondre à mes interrogations lorsque nous nous retrouvons, la nuit tombée dans son kuti pour boire un chocolat chaud. « Tu as bien fait de ne pas apporter tes livres avec toi car on y apprend pas grand-chose », m'a-t-il dit un jour.

La marche méditative m’apporte dès que je la pratique un calme très grand, propice à la concentration. Je marche de façon lente, décomposant mon pas en six fractions (soulever le talon,lever le pied, avancer le pied, l’incliner vers le sol, toucher le sol avec les orteils, reposer le pied) et marquant une pose entre chacune des fractions.

L’amplitude du pas est très faible : le talon vient se poser tout près du gros orteil du pied qui est au sol. Le mouvement est si lent que je suis souvent à la limite de la perte d’équilibre (une manière de forcer la vigilance à rester aiguisée).

Luang Por, qui décompose le mouvement de son pas en deux fractions, au rythme du mantra « bud – dho », a une marche plus rapide, aussi nous séparons nous pour méditer en marchant.

Le temps ne compte plus lorsque je pratique la méditation marchée ; Luang Por le sait, aussi frappe-t-il légèrement sur un gong pour m’indiquer qu’il est temps de revenir s’asseoir pour la poursuite de la méditation. En effet, nos périodes de méditation se termine toujours par une période d’assise d’au moins vingt minutes.

Lorsque je médite seul dans mon kuti, je peux prendre un coussin afin d’avoir une position plus stable et moins douloureuse pour les articulations. Cela ne m’est pas possible lorsque je médite en compagnie de Luang Por. (...)

Quand nous méditons dans la sala, Luang Por a deux tapis de prière disposés l’un sur l’autre. Cela signifie donc que je doive n’en contenter d’un seul (et pas de coussin, bien sûr !).

Devoir s’asseoir ainsi ne se limite pas aux seuls moments de méditation formelle : cérémonies diverses dans les monastères environnants, temps passé à recevoir les visiteurs, cérémonies de crémation, veillées funéraires, invitations à venir manger dans les maisons et temps consacré à la prise du repas quotidien… Autant de temps passé assis par terre, jambes croisées.

Certains jours, les douleurs aux genoux frisent le supplice ; et pas seulement pour mes articulations de « farang » (occidental), les moines thaïs, plus aguerris, eux aussi se plaignent souvent.

J’essaie de suivre les instructions reçues et me sert de cette douleur récurrente que je ressens dans le genoux droit comme d’un objet sur lequel porter mon attention afin d’affiner ma concentration. Cela marche un moment, je parviens à observer la douleur, voir sa nature changeante, impermanente. Je regarde la douleur de l’intérieur, je la vois bouger, se modifier… s’estomper même.

Puis, patatras, elle s’avive à nouveau… alors, plus question d’observer quoi que ce soit. Je n’aspire qu’à une chose : fuir cette douleur, bouger la jambe pour que cesse cette douleur ! Qu’importe la méditation : échapper à cette douleur, un point c’est tout !

J’en ai connu de ces jours où la douleur faisait naître en moi ce désir de fuite, puis la colère d’avoir à endurer cette souffrance et le doute quant à l’utilité de tout cela. Ces jours ne sont pas terminés : il m’arrive de douter que je pourrai un jour dépasser tout cela.


Source : Blog d'isara : Journal d'un moine : Wat Paa (part 1 à 4 ) ICI



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