- Pour rappel, la présentation des auteurs et le début de cette étude ayant pour objet (...) de montrer la contribution propre du bouddhisme à la compréhension et à la solution du problème racial, se trouve ICI
Ce troisième et dernier chapitre de "Le Bouddhisme et la question raciale" par G. P. Malalasekera et K.N. Jayatilleke, contient un bref exposé historique des tentatives faites par le bouddhisme pour éliminer les barrières des races et des castes, et pour réconcilier les hommes, et rend compte des résultats qui ont pu être obtenus dans cette voie, par la douceur, la persuasion et l’exemple, sans jamais recourir à la force armée.
Extraits du chapitre III:
LA POLITIQUE DU BOUDDHISME A L’ÉGARD DU PROBLEME DU RACISME ET DES CASTES
Comme on l’a vu dans le chapitre précédent,
le bouddhisme a toujours proclamé l‘unité de l’humanité et nié que la naissance puisse ou doive constituer un obstacle au développement personnel et spirituel.
Les distinctions de race et de caste sont sans doute commodes, mais trompeuses, et n’ont en tout cas rien d’absolu.
D’après le bouddhisme, les différences de caste correspondent seulement à des différences de profession ; or, il semble qu’à l’époque on était encore relativement libre de choisir sa profession, voire d’en changer. Les préjugés et les discriminations de caste n’étaient pas encore définitivement établis ; les brahmanes s’occupaient précisément de formuler les sanctions religieuses et juridiques nécessaires pour assurer la perpétuation du système existant.
Dans cette conjoncture, nous voyons que le Bouddha et ses disciples ne tiennent aucun compte de la naissance pour l’admission dans l’Ordre monastique et s’efforcent au contraire, par la persuasion et l’exemple, d’éliminer les préjugés et discriminations de caste suscités par les brahmanes.
« Le Bouddha ignore entièrement et absolument aussi bien les privilèges que les incapacités qui s’attachent à la naissance, à la profession ou à la condition sociale ; et il ne tient compte d’aucun des interdits ou des prescriptions arbitraires de caractère »
Des gens de toutes castes étaient admis dans l’Ordre monastique, et ils devaient même changer de nom et de titre pour éviter de rappeler leur rang et- leur naissance.
On raconte, par exemple, que des moines, pénétrés de l’importance de leur rang, voulurent monopoliser des logements au détriment d’Anciens de l’Ordre.
Le Bouddha leur demanda :
- Dites-moi, frères, qui mérite le meilleur logement, la meilleure eau, le meilleur riz ? - Quelques-uns répondirent : Celui qui était noble avant d’entrer dans la communauté
- D’autres : Celui qui était à l’origine un brahmane, ou un homme riche ».
Et le Bouddha leur dit : « Dans la religion que j’enseigne, la préséance en matière de logement, et en toute matière analogue, n‘appartient pas à celui qui était noble, ou brahmane, ou riche avant d’entrer dans l’Ordre. »
Parmi les membres les plus éminents de l’Ordre monastique, on compte des représentants des « basses » castes:
Upali - le plus compétent après le Bouddha pour tout ce qui touche aux règles de l’Ordre; avait exercé le métier de barbier, l’un des plus méprisés de ceux qui étaient réservés aux « basses » castes.
Les nonnes Punna et Punnika avaient été esclaves.(...)
Comment le Bouddha s’adressait-il aux hommes et aux femmes des conditions les plus humbles, pour leur faire prendre conscience du patrimoine spirituel dont sont riches tous les êtres humains, même s’ils sont méprisés par certains qui les jugent voués aux travaux serviles ?
A ce propos, le mieux est de citer les paroles de quelqu’un qui a accèdé à cette conscience, non par la grâce, mais par son effort : personnel.
Voici les vers, que Sunita le balayeur, a composé pour raconter sa vie et son élévation spirituelle :
Humble est le clan ou je suis né, Infimes étaient mes ressources, misérable mon sort, vile ma tâche : je balayais les fleurs fanées.
Nul ne se souciait de moi, j’étais méprisé, insulté ; J’humiliai mon esprit et courbai la tête Vénérant une belle légende populaire.
C’est alors que je vis venir l’illuminé, Entouré et suivi de son escorte de bhikkhus (moines), illustre héros pénétrant dans la grande cité de Magadha.
Je déposai mes corbeilles et mon joug, et je vins là où je pouvais faire ma soumission ;
Et pour moi, dans sa grande bonté, Le Chef des hommes fit halte.
Prosterné à ses pieds, me tenant là, Je priai le Maître de m’autoriser à entrer dans l’Ordre Et à le suivre, lui, le Maître de toutes les créatures.
Et lui, dont la tendre miséricorde veille sur le monde entier, Me répondit : "Viens, bhikkhu" dit-il, Me conférant ainsi l’ordination.
Et seul, retiré dans les profondeurs des forets, Animé d’un zèle inlassable, j’appliquai les paroles du Maître, Les conseils du Conquérant.
Et voici que, pendant la première veille de la nuit, surgirent de lointains souvenirs de la chaîne des vies passées.
Et pendant la veille du milieu de la nuit, l’oeil des cieux, La vision céleste se clarifia.
Et pendant la dernière veille de la nuit, je fis éclater Les ténèbres de l’ignorance.
Puis, comme la nuit faisait place à l’aurore Et que se levait le soleil, vinrent Indra et Brahma, Me rendant hommage, les mains jointes :
« Gloire à toi, noble fils des hommes ! Gloire à toi, ô le plus haut parmi les hommes ! Toutes les ivresses sont mortes pour toi ; Et tu es digne, noble Seigneur, de recevoir des dons. »
Et le Maître, me voyant entouré et suivi D’une escorte de dieux, un sourire se jouait sur ses lèvres, Me dit ces mots : « Grâce à la discipline d’une vie simple, à l’austérité, A la maîtrise de soi, l’homme devient saint ; C’est là la sainteté suprême ! »
En enseignant aux moines et aux nonnes de l’Ordre à réaliser le plein épanouissement de leurs facultés spirituelles, non seulement on ne faisait pas appel aux sentiments de caste ou de race, mais on considérait ces sentiments comme des obstacles à la vision spirituelle et à la vie morale.
Dans l’Ordre bouddhiste, il n’existait aucune distinction fondée sur la naissance. Les moines et les nonnes se rendaient chez des gens de toutes castes, pour prêcher ou prendre leurs repas - non sans s’exposer à des désagréments.
Il arriva au Bouddha d’être injurié par des brahmanes auxquels il demandait un repas, et lorsqu’on voulait savoir quelle était sa race ou sa caste, il répondait invariablement :
« Ne m’interrogez pas sur ma naissance »
Il lui arriva de parcourir des villages de brahmanes sans obtenir la moindre parcelle de nourriture.
Ses disciples l’imitaient, ignorant les distinctions et les pratiques de caste dans leurs rapports avec leurs semblables.
Ananda - l’un des plus proches disciples du Bouddha et son porte-parole lors du 1er Concile - est le héros de l’histoire suivante:
Ce jour-là, le vénérable Ananda s’habilla de bonne heure et, prenant son bol et son manteau, il pénétra dans la grande cité de Stravasti pour y demander l‘aumône. Ayant fait sa tournée et terminé son repas, il s’approcha d’un puits. Or, une jeune fille malanga (paria), nommée Prakrti, se trouvait au puits pour tirer de l’eau.
Et le vénérable Ananda dit à la jeune fille : « Donne moi de l’eau, ma soeur, car j’ai soif. »
Elle répondit : « Je suis une matanga, ô révérend Ananda ».
« Ma soeur, je ne t‘ai pas questionnée sur ta famille ou ta caste ; je t’ai demandé, s’il te restait de l‘eau, de m’en donner car j’ai soif ».
Alors elle donna de l’eau à Ananda.
Non seulement les moines et les nonnes, mais aussi les laïques, doivent pratiquer la compassion. Les stances ci-après, que récitent fréquemment, aujourd‘hui encore, les bouddhistes laïques, donnent une idée de ces sentiments :
Que tous les êtres vivants,
faibles ou forts, Longs ou grands, moyens, petits, courts ou gros,
Visibles ou invisibles, vivant près ou vivant loin, Nés ou à naître,
Que toutes les créatures soient heureuses.
Que nul ne trompe, que nul ne méprise qui que ce soit, où que ce soit,
Que nul ne souhaite du mal à qui que ce soit, par colère ou ressentiment.
De même qu’une mère, au risque de sa vie, veille sur son seul enfant,
De même que chacun cultive un esprit d’infinie bienveillance à l’égard de tous les êtres.
Il est impossible d’éprouver des sentiments de ce genre si l’on a des préjugés ou des haines d’ordre racial. Les disciples laïques sont invités à ne jamais s’enorgueillir de leur naissance, à renoncer à toute vanité de race ou de caste.
Dans un sermon où sont énumérées les caractéristiques de l’homme qui progresse et de celui qui dégénère, la vanité est considérée comme l’une des causes de la déchéance : « L’homme fier de sa naissance, de sa fortune ou de sa famille qui méprise son semblable est dégénéré »
Parmi les métiers "interdits" aux bouddhistes figure le commerce des esclaves, « le trafic des êtres humains » celui-ci n’étant pas compatible avec « le mode de vie juste » que doit suivre chaque bouddhiste.
Chacun doit respecter la dignité humaine des serviteurs vivant à son foyer:
« ne pas les accabler de travail, leur donner de bons repas et de bons gages, les soigner quand ils sont malades, partager avec eux les aliments et les friandises, leur donner assez de congés et de loisirs ».
Ainsi, le bouddhisme améliore le sort d’une classe de gens dont les textes brahmaniques disent qu’ils sont nés ou créés pour servir, qu’ils peuvent être chassés ou tués à volonté.
(...)
Dès l’origine, le bouddhisme a eu ses « missionnaires », chargés d’apporter à toute l’humanité un message de vérité et d‘amour :
« Allez, dit le Bouddha à ses disciples, je suis délivré de toutes les chaînes, humaines et divines. Et vous aussi vous êtes délivrés de toutes les chaînes humaines et divines. Allez, parcourez le monde pour le profit de la multitude, pour le bien-être de la multitude, par compassion pour l’univers, pour le bien, pour le profit et pour le bien-être des dieux et des hommes... »
Et ils devaient aller ainsi, pour tenter de comprendre .... toutes sortes de peuples et de tribus, sans se soucier des périls du voyage ou du danger de leur mission, armés des seules armes de la vérité et de l’amour. Ils devaient pratiquer la compassion.(...)
(...) D’après les livres bouddhiques, les brahmanes appelaient le Bouddha « Gautama le reclus, qui proclame le salut possible pour toutes les castes. »(...)
Cependant, (certains auteurs) qui n’ont étudié qu’une partie des Jatakas et négligé la majorité des textes du Canon- déclarent : « C’est une erreur de considérer le Bouddha comme un réformateur social et le bouddhisme comme une révolte contre le régime des castes. » Ils admettent toutefois que « l’influence générale du Bouddha s’est exercée dans le sens du libéralisme. »
On peut donc admettre que le mouvement bouddhiste a, pour le moins, contribué dans une grande mesure à l’assouplissement du système des castes
Au cours des deux mille cinq cents ans de son histoire, le bouddhisme s’est répandu dans de nombreux pays, peuplés de races diverses, mais son rayonnement a été dans l’ensemble limité à l’Orient. C’est peut-être à son influence prolongée que les races de l’Asie doivent d’être si étroitement unies par l’esprit et, dans la meusre OU cet esprit se caractérise par la non-violence et la tolérance - si audacieuse que soit une telle généralisation - cette influence s’étend à l’univers entier. L‘unité dont il s’agit n’est certes pas une unité stricte de doctrine, car le bouddhisme n’a jamais cherché à imposer une orthodoxie ou a refréner la liberté de pensée.
« L’absence d’agressivité est l’un des traits les plus remarquables du bouddhisme Il y a chez le bouddhiste une sorte de douceur à laquelle tout le monde doit être sensible, me semble-t-il. Mais cette douceur et cette absence d’agressivité ne sont pas de la faiblesse. Elles ne sont pas inspirées par la peur. La non-agressivité du bouddhiste dissimule une réserve de force. C’est la douceur de l’homme fort qui refuse de se frayer brutalement un chemin dans la foule, ou celle de l’homme réfléchi qui est convaincu que l’enjeu n’en vaut pas la peine. Parce qu’ils sont doux, parce que les exhortations du Fondateur sont toujours présentes à leur mémoire, et parce qu’ils subissent l’influence de sa personnalité et veulent suivre son exemple, les bouddhistes n’ont jamais cessé, dans tous les pays où ils ont vécu, de prêcher et de pratiquer et de pratiquer (l’amour) universelle et la sympathie pour tous les êtres doués de sensibilité. »
(...)
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